jeudi 29 mai 2014

Critique 457 : BLACKSAD, TOME 4 - L'ENFER, LE SILENCE, de Juan Diaz Canales et Juanjo Guarnido


BLACKSAD : L'ENFER, LE SILENCE est le 4ème tome de la série écrit par Juan Diaz Canales et dessiné par Juanjo Guarnido, publié en 2010 par Dupuis.
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A la Nouvelle-Orléans, John Blacksad est mis en relation, grâce à son ami "Week" le reporter, avec Faust Lachapelle, directeur d'une maison d'arrêt. Celui-ci est très malade et à la recherche d'un de ses anciens "pensionnaires", Sebastian "Little Hand" Fletcher, un jazzman toxicomane qui a disparu, laissant sa femme enceinte sans nouvelles. Lachapelle a produit plusieurs musiciens comme lui pour les réinsérer et il craint que ce pianiste prodigieux ne soit retombé dans ses travers.
Blacksad accepte l'affaire mais il sait déjà que la tâche ne sera pas aisée : un autre enquêteur n'a pas supporté d'être écarté de l'affaire, le fils de Lachapelle est prêt à le rétribuer pour qu'il abandonne à son tour, personne n'est disposé à parler pour éviter d'être inquiété par la police dans une affaire de drogue...
La vérité, Blacksad la découvrira dans le passé commun de tous ces protagonistes, au coeur du carnaval de la ville et d'une vieille histoire de remède frelaté qui a ravagé un village voisin de la capitale du jazz...

Cinq années séparent la publication de ce tome 4 du précédent, et il semble évident à la lecture qu'une crise d'inspiration a touché les auteurs, crise non réglée car l'histoire est la plus décevante de toutes celles de la série et car même la partie graphique, malgré quelques morceaux de bravoure, n'atteint pas les sommets antérieurs.

Pourtant, Juan Diaz Canales a puisé dans le riche folklore du jazz et de ses musiciens maudits, après avoir lu le recueil de photographies de William Claxton légendé par J.E. Berendt, Jazzlife (édité chez Taschen - magnifique ouvrage mais pas à la portée de toutes les bourses). Un terreau fertile pour un polar, avec pour cadre New Orleans et son carnaval, ses clubs, ses quartiers métissés, le vaudou, etc.
Malgré tout cela, ça ne prend pas, ou pas aussi bien que les fois d'avant : l'intrigue échoue à vraiment accrocher le lecteur, d'ailleurs Blacksad mène son enquête sans la détermination qu'on lui connaît, faute d'être personnellement impliqué (comme ce fut le cas avec l'assassinat de son premier amour dans le tome 1, la ségrégation raciale dans le tome 2, ou ses retrouvailles avec son vieux professeur dans le tome 3). Ici, il évolue dans un milieu avec lequel il n'a pas d'attaches, sinon le goût du jazz, mais il n'a aucune relation avec celui qui l'emploie, qu'il cherche ou qu'il affronte.
La révélation tardive de la vérité sur son affaire est également maladroite : trop longue, elle peine à émouvoir. Dès le début, en fait, on a le sentiment, comme le héros, que tout est déjà joué, que ça se terminera mal, et que le pire ne pourra être évité. Les seconds rôles n'ont rien de sympathique ou d'attachant, ce sont au mieux de malheureux condamnés d'avance, au pire des complices d'une entreprise sinistre, mais le véritable coupable (un charlatan connu sous le nom de Dr Dupree) est déjà, depuis longtemps, hors du coup. Il n'y a plus personne à faire arrêter, et il est trop tard pour ceux qui devraient être sauvés.
Même s'il reforme le tandem Blacksad-Weekly, Diaz Canales ne parvient pas non plus à l'exploiter aussi bien que dans Artic-Nation (tome 2), d'ailleurs les deux limiers sont souvent séparés pour ratisser plus largement un secteur qui ne leur est pas familier. Sans cesse, à l'image de ce casting, on a le sentiment que le scénario raconte une histoire qui ne prend pas faute de liant, d'accroche. 
Enfin, le scénariste abuse de clichés : toute l'imagerie liée au jazz, à la ville, au genre même, est convoquée sans imagination, tout comme les noms lourdement symboliques attachés à certains personnages (les Lachapelle, dont le père se prénomme Faust et le fils Thomas). 

Visuellement aussi, ce tome est en deçà de ce qu'on était habitué à voir sous les pinceaux de Juanjo Guarnido. Il est délicat et certainement sévère d'abaisser la note d'un artiste aussi exceptionnel car, même moins inspiré, il produit toujours des images et des pages sublimes (comme le repas entre Blacksad et Thomas Lachapelle sous les arbres, avec des jeux d'ombrages incroyablement subtils, ou cette pleine page prodigieuse, page 34, avec le carnaval, véritable déluge multicolore).
Mais, ça et là, on remarque des finitions moins abouties sur les personnages, des décors moins ouvragés, des enchaînements de plans moins inventifs, qui témoignent de difficultés à maintenir le dynamisme, l'expressivité, la reconstitution au niveau admirable des autres épisodes de la série.
Guarnido peut être encore capable de surprendre avec des choix d'animaux (comme l'hippopotame pour le détective Ted Leeman), mais son génie de la couleur prend aussi sérieusement le pas sur son art de narrateur et de portraitiste animalier, aboutissant à des planches flamboyantes et impressionnantes mais qui révèle des facilités après un examen attentif.

Blacksad reste toujours une bande dessinée étonnante, mais la baisse de régime enregistrée sur cet album rend aussi ses fans plus exigeants : quand on a produit une série en mettant la barre si haut auparavant, les auteurs ont une pression à la mesure de l'attente des fans et c'est un immense défi à relever à chaque fois.   

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