SPIROU ET FANTASIO : LA FROUSSE AUX TROUSSES est le 40ème tome de la série, écrit par Tome et dessiné par Janry, publié en 1988 par Dupuis. C'est le premier volet d'un dyptique qui se poursuit et s'achève avec le tome 41, La Vallée des Bannis.
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Spirou donne une conférence sur ses aventures mais c'est un échec. Pourtant, elle devait servir à financer une expédition avec Fantasio (et Spip !) dans une province reculée du Népal, le Touboutt-Chan, où disparurent deux scientifiques, Adrien Maginot et Günter Siegfried, avant la 2nde guerre mondiale.
C'est alors qu'un des spectateurs de la conférence, le Dr Placebo, rend visite aux deux amis et leur propose de payer leur voyage à la condition qu'ils emmènent avec eux un groupe de malades atteints d'une forme persistante de hoquet, espérant que ce périple qui s'annonce riche en émotions fortes pourra les en guérir.
En effet, le Touboutt-Chan est au centre d'un conflit entre des rebelles indépendantistes et l'armée régulière, sans compter que c'est dans ces contrées hostiles que se situerait la mythique vallée des bannis où un cruel envahisseur mongol aurait exilé des paysans refusant de renforcer ses troupes au XIIIème siècle et où Maginot et Siegfried se seraient également perdus.
Spirou et Fantasio acceptent cette offre et sur place, sont aidés par un guide, Gorpah, qui, autrefois aurait aussi été celui d'un célèbre reporter belge flanqué d'un chien blanc et d'un marin porté sur l'alcool et les jurons...
Cette histoire, la 8ème menée par le tandem Tome et Janry, est aussi la 40ème de la série et forme le premier acte d'un dyptique poursuivi et conclu avec le livre suivant, La Vallée des Bannis, paru l'année suivante. Elle fut initialement pré-publiée dans "Le Journal de Spirou" sous le titre Angoisse à Touboutt-Chan, qui fut certainement modifié pour ne pas réduire l'aventure à un calembour. En effet, au-delà de quelques effets comiques très réussis, c'est un authentique récit d'aventures que proposent les auteurs.
L'ambition de Tome de développer une intrigue sur deux volumes renoue avec les grandes heures de la série, comme lorsque Franquin et Greg signèrent Z comme Zorglub-L'Ombre du Z ou Fournier Kodo le Tyran-Des Haricots Partout.
Le scénariste, et son dessinateur, maîtrisent alors à la perfection leur sujet et ont su redonner tout son lustre à Spirou et Fantasio comme titre et comme personnages (quitte à empêcher d'autres auteurs, à l'époque, de proposer des versions alternatives car, au sein de la rédaction du magazine "Spirou", s'agitaient deux clans, les "modernes" qui voulaient aller de l'avant sans nostalgie, et les anciens qui estimaient qu'on pouvait encore rendre hommage aux travaux de Rob-Vel ou Jijé. Ce furent les modernes qui gagnèrent la partie... A l'époque puisqu'aujourd'hui, Dupuis a compris l'intérêt de développer les deux tendances).
Avec le recul, on ne peut d'ailleurs que donner raison à l'équipe créative de l'époque puisque La Frousse aux trousses est un chapitre magistral : la situation évoque bien sûr l'occupation chinoise au Tibet, mais distribue également des répliques très marrantes (avec moult jeux de mots quand il s'agit de faire parler les rebelles locaux) et des clins d'oeil savoureux (comme, dès la première planche, où le texte dit : "Spirou, lui, n'a pas à craindre la monotonie d'un destin banal. Emboîtons-lui le pas et suivons-le dans un de ces récits passionnants qui font depuis toujours la joie des petits, le bonheur des grands, la fortune d'un éditeur inspiré et l'avancement de notre contrôleur fiscal..."), ainsi qu'une suite de rebondissements trépidants, spectaculaires jusqu'à l'avant-dernière page où nos héros sont apparemment perdus.
C'est aussi l'occasion d'ironiser avec le plus fameux concurrent du groom, Tintin, via le personnage de Gorpah, caricature gratinée de Tharkey, le sherpa de Tintin au Tibet, qui reprend des noms d'oiseaux familiers du capitaine Haddock. Réjouissant et finalement bon enfant, mais ça résume bien la différence entre Spirou et la créature d'Hergé : une certaine forme d'insolence, d'impertinence, malicieuse, jamais méchante, mais qui donne une distance.
Les dessins de Janry sont exceptionnels. L'artiste a un don fabuleux pour immerger le lecteur dans les ambiances avec des décors très ouvragés, dès l'ouverture de l'album (et même dès la couverture, d'un dynamisme exemplaire), aussi à l'aise pour les environnements urbains que sauvages.
C'est aussi un "faiseur de tronches" de première force, qui, animant avec brio Spirou, Fantasio et Spip (qui a toujours droit à des saynètes très inspirées pour souligner son caractère de paresseux contrarié mais philosophe), soigne les seconds rôles en leur donnant une allure immédiatement identifiable et mémorable. On peut même se demander si, avec La Frousse aux Trousses, Janry n'a pas cherché à rendre hommage à une autre histoire d'expédition célèbre, au casting aussi corsé - je veux parler de Lucky Luke : La Diligence, de Morris et Goscinny.
En tout cas, la vivacité de son trait, ses compositions hyper-toniques, sont dignes du grand Franquin (celui de la 2ème moitié des années 60 et des 70's).
La suite et fin de cette saga ne démérite aucunement et, même, surpasse encore cette première partie, comme nous allons le voir tout de suite...
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SPIROU ET FANTASIO : LA VALLEE DES BANNIS est le 41ème tome de la série, écrit par Tome et dessiné par Janry, publié en 1989 par Dupuis.
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Spirou, Fantasio et Spip se sont lancés à la recherche de deux explorateurs disparus, Siegfried et Maginot, dans une contrée particulièrement hostile, surnommée la vallée des bannis, en référence à une peuplade paisible, les Boutchiks du Nord de l'Himalaya, qui se rebella contre l'armée mongol de Gengis Khan au XIIIème siècle.
Malheureusement, nos héros sont à leur tour coincés dans cet endroit et doivent affronter une nature très agressive, au premier de laquelle se trouve un moustique qui rend fou ceux qu'il pique - et manque de chance, Fantasio va être sa victime, déterminé dès lors à éliminer Spirou !
Pour le 9ème album en 5 ans, Tome et Janry ont produit un authentique chef d'oeuvre, digne de figurer aux côtés des meilleurs opus de Franquin. On retrouve là une quantité d'éléments qui font tout le sel des aventures de Spirou et Fantasio, conduits avec maîtrise, mis en images avec brio : un vrai régal.
Les héros de Rob-Vel ont souvent vécu leurs meilleures sagas quand ils se trouvaient dans des décors exotiques, réels ou fictifs, mais propices à une succession d'affres qui éprouvait leur amitié. Tome ne perd pas de temps avant de proposer une situation qui va dresser l'un contre l'autre Spirou et Fantasio, ce dernier étant pris d'une crise de jalousie démente qui le motive à carrément supprimer son ami. Cela génère une série de combats, de coups fourrés, et alimente un suspense très efficaces (on se demande à la fois si Spirou va maîtriser Fantasio après avoir survécu à ses agressions, puis si Fantasio va se remettre).
L'autre axe autour duquel tourne le récit concerne la raison pour laquelle les héros se sont retrouvés dans cette vallée des bannis : Tome imagine une expédition scientifique à l'issue dramatique avec malédiction à la clé, et on se prend à y croire puisque la situation se répète aujourd'hui pour Spirou et Fantasio. Le parallèle est malin, mais le scénariste ne s'arrête pas là puisqu'il prend la peine (et le temps en y consacrant trois pages) de raconter les origines de la légende entourant l'endroit et des gens qui y échouèrent. En bâtissant aussi soigneusement les fondations de son intrigue, il montre qu'il ne s'agit pas seulement de s'amuser avec les codes du "survival" (un sous-genre où les protagonistes luttent pour se tirer d'un mauvais pas dans un décor sauvage et inamical) : Spirou et Fantasio ne sont pas arrivés là par simple malchance mais pour une mission précise, qui les renvoie à leur esprit d'aventuriers.
Les péripéties s'enchaînent sur un rythme soutenu, dans un cadre fourni (la faune et la flore du coin ont elles aussi droit à une page entière de descriptions, pleine d'humour et d'imagination), et Tome invoque même au détour d'une scène le Marsupilami (sans qu'il apparaisse puisque Franquin en avait ôté l'usage à ses successeurs sur la série - c'est bien dommage car, avec une histoire comme celle-ci, la présence de l'étonnant animal aurait été un piment supplémentaire). La fin est pleine de malice, ironique et même un peu macabre.
Au dessin, Janry fait des merveilles : la richesse de ses illustrations pour représenter la jungle, les bestioles peu avenantes qui la peuplent, est extraordinaire. Il s'est visiblement follement amusé et le lecteur ne pourra être qu'impressionné par l'inventivité et la précision avec laquelle il a traité tout ce décor.
Avec neuf albums au compteur, le dessinateur a aussi désormais l'expérience d'un artiste s'étant totalement approprié les personnages et jouant à fond avec eux : il anime un Fantasio possédé avec une vigueur jouissive, qui procure de grands moments comiques (comme lorsqu'il se met à répéter "Fantasio Magazine"). Spip a aussi droit à ses moments et l'écureuil est campé avec maestria.
Il y a des séquences narrativement superbes, visuellement traduites avec un grand talent, comme lorsque Spirou explore les galeries sur les parois desquelles est gravé l'histoire du peuple Boutchik, avec le héros brandissant une torche, ce qui créé des effets d'éclairage expressionnistes et une ambiance très intense... Pour aboutir à une quinzaine de cases noires (quatre bandes) où les onomatopées et les phylactères révèlent la qualité du lettrage.
Je le répète, mais La Vallée des Bannis est un vrai chef d'oeuvre, un des meilleurs albums de la série et un des sommets du run de Tome et Janry, qui comblera tous les fans de Spirou.
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