Peter Parker a donc hérité des pouvoirs de Spider-Man et d'un costume ad hoc grâce à Tony Stark/Iron Lad. Le Daily Bugle, dirigé par Wilson Fisk, tout comme Ben Parker et J. Jonah Jameson s'interrogent sur la présence de cet individu masqué mais aussi de l'agresseur de Fisk. Et bientôt quelqu'un est au courant du secret de Peter...
Je me rappelle que, lorsque Brian Michael Bendis avait réécrit les origines de Spider-Man dans la première version de Ultimate Spider-Man en 2000, ses détracteurs lui reprochaient déjà de prendre son temps alors que Stan Lee et Steve Ditko avaient réglé ça en 18 pages. Nous étions alors en plein règne de la narration décompressée, une façon de faire qui allait marquer la décennie suivante et qui continue d'influencer le style de nombreux auteurs actuels.
Soyons honnêtes : ceux qui n'aiment pas la narration décompressée lisent quand même des comics écrits ainsi et plébiscitent des scénaristes qui la pratiquent (Warren Ellis fut un des premiers à la développer dans Stormwatch et The Auhority, et sur un plan strictement artistique Ellis demeure une référence peu discutée). Faire aujourd'hui, comme il y a un quart de siècle, le procès de la narration décompressée, c'est un peu comme avancer contre le vent ou refuser l'existence d'un courant d'écriture qui s'est imposé.
Autrement dit : Jonathan Hickman applique dans son Ultimate Spider-Man une narration décompressée. Il prend son temps, et certains diront même qu'il joue la montre. Ce deuxième épisode montre certes Spider-Man de la Terre 6160 en action, mais le développement de l'intrigue se fait à pas comptés, sans précipitation. L'auteur en est encore à questionner la validité même de son héros. Et en fait, on peut se demander si ce n'est pas ça d'abord, le sujet de cette nouvelle version : est-ce qu'en se découvrant des pouvoirs on devient automatiquement, naturellement un héros ? Ou bien s'interroge-t-on sur le fait qu'on soit fait pour cette vie ?
Dans le cas de ce Peter Parker, ces interrogations sont d'autant plus pertinentes qu'il est plus âgé que le Peter Parker de la Terre 616, qu'il est marié (et n'a pas encore révélé à Mary Jane Watson ce qu'il est devenu) et père de famille. On peut admettre, honnêtement, qu'il se demande s'il est fait pour ça, pour être un super héros, pour être Spider-Man (il n'a même pas imaginé son pseudonyme).
Hickman enfonce même le clou jusqu'à le montrer à la fois à son avantage, découvrant les capacités que lui donnent la morsure de l'araignée (il est plus fort, plus agile, plus rapide, plus endurant), mais aussi très emprunté, maladroit, gauche, voire pathétique (quand il rencontre à deux reprises le Shocker qui lui flanque une dérouillée en profitant de sa naïveté). En tout cas, il est très loin de s'impliquer dans des affaires plus compliquées, comme enquêter sur Wilson Fisk, ce Bouffon Vert qui l'attaque, et encore moins le complot contre lequel Iron Lad et ses Ultimates combattent.
Dans deux échanges, savoureusement dialogués, d'abord entre Ben et Jonah puis Fisk et un certain Mr. Britain (un membre du cercle du Créateur, certainement Brian Braddock, le Captain Britain de cette Terre), on mesure à quel point ce proto-Spider-Man et ce proto-Green Goblin sont des couvertures. Des histoires dans l'histoire. Pour Fisk, il s'agit de se servir de ce Spider-Man qui ne dit pas son nom pour dissimuler les attaques dont il est la cible de la part du Bouffon Vert. Pour Ben et Jonah, le Bouffon Vert est un sujet car il s'intéresse à Fisk tandis que Spider-Man est une distraction (dont Fisk se sert pour couvrir les agressions dont il est la victime). Hickman nous fournit une grille de lecture à son propre scénario, mais sans condescendance.
Marco Checchetto a pour tâche de donner corps à cela, c'est-à-dire de donner vie et chair à ce qui pourrait pour l'instant se limiter à des concepts, des idées. Son style s'y prête merveilleusement dans la mesure où son expérience des super-héros, dont il a dessiné un paquet d'aventures depuis qu'il est chez Marvel (et notamment sous la direction de Hickman) lui permet de produire des planches aux images fortes, intenses, dans des compositions dynamiques et des postures iconiques.
Même si Spider-Man est maladroit, on devine aisément son potentiel et on suit avec plaisir son apprentissage. Tout le monde en vérité dans ce début de série est engagé dans un parcours initiatique : Peter apprend à devenir ce dont on l'a privé, le Bouffon Vert n'est pas clairement un super vilain, Fisk se prend pour un roi en étant malgré tout débordé par ce qu'il subit, Ben Parker et J. Jonah Jameson doivent trouver un nom à leur nouveau journal et un angle inédit pour parler de ce qui se passe.
Checchetto n'est pas que bon dans le registre super héroïque. Il réussit merveilleusement une scène à la fois casse-gueule et cruciale comme celle où la petite May Parker découvre le secret de son père, ce qui aboutit à la toute fin de l'épisode à une suggestion sur l'aspect du costume de son père. Grâce à l'expressivité des personnages, à la justesse de la mise en scène, ce moment passe impeccablement alors qu'il aurait pu trahir chez l'artiste une fébrilité.
Alors, certes, ça ne va pas vite. Mais ce qui est dit et montré est tout de même superbement juste et dosé. On assiste, quasiment en temps réel, à la naissance d'un héros tout en voyant la mise en place d'éléments dramatiques amenés à être développés sur le long cours. En termes de storytelling, c'est à la fois très maîtrisé et audacieux. En termes visuels, c'est parfait. Hickman prouve son goût de l'expérimentation même dans le cadre d'un comic-book mainstream et embarque avec lui Checchetto qui sert, avec justesse, son script. Laissez-vous porter et vous vous régalerez.
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