Los Angeles. Eté 2011. Sam, la trentaine, est sans emploi et son propriétaire le menace d'expulsion. Il ne cherche pas d'emploi et passe ses journées à épier ses voisines, comme celle qui habite en face de chez lui avec un perroquet et s'exhibe seins nus sur son balcon. Puis il remarque une nouvelle locataire, plus jeune, Sarah, dont la beauté le subjugue. A la télé, les infos évoquent la disparition intrigante du riche Jefferson Evence. Sam aborde Sarah qui l'invite chez elle pour regarder "Comment épouser un millionnaire ?". Ils flirtent mais leur soirée est interrompue par l'arrivée des co-locataires de la jeune femme.
Le lendemain matin, Sam découvre que l'appartement de le jeune femme est désert et il se renseigne auprès du propriétaire qui sait seulement qu'elle a déménagé avec ses amies dans la nuit.. Sam remarque ensuite une jeune femme qui entre dans l'appartement de Sarah pour y prendre quelques affaires restantes et il la suit, d'abord à pied puis en voiture à travers la ville, jusque dans la soirée à une fête où est présente Millicent, la fille de Jefferson Evence.
Sam assiste au concert du groupe Jesus et les fiancées de Dracula et rencontre une danseuse qui lui donne un gâteau qui lui servira à entrer dans une autre fête donnée le lendemain dans un cimetière de Hollywood. Obsédé par la disparition inexplicable de Sarah et déjà adepte des théories du complot, Sam cherche des indices partout autour de lui pour la retrouver. Il fait de multiples rencontres dans ses investigations comme avec Comic-Man, qui édite un fanzine et lui remet un exemplaire du guide des vagabonds, revoit la danseuse, décrypte les paroles de la chansons du groupe Jésus et les fiancées de Dracula...
Celles-ci le conduisent à un observatoire où il est abordé par le roi des vagabonds qui l'entraîne, les yeux bandés, dans un abri atomique. Plus tard, dans ses recherches, il découvrira que d'autres refuges du même type sont achetés par de riches excentriques voulant de protéger de la fin du monde et qui aurait entraîné Sarah dans son délire. Mais Sam écoutera les histoires d'un compositeur affirmant comment depuis des décennies, à travers des tubes musicaux, il a influencé la pop culture et manipulé les foules...
Il y a quelque temps j'ai écrit une critique du film Eileen avec Thomasin McKenzie et Anne Hathaway en relevant ses références au film noir classique. En 2001, David Lynch sortait son avant-dernier film, le mythique Mulholland Drive, considéré par beaucoup comme le dernier grand film noir, une sorte d'équivalent au Impitoyable de Clint Eastwood pour le western.
David Robert Mitchell s'est fait remarqué en 2014 avec It Follows, qui était déjà une sorte de revisite du film d'épouvante avec une métaphore sur le passage à l'âge adulte : un exercice de style brillant, flippant et mémorable. Quatre ans après, il est revenu avec Under the Silver Lake, long métrage ambitieux, qui s'inscrit franchement dans le sillage de Mulholland Drive, dont il se veut à la fois le prolongement et la terminaison. Un pari fou. Et réussi ?
Si Lynch explorait les fantômes de Hollywood à travers la romance entre une jeune aspirante actrice et une amnésique dans un cauchemar tortueux, Mitchell choisit un trentaine comme pseudo-détective privé de son post-polar. C'est moins flamboyant mais plus raccord avec le phénomène des hipsters qui apparut au début des années 2010, avant la gentrification du quartier de Los Angeles où se déroule son histoire et qui est remarquable pour son réservoir d'eau, le fameux Silver Lake (le lac argenté).
Sam est un glandeur qui ne sort de chez lui que pour aller faire quelques courses ou voir ses rares amis. Sans emploi, il ne paie plus son loyer et est sous la menace d'une expulsion. Il passe le restant de ses journées à espionner sa voisine exhibitionniste, une femme d'âge mûr qui se balade seins nus sur son balcon, quand il ne lit pas des ouvrages consacrés à la théorie des complots. Lui-même a une sérieuse tendance à voir des signes cachés partout et tente de les décoder comme s'ils pouvaient le prévenir d'une catastrophe à venir.
Le bouleversement survient avec Sarah, une nouvelle voisine qui le subjugue : blonde, la silhouette d'une top-model, déambulant en bikini blanc, elle sympathise avec lui et l'invite même à voir un film chez elle en partageant un joint. Mais elle disparaît littéralement du jour au lendemain. Pour Sam, c'est un choc, un chagrin et aussi le prétexte à mener une enquête où sa connaissance des signes cryptés lui sera enfin utile.
L'intrigue est filandreuse à souhait. Sam rencontre des individus farfelus mais ses investigations sont particulièrement décousues. En vérité, il erre sans savoir où il va, si la piste qu'il suit est la bonne. C'est un mélange drôle et inquiétant de personnages et d'endroits qu'il croise et traverse. Son parcours ressemble davantage à celui d'une boule de flipper qui rebondirait aléatoirement et parfois, miraculeusement, irait juste dans la bonne direction.
C'est ce qui fait à la fois la qualité, le charme, mais aussi le défaut, l'artificialité, du film. Contrairement à Lynch qui semblait lui aussi improvisait son intrigue comme un musicien de free-jazz mais construisait en réalité un puzzle brillant et envoûtant, Mitchell s'appuie un peu trop sur la complicité su spectateur qui n'est plus dupe (puisqu'il a déjà vu un objet semblable). Du coup, cette déambulation est parfois longuette, ses références un peu trop prononcées. Par exemple, on y trouve une belle blonde fantomatique (Sarah) mais aussi une brune fatale (Millicent), comme des répliques des héroïnes de Lynch, non plus liées (sinon par un personnage de second plan) mais présentes aux deux extrémités de l'histoire (au début et à la fin).
On préfère presque quand le cinéaste évoque directement des motifs lynchiens comme avec le personnage du compositeur reclus dans sa villa et qui explique comment, à travers ses chansons les plus populaires depuis des décennies (des siècles ?), il manipule les masses et invente donc de toutes pièces une mythologie pour des geeks crédules comme Sam. Ce vieillard sort directement de la filmographie de Lynch, renvoyant à ces figures les plus flippantes (comme Dennis Hopper dans Blue Velvet), et la scène, très longue, s'achève dans un éclat de violence qui a quelque chose d'à la fois terrifiant et de libérateur.
Au fond, que le dénouement soit clair et absurde n'a que peu d'importance. On a compris que le voyage - le trip ! - importait plus que la destination. Sam accomplit ce périple en sachant que la fin ne sera pas heureuse mais qu'elle lui permettra d'accéder à un nouveau palier de son existence. A cet égard, quand, enfin, il rentre chez lui, il est étonnamment plus tranquille, serein, apaisé, malgré la peine qu'il vient d'éprouver et le calvaire qu'il a enduré lors de son étrange odyssée.
La réalisation est inspirée dans sa manière de créer cette ambiance cotonneuse, somnambulique et le film aurait pu durer une heure de plus ou de moins sans qu'on voit vraiment la différence. On sent plus quelques longueurs par moments, dans des scènes un peu trop insistantes (quand l'ami de Sam épie avec un drone une jeune femme, répétition du propre geste du héros) ou en voulant justifier certaines pistes grotesques (le paquet de céréales de Comic-Man).
Le casting comporte peu de visages connus, même s'il est amusant de repérer la toute jeune Sydney Sweeney (une des bombes de la série Euphoria, alors à ses débuts). Riley Keough n'a que peu de temps de présence à l'écran mais réussit à faire de Sarah cette fille inoubliable pour le héros. Et Andrew Garfield, justement, est formidable en type qui se trouve un objectif dans la vie, promenant son air constamment endormi et fiévreux à la fois, sorte de néo-Ulysse dans ce Los Angeles aux façades dissimulant des secrets idiots ou glaçants.
Under the Silver Lake n'égale donc pas Mulholland Drive et échoue à en être le prolongement terminal. Mais le film de David Robert Mitchell est un long métrage singulier, suffisamment pour se détacher du lot et séduire, non pas malgré mais plutôt grâce à ses défauts.
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