Aujourd'hui on remonte le temps, jusqu'en 2019, pour parler de la saison 5 de Black Mirror. Charlie Brooker n'a cette fois écrit et produit que trois épisodes, mais chacun dépasse les 60 minutes et encore une fois commente avec malice notre rapport à la technologie dans des intrigues imprévisibles, avec, pour ne rien gâcher, de beaux castings.
- STRIKINS VIPERS - Amis depuis toujours, Danny et Karl partagent la même passion pour les jeux vidéos, et un en particulier, Strking Vipers, dans lequel leurs deux avatars (Lance pour Danny, Roxette pour Karl) s'affrontent. Quelques années passent. Danny a épousé Theo avec qui il a eu un fils, Karl est resté un célibataire qui multiplie les liaisons sans lendemain. Lors de l'anniversaire de Danny, Karl lui offre le dernière version de Strking Vipers, qui se joue désormais dans une réalité virtuelle et où les joueurs peuvent ressentir tout ce qu'éprouvent leurs avatars. Ils engagent une partie en ligne la nuit venue et très vite les choses vont prendre une tournure inattendue puisque Roxette embrasse langoureusement Lance après lui avoir flanqué une raclée...
Des trois épisodes de cette saison 5, Striking Vipers n'est peut-être pas le meilleur mais c'est néanmoins mon préféré. J'ai spoilé le twist de départ, mais sachez que vous n'êtes pas au bout de vos surprises même en sachant cela. Charlie Brooker, dans Black Mirror, interroge notre relation à la technologie dans la vie quotidienne, il était donc attendu qu'il se penche sur le monde des gamers. Un monde qui m'est, je dois le dire, complètement étranger. Contrairement à beaucoup de gens de ma génération (et encore plus de la suivante), je n'ai jamais été attiré par les jeux vidéos, je ne possède pas de console chez moi, et mes amis, sachant cela, ne m'invitent donc jamais à participer à une partie. J'ignore également si ce divertissement est plutôt masculin ou si les filles, les femmes sont aussi des ferventes gamers, mais dans Striking Vipers, on observe cela du point de vue de deux hommes, deux amis de longue date qui se retrouvent à l'occasion de l'anniversaire de l'un d'eux.
Striking Vipers est le nom d'un jeu vidéo (fictif je pense, mais corrigez-moi si je me trompe), deux avatars plus vrais que nature s'y castagnent dans des décors exotiques. On se doute déjà qu'il y a un loup quand on découvre que Karl anime Roxette alors que Danny joue avec un personnage du nom de Lance. Quand les deux amis se retrouvent, les années ont passé : Danny s'est casé, il est marié à la belle Theo et a un enfant avec elle, ils habitent dans une belle villa, tandis que Karl est un célibataire friqué qui multiplie les conquêtes, des filles plus jeunes que lui, avec lesquelles il ne partage pas grand chose de profond en dehors du sexe (un dialogue sur un serveur arborant la même coupe de cheveux décolorée que le basketteur Dennis Rodman qu'a vu jouer Karl mais que ne connaît pas son amante en dit long sur ce décalage générationnel).
Lorsque Danny et Karl se remettent à jouer, la partie prend un tour inattendu et dans un premier temps, Danny pense à un accident. Mais cela se répète et la question se pose de savoir si Karl est amoureux de Danny. Et si Danny l'est de Karl. Le scénario de Brooker brouille habilement les pistes, d'autant plus que les deux protagonistes sont incarnés par deux acteurs virils : Anthony Mackie (Falcon dans Captain America 2 et 3 et Avengers, notamment) et Yahya Abdul-Mateen II (Dr. Manhattan dans la série adaptée de Watchmen et bientôt dans la série Wonder Man sur Disney +). Brooker s'appuie sur un casting sexy : dans le jeu, Roxette, c'est la ravissante Pom Klementieff (Mantis dans Les Gardiens de la Galaxie 2 et 3) et Ludi Lin (Aquaman, Mortal Kombat). Tout cela contribue, avec aussi Nicole Beharie (dans le rôle de Theo), à faire de cet épisode une sorte de cyber-thriller chaud.
On ne s'ennuie pas et le dénouement est jubilatoire mais aussi pervers à souhait. De quoi vous faire considérer votre joystick autrement...
- SMITHEREENS - Chris fréquente un groupe de parole dans lequel il rencontre Haley, dont la fille s'est suicidée. Depuis, elle tente vainement d'accéder à sa messagerie mais ignore son mot de passe. Chris travaille comme chauffeur VTC et un jour il prend comme client Jaden qui travaille pour le réseau social Smithereens. Il le conduit dans un coin isolé et le menace avec un pistolet pour qu'il téléphone à son patron, le créateur du site, Billy Bauer. Mais Jaden n'est qu'un modeste stagiaire. La police encercle bientôt la voiture de Chris mais celui-ci conserve la même exigence. Pourquoi veut-il à tout prix échanger avec Bauer ?
Si cet épisode est excellent, il aurait dû à mon sens être plus court. Ce qui ne signifie pas qu'on s'ennuie en le regardant : le suspense est réel et palpitant jusqu'au bout, la fin est implacable comme souvent dans la série. Mais plus d'une heure pour un pitch aussi mince, c'est trop et avec une durée plus ramassée, le résultat aurait été indéniablement plus fort, plus déchirant. En outre, on sait que Charlie Brooker n'est pas un fan des réseaux sociaux comme Facebook ou Twitter, donc quand il choisit de s'y attaquer, il n'y a aucune surprise : cela va être une charge sans demi-mesure, et c'est bien le cas avec Smithereens.
Le souci, c'est qu'une fois que Chris et son otage sont immobilisés, l'épisode est pris à son propre piège. Il ne fait aucun doute que Billy Bauer répondra à l'appel de Chris et que ce que celui-ci aura à lui dire renverra à une histoire très personnelle et poignante mais aussi tragiquement absurde. Encore une fois, c'est bien ce qui arrive mais Charlie Brooker est assez malin pour rendre le drame de Chris assez universel et donc que chaque téléspectateur se sente concerné. Qui n'a pas consulté le fil d'infos d'un réseau social par ennui et s'est arrêté pour lire un commentaire insignifiant ? La différence ici, c'est que ce geste a eu des conséquences atroces pour Chris. La figure de Bauer est un cliché sur pattes : Brooker ne se montre pas subtil pour un sou, il imagine une sorte de gourou new age parti en retraite au fond du désert pour se déconnecter et dont la création lui a échappé depuis longtemps mais qu'il n'a jamais cherché à modifier, à améliorer sinon pour rendre les utilisateurs encore plus accros. Une figure pathétique.
Topher Grace l'interprète avec maestria, sans forcer le trait, lui. Cela contraste avec le jeu nerveux de Andrew Scott mais qui échoue, dans l'ultime droite à vraiment pleurer alors que son personnage craque complètement en passant aux aveux. Dommage. D'autant plus que Damson Idris, qui joue l'otage, est impeccable, passant de l'effroi à la compassion avec beaucoup de nuances, sauf que Brooker ne semble pas très inspiré et, une fois le dialogue établi entre Chris et Bauer, il néglige ce troisième personnage.
Le dénouement est assez maladroit, voulant à la fois souligner l'inéluctabilité de la situation et offrir une happy end pour Haley. Smithereens ne dépasse pas finalement l'exercice de style.
- RACHEL, JACK AND ASHLEY TOO - Pour son quinzième anniversaire, Rachel reçoit une poupée connectée commercialisée par son idole, la chanteuse pop Ashley O. Cette dernière, avec ses tubes acidulés, est une vraie cash machine, en particulier pour sa tante Catherine, qui est aussi sa manager, qui n'hésite pas à la droguer pour qu'elle honore ses obligations contractuelles. Lorsque Ashely fait une overdose et tombe dans le coma pendant plusieurs mois, sa poupée se détraque et Jack, la soeur aînée de Rachel, réussit à la réactiver en lui ôtant ses filtres, révélant les manigances de Catherine qui, pendant ce temps, a conçu avec des techniciens un hologramme de Ashley qui pourra continuer ses tournées...
En commençant à regarder cet épisode, j'ai craint le pire. Parce que : Miley Cyrus. La popstar me casse oreilles et la perspective de suivre une intrigue où je devrais supporter ses minauderies et ses chansons ressemblaient à un cauchemar digne de... Black Mirror. Et c'est vrai que pendant le premier tiers de l'épisode, il faut s'accrocher pour s'attacher aux protagonistes de cette histoire, entre une idole pour adolescentes et sa poupée connectée à son image. Puis, quand Catherine, l'affreuse tante, empoisonne sa nièce avec un plan diabolique en tête, c'est parti pour de bon pour quelque chose de beaucoup plus savoureux.
Ashley O. est un cliché ambulant : Charlie Brooker n'y va pas avec le dos de la cuiller pour la croquer. Surfant sur un énorme succès grâce à son répertoire rempli de tubes positifs jusqu'à la nausée (du genre "crois en toi", "si je peux le faire, tu peux le faire" et autres niaiseries du même acabit), elle n'est pourtant pas heureuse en coulisses et pianote des chansons déprimantes dans sa luxueuse villa le soir venu, pour exprimer son ras-le-bol et son mal de vivre. Voir Miley Cyrus, qui, actuellement, cartonne avec un hit dans lequel elle évoque sa rupture avec son ex qui l'a trompée au lieu de lui offrir des fleurs (Flowers, donc), est exquis et elle joue sa partition très premier degré, de manière étonnamment convaincante je dois le dire.
Pourtant l'épisode aborde sa dernière ligne droite en empruntant la direction inattendue de la comédie, car comment, sinon, croire à l'initiative de Rachel et Jack pour sauver la chanteuse et démasquer sa vilaine tante ? Comme le père des deux adolescentes est un dératiseur qui conduit un improbable véhicule avec d'énormes oreilles de souris sur le toit, leur virée jusqu'à la villa de la star puis jusqu'à la salle de spectacle où sa manager présente l'hologramme vire au grand n'importe quoi très drôle. Et c'est sans compter la scène post-générique de fin (mais je ne vous la spoile pas).
Angourie Rice (que j'avais découverte dans l'épatant The Nice Guys de Shane Black) est formidable en groupie qui se sent investie d'une mission de sauvetage tandis que Madison Davenport qui joue sa soeur, qui considère Ashely O. avec autant d'estime que j'en ai pour Miley Cyrus, est aussi impeccable en complice malgré elle.
Une saison de très bonne tenue donc, même si très pingre. Bon maintenant, je dois trouver du temps pour me refaire la saison 4...
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