Strange Adventures est une curieuse (mini) série, qui se déroule sur un faux rythme, tranquille, comme si Tom King voulait endormir la vigilance du lecteur avant un second acte plus tonique (peut-être). C'est une fois de plus, en tout cas, l'impression qui se dégage de cet épisode, où brillent particulièrement Mitch Gerads et Evan Shaner, au diapason de leur scénariste.
Après le massacre des Hellotaat dans l'assaut contre les Pykkt, Alanna convainc Adam Strange de se tourner vers les Rockmen, des sauvages résidant dans les cavernes de Rann, à l'écart de tout. En attendant la décision de leur reine, ceux-ci enferment leurs visiteurs dans une cave.
Sur Terre, après l'attaque à Gotham d'un drone Pykkt, la Justice League, représentée par le Martian Manhunter, répond aux inquiétudes d'une commission d'enquête du Congrès. Mais Alanna, également conviée, affirme que les héros de la Terre ne sont pas prêts.
Cette déclaration trouve un écho en haut lieu puisque le Président des Etats-Unis décide de confier à Adam Strange la direction d'une force d'attaque à laquelle la Justice League est contrainte d'apporter son soutien.
C'est une nouvelle victoire médiatique pour les Strange. Sur Rann, confinés dans leur cave, Adam et Alanna survivent comme ils peuvent et font l'amour pour conjurer le sort. Ils trouvent ensuite une issue à leur prison et se présentent devant la reine des Rockmen.
Alanna parvient à la convaincre d'une alliance en la menaçant de représailles une fois la guerre finie. Une alliance historique est conclue entre Hellotaat, Rockmen et Ranniens, sous les yeux d'Alea Strange...
Tom King n'avait pas menti en expliquant que Strange Adventures ne raconterait pas une histoire semblable à Mister Miracle. Il ne s'agit en effet pas d'un récit sur un héros en pleine dépression, mais bien d'une intrigue politique et ce cinquième chapitre le confirme franchement.
Encore davantage que précédemment, c'est Alanna qui est mise en avant, au point qu'on peut légitimement se demander si ce n'est pas elle la véritable héroïne de la série, davantage en tout cas que Adam Strange. King l'écrit comme une femme avec une volonté confinant à l'autoritarisme, mais c'est logique quand on remet le personnage dans son contexte : elle est la fille du plus haut dignitaire d'un monde bien plus avancé technologiquement que le nôtre, et il est logique qu'elle affiche un air supérieur, hautain quand elle a affaire aux autres peuplades de sa planète ou face aux terriens.
Bien entendu, Alanna n'attire pas la sympathie. C'est culotté de la part de King de représenter une femme ainsi, actuellement, car les mouvements #metoo et Time's up ont mis en avant des femmes à l'offensive contre le patriarcat et les violences domestiques. Alanna est tout sauf une victime, d'ailleurs il y a fort à parier qu'elle serait agacée par celles qui se plaignent des traitements subis à cause d'hommes abusant de leur pouvoir. Pour employer une fameuse expression, dans le couple Strange, c'est elle qui "porte la culotte" et se plaindre, c'est déjà une faiblesse.
King montre, sans filtre, le caractère volontiers manipulateur d'Alanna qui réussit, patiemment, à retourner l'opinion en faisant passer la Justice League, Mr. Terrific et les médias pour des ingrats parce qu'ils soupçonnent Adam Strange de n'être pas le héros valeureux tel qu'il se décrit dans son autobiographie et alors qu'il a été soupçonné du meurtre d'un lecteur l'accusant d'avoir commis des crimes de guerre. Une fois encore, elle provoque un membre de la Ligue de Justice (le Martian Manhunter) et rabroue un membre du Congrès américain quand ils sous-estiment la menace Pykkt.
Par contraste, Adam semble soumis à son épouse, d'ailleurs il se tient derrière elle lorsqu'elle intervient au Congrès et c'est elle qui apprend que le Président des Etats-Unis charge son mari de conduire une Task Force en vue d'un assaut des Pykkt contre la Terre.
Même dans les flashbacks, Alanna prend le pouvoir. Elle accepte d'être enfermée dans une cave par les Rockmen avec Adam en attendant la décision de leur reine de s'allier aux Ranniens et aux Hellotaat contre les Pyykt. Et ce, durant un cycle, c'est-à-dire un mois ! Alors, comme le lui rappelle, effaré, Adam, que la guerre continue à la surface. Quand les deux époux sortent de leur geôle, c'est encore Alanna qui défie la reine Rockmen en la menaçant de représailles sanglantes, une fois la guerre finie, si elle et les siens ne viennent soutenir la résistance. En fait, dès la scène d'ouverture (où Alanna laisse un Hellotaat se faire tuer par un Rockman en empêchant Adam d'intervenir), le ton est donné.
Outre donc cette caractérisation peu sympathique, ce qui trouble aussi, c'est donc le rythme qu'imprime King à son histoire. Jamais un emballement, une accélération. C'est comme s'il cherchait à nous endormir, à nous faire baisser la garde. L'action est souvent hors-champ, encore plus rarement développée, pas de scènes de combat spectaculaire, ni d'éclat de voix. C'est plutôt une rage sourde qui parcourt le récit, quelque chose de subi constamment par un camp ou l'autre. Cela vient du fait que les Strange sont à la fois au centre et à la périphérie de l'intrigue, à la fois témoins et suspects. Tout ce qui les entoure est sujet à caution. D'où cette incertitude sur la culpabilité réelle d'Adam, le sort d'Aléa : on a pu voir à travers Mr. Terrific que Rann n'était pas un monde si clean que ça, on a pu comprendre qu'il y avait des secrets inavouables, possiblement de gros mensonges, des grosses omissions. Mais cela reste en suspens grâce aux manoeuvres d'Alanna.
Interrogé sur Tumblr sur la manière réelle dont il se partageait le travail, Evan Shaner a expliqué que lui et Mitch Gerads, contre toute attente, n'échangeaient pas beaucoup, se reposant sur un script solide. Il n'empêche, on ne peut qu'être admiratif de la fluidité avec laquelle les pages s'enchaînent, comment les deux artistes se les partagent sans se marcher dessus.
Il me semble pourtant que sur cet épisode Mitch Gerads en impose un peu plus. Sans doute parce qu'il dispose des scènes les plus marquantes (l'intervention au Congrès, le dialogue avec la représentante du Président, la conférence de presse d'Adam). Gerads les illustre avec sobriété, sans en rajouter : il sait que le matériau fourni par King est suffisant en soi, inutile de faire de l'esbrouffe visuelle. J'ai toujours, malgré tout, des réserves sur sa représentation d'Alanna, que je trouve trop ressemblante à Big Barda, ou en tout cas pas assez ressemblante avec la Alanna que dessine Shaner dans les flashbacks. Gerads échoue, depuis le début, à lui conserver sa séduction, sa beauté, insistant sur une silhouette moins fine, un visage moins gracieux.
Evan Shaner, lui, est plus à l'aise avec les personnages en général et le prouve en animant les époux Strange, mais aussi les Hellotaat ou les Rockmen. Sous son crayon, Alanna a un charme absolu et Adam est moins amorphe. En de multiples occasions, les sentiments qu'ils ont (face aux situations qu'ils traversent ou l'un pour l'autre) sont mieux rendus, avec plus d'expressivité, tandis que Gerads a plus d'aisance avec la composition générale des plans, leur ambiance, leurs couleurs, leur tonalité. La majorité des scènes de l'épisode pour Shaner sont confinés dans l'espace clos d'une cave, éclairée par un feu de bois, avec seulement deux personnages (Adam et Alanna). Il tire le meilleur de cette exiguïté, jusqu'à une scène d'amour passionnée (mais pas trop non plus : Strange Adventures a beau être publié sous le label adulte de DC, ça reste très sage), mais on le sent un peu frustré.
Je continue de parier sur une intrigue coupée en deux, d'autant que, en Novembre, la série s'interrompt (elle reprendra en Décembre), le temps de publier une version director's cut du #1 (en noir et blanc, avec le manuscrit du script). Je pense qu'ensuite l'invasion des Pykkt sur Terre mais aussi la vérité sur les éventuelels exactions militaires d'Adam, le sort de sa fille seront explorés. Peut-être qu'alors Strange Adventures décollera vraiment, connaîtra un vrai coup d'accélérateur. Ce serait bienvenu...
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