vendredi 25 septembre 2020

SKULLDIGGER + SKELETON BOY #4, de Jeff Lemire et Tonci Zonjic

 


Après six mois d'attente, le quatrième épisode de Skulldigger + Skeleton Boy est enfin disponible. Avec autant de temps entre le précédent et l'actuel numéro, on pouvait craindre quelque difficulté à se replonger dans l'histoire écrite par Jeff Lemire et dessinée par Tonci Zonjic. Pourtant la reprise s'avère très facile. Et l'intrigue aussi palpitante et imprévisible.


GrimJim a enlevé le candidat à la mairie, Tex Reed. Dans le passé, ce dernier était le justicier the Crimson Fist et avait sauvé le fils de son ravisseur. L'enfant est aujourd'hui devenu à son tour un vigilant, Skulldigger, dont GrimJim veut connaître l'adresse.


Flanqué de Skeleton Boy, l'orphelin qu'il a a pris sous son aîle, Skulldigger entend retrouver Tex Reed en interrogeant des malfrats dans les bas quartiers. Le gamin insiste pour l'accompagner car il veut  se débarrasser des assassins comme GrimJim qui ont tué ses parents.



Skulldigger et Skeleton Boy tabassent quelques fripouilles dans un bar et parviennent à en faire aprler un. Mais Skulldigger ne veut pas attaquer GrimJim tout de suite car il le sait coriace et préfère préparer sa riposte. Il rentre donc avec Skeleton Boy à son repaire.


Cependant, la détective Amanda Reyes reçoit un savon de son supérieur. En sortant de son bureau, un collègue la prévient que Skulldigger a été vu dans les bas quartiers. Elle s'y rend aussitôt et aperçoit le justicier et son partenaire en train de quitter le bar. Elle les file.


Mais la situation va prendre une tournure inattendue et dramatique quand Skulldigger trouve GrimJim chez lui et que Reyes intervient au même moment...

Comme je le disais hier au sujet de X of Swords : Creation, un signe qui ne trompe pas sur la qualité d'une histoire, c'est sa capacité à rester en mémoire dans le flot des lectures qu'on absorbe. Prévu pour sortir en Mars dernier, cet épisode avait valeur de test car il fallait se souvenir des événements du numéro 2 de Skulldigger + Skeleton Boy.

On reconnaît donc bien là le savoir-faire de Jeff Lemire qui sait brillamment construire des histoires à la fois denses et claires, dont on n'a aucun mal à se souvenir, même des mois après. Il sait également magistralement développer une intrigue en animant ses personnages, en développant les liens qui les unissent afin de déployer une grande toile cohérente.

Le dénouement du précédent épisode révélait ainsi que le criminel GrimJim était le père de Skulldigger, qui, enfant, avait été sauvé par le justicier the Crimson Fist. Aujourd'hui ce dernier briguait la mairie mais son ennemi venait le kindapper lors d'un meeting en plein air.

Lemire avait disposé ses pions, restait à savoir quel serait son prochain coup. La vengeance de Skulldigger et la recherche de Tex Reed étaient attendues, mais le scénariste déjoue efficacement les pronostics en soulignant le caractère sadique de GrimJim qui torture Reed pour savoir où habite son fils. Reed doit le savoir puisqu'il fit de l'enfant son sidekick. De son côté, le justicier, flanqué de son protégé, est aussi sur les traces de son père.

Dans le dernier tiers de l'épisode pourtant, Lemire bouscule les attentes du lecteur et précipite son histoire dans une direction dramatique et imprévisible. La situation dévie complètement à cause de la détective Reyes, qui est obsédée par l'idée d'appréhender Skulldigger. En le suivant jusqu'à sa planque, elle surprend GrimJim. Une fusillade éclate et fait deux victimes (mais je ne vous dirai pas lesquelles).

C'est en tout cas culotté de la part de Lemire car le lecteur, après cela, ne sait plus du tout quelle sera la suite de l'histoire. C'est un délicieux frisson qui vous étreint alors parce qu'au fond c'est ce qu'on recherche : un vrai suspense, ne plus savoir où l'on va, comment l'auteur va rebondir. On sort des sentiers balisés dans lesquels la série semblait pourtant bien engagée. C'est comme si, avec ce rebondissement, Lemire remettait son titre en jeu, nous disait qu'il nous avait bien eus avec son intrigue de justiciers, de pères (biologique ou de substution), de filiation. 

Mais au fond est-ce si étonnant ? Oui si on considère la série en elle-même. Mais moins si on juge cela en fonction de Lemire lui-même car Skulldigger + Skeleton Boy est, rappelons-le, un spin-off de Black Hammer, par définition la série qui a été la plus imprévisible, la plus déroutante, et la plus jubilatoire proposée par un éditeur indépendant ces dernières années. Lemire ne fait "que" répéter ce qu'il maîtrise parfaitement. Et quand on connaît le talent du bonhomme, on peut être confiant sur le fait qu'il saura emmener cette histoire jusqu'à une conclusion satisfaisante.

Le retour de Skulldigger + Skeleton Boy permet aussi de relire des planches de Tonci Zonjic et c'est un plaisir. L'artiste a dû profiter de la suspension de parution de la série pour la terminer (même si Lemire et lui-même n'ont pas communiqué là-dessus). Il a en tout cas un style assez affirmé pour que sa production ne souffre pas de baisse de niveau après plusieurs mois d'absence.

 Si vous n'êtes pas convaincu, il vous faudra peu de temps pour être rassuré car dès les premières pages, glaçantes, Zonjic met en scène ses personnages dans des scènes intenses auxquelles son trait épuré confère une limpidité terrible. Les tortures de GrimJim impressionnent sans sombrer dans une représentation vulgaire et complaisante d'un tel exercice de violence. Idem quand il montre Skulldigger et Skeleton Boy tabasser des malfrats dans un bar avec des méthodes finalement proches de celles de leur ennemi.

Cette ambiguïté morale est superbement rendue par le dessin. La simplicité, apparente, du graphisme permet d'insister sur le fait que tout cela est hautement répréhensible et que les actes commis par le justicier et son apprenti ne sont pas pas plus nobles que les atrocités perpetrées par le méchant. Sous le prétexte de la lutte du bien contre le mal, on voit ici de supposés gentils se comporter comme des crapules alors qu'ils se prétendent plus élevés éthiquement. Le fait qu'un gosse comme Skeleton Boy, certes meurtri par l'assassinat de ses parents, veuille faire souffrir des malfrats en leur soutirant des renseignements dit tout sur la pente glissante qu'il a empruntée en suivant les enseignements de son mentor.

Zonjicv est un dessinateur intelligent, comme son scénariste. Il sait utiliser les codes visuels de la bande dessinée pour mieux les détourner et appuyer le propos de l'histoire qu'il illustre. Ainsi une pleine page en noir et blanc traduit le manichéisme de Skulldigger (pour qui le monde se partage entre bons et méchants). Mais les couleurs nuancées rappellent le moment venu que les zones grises de la réalité indiquent bien que les "bons" sont parfois aussi méprisables que les "méchants" qu'ils traquent. A cet égard, Tex Reed a aussi une ardoise salée : il a tiré des griffes d'un psychopathe un enfant, mais n'a rien trouvé de mieux que d'en faire ensuite son sidekick. Et la détective Reyes, dans son obsession, pense agir avec bon sens mais précipite une nouvelle tragédie pour celui qu'elle pensait protéger.

Pour tout cela, Skulldigger + Skeleton Boy est une production remarquable. Et une BD dont on se souvient. Et qu'on suivra jusqu'à son terme.

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