vendredi 29 janvier 2016

Critique 804 : RETOUR AU COLLEGE, de Riad Sattouf


RETOUR AU COLLEGE est un récit complet écrit et dessiné par Riad Sattouf, publié en 2005 par les Editions Hachette.
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Riad Sattouf a conservé intact le traumatisme de son passage au collège. A 27 ans pourtant, il décide d'y retourner pour observer les élèves et les enseignants d'une classe de 3ème dans un établissement bourgeois et en tirer une adaptation en bandes dessinées.
Il contacte le Ministère de l'Education Nationale et il est mis en relation avec le proviseur du collège Charles-Henri (le nom de l'établissement et des protagonistes, comme leurs physionomies, sont modifiés), M. Venerio, qui l'affecte à la classe de 3ème C pour une durée de quinze jours. Les élèves y sont réputés comme les plus dissipés mais aussi les plus susceptibles d'inspirer Sattouf, selon le directeur adjoint, M. Brutteau.
C'est ainsi que l'auteur va participer aux cours d'informatique, d'histoire-géographie, de français, de gymnastique, d'éducation civique : autant d'occasions pour remarquer le fossé entre enseignants et élèves et surtout pour se souvenir de sa propre expérience adolescente... 

La biographie de Riad Sattouf suffit à le distinguer du tout-venant du milieu de la BD contemporaine : il a vécu, enfant, entre le Lybie, la Syrie et l'Algérie, avant d'arriver avec sa famille en France. Il poursuit ses études à Rennes puis, son Bac en poche, il "monte" à Paris pour se former au dessin d'animation de l'Ecole des Gobelins. Néanmoins, c'est dans la bande dessinée qu'il accède à la notoriété en consacrant ses histoires à la jeunesse, sans en cacher la cruauté : il signera ainsi, dans "Charlie-Hebdo", la série hebdomadaire La vie secrète des jeunes.

Il poursuit dans cette veine avec le projet de Retour au collège. Sattouf n'est pas complaisant, ni avec les sujets de son étude ni avec lui-même : il se décrit, dans ses jeunes années, comme "timide et inhibé", élu deux années consécutives "garçon le plus moche de la classe", membre du "club des pédés" ("des garçons laids, peu développés physiquement et mal habillés"). 

En allant au collège Charles-Henri, Sattouf veut vérifier si la situation a évolué depuis sa génération. Il choisit un établissement huppé pour éviter les clichés liés à ceux considérés "difficiles" dans les banlieues pauvres mais aussi parce qu'il a conscience d'y trouver matière à des gags ou des réflexions potentiellement inattendus.

Son séjour est bref - une quinzaine de jours - mais ce qu'il en ramène aboutit quand même à un album de plus de 90 pages assez dense, souvent drôle, assez accablant aussi. En fait, la conclusion qui s'impose, c'est que le milieu social n'impacte pas tellement la jeunesse : tous les adolescents partagent des préjugés majoritairement alimentés par les différences religieuses. Et leurs professeurs sont aussi décalés que ceux qui exerçaient auparavant, avec sans doute un défaut d'autorité encore plus manifeste.

Si le physique et les noms des personnages ont été changés, les propos rapportés sont "absolument véridiques" et cela procure un sentiment troublant pour le lecteur qui, souvent, ne sait pas si ce qu'il découvre est affligeant ou irrésistible, glaçant ou comique. Ce qui est certain en revanche, c'est que les "gosses de riches" ne vont pas mieux que ceux plus défavorisés, et le corps professoral est aussi dépassé.

La galerie de portraits, dessinée en noir et blanc, dans un style humoristique, très expressif et épuré, avec l'influence évidente de Cabu (qui, de La Potachologie, écrite par Goscinny, au Grand Duduche, a croqué les ados avec une modernité intacte), offre de grands moments, qu'il s'agisse de De Bouvier, impayable élément turbulent, à Thomas, "star" de sa classe et mannequin occasionnel (malgré un visage peu séduisant) en passant par la craquante Salomé (qui rappelle à Sattouf son amour de jeunesse, Sylvie Bleuet et qui lui fera un aveu désarmant à la fin).

Les enseignants sont aussi savoureusement représentés, en particulier la prof de gym (discipline dans laquelle Sattouf a beaucoup souffert) qui souligne le problème de coordination musculaire des élèves lié à leur mode de vie.

Les épisodes sur la discrimination (avec des intercours d'une violence étonnante) prouvent que celle-ci a plusieurs aspects : cela va des codes vestimentaires (avec le port d'habits de marque) au besoin d'appartenir à des groupes pour s'intégrer (sans que cela soit couronné de succès). Le racisme fondé sur les convictions religieuses, les origines ethniques (avec les juifs, les musulmans, les catholiques) divise encore davantage ces ados que la puberté perturbe déjà beaucoup. Pourtant, tous ces désagréments semblent moins les indisposer que leurs relations avec leurs professeurs qu'ils ne respectent pas et qui sont incapables d'imposer leur autorité. 

Quelqu'un (je ne me rappelle plus qui) a dit que "ceux qui regrettaient leur adolescence n'avaient aucune mémoire" : Retour au collège, reportage en forme d'exorcisme amusé au trait juste et simple, le confirme. On ne guérit jamais de ces années-là.

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