mercredi 13 janvier 2016

Critique 791 : TROIS HOMMES, DEUX CHIENS ET UNE LANGOUSTE, de Iain Levison


TROIS HOMMES, DEUX CHIENS ET UNE LANGOUSTE (The Dogwalkers en version originale, comme indiqué par l'éditeur français, mais le titre original véritable est How To Rob An Armored Car) est le quatrième livre écrit par Iain Levison, publié en 2009 par les Editions Liana Levi.
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A Westlake, petite ville dévastée par la crise économique, trois amis trentenaires galèrent et font contre mauvaise fortune bon coeur en oubliant leur triste quotidien dans la consommation assidue de cannabis. 
Kevin Gurdy est sorti depuis peu de prison pour avoir cultivé et vendu de l'herbe, il a décroché un boulot de promeneur de chiens, et vit avec Linda et leur petite fille Ellie, mais leur couple bat de l'aile. 
Mitchell "Mitch" Alden s'ennuie ferme en travaillant au rayon auto d'un grand magasin. Il vit en co-location avec Douglas "Doug" Keir qui n'a d'autre talent que de faire griller des steaks dans un fast-food.
A la suite d'une mauvaise blague qui tourne mal, Mitch perd sa place, Doug est victime d'un licenciement général et Kevin déprime en comprenant que sa femme va le quitter - ignorant qu'elle l'a trompé une fois avec Doug, auquel il reproche son arrestation (alors qu'il n'y est pour rien).
Les trois jeunes hommes ont donc besoin d'argent et échafaudent plusieurs projets foireux : ils volent une télé au magasin où bossait Mitch, envisagent d'écouler les médicaments que cache chez lui un des clients de Kevin, s'emparent d'une Ferrari mais doivent l'abandonner car elle est équipée d'un système de géo-localisation... Jusqu'à ce que Mitch les persuade de commettre un braquage en plein jour en attaquant le fourgon blindé qui dépose l'argent d'une banque...

Après avoir beaucoup aimé Un Petit Boulot, le premier roman de Iain Levison, j'ai cherché à la bibliothèque municipale un autre ouvrage de cet auteur et j'ai eu l'heureuse surprise de découvrir qu'il y en avait un autre en rayon. Il était un peu plus épais (260 pages) mais rien de dissuasif.

Il faut d'abord relever une bizarrerie concernant les titres de ce roman : l'éditeur français indique qu'initialement il s'appelle The Dogwalkers (soit "Les Promeneurs de chiens"), mais en vérité il s'intitule How to rob an armored car (soit "Comment voler un fourgon blindé"). Et finalement donc, en France, nous aboutissons à Trois hommes, deux chiens et une langouste. Chacun de ces titres correspond à des éléments du roman, mais The Dogwalkers me semble le plus approprié, possédant une concision plus séduisante.

Iain Levison renoue ici avec des figures de style déjà à l'oeuvre dans Un petit boulot : on retrouve ce mélange jubilatoire d'humour absurde et d'histoire policière avec des anti-héros attachants. Mais ce comique de situation est encore plus pathétique ici : c'est une véritable fuite en avant à laquelle nous assistons avec la certitude que, cette fois, les héros s'en tireront moins bien que Jake Skowran dans Un petit boulot (quand bien même ce dernier commettait des méfaits plus graves).

L'action reste concentrée, se déroulant sur quelques semaines, dans un périmètre réduit (encore le cadre d'une ville victime de la crise économique). La différence la plus notable réside dans le fait que l'on a affaire à trois protagonistes et non plus à un seul narrateur comme dans Un petit boulot : cela dilue un peu l'intensité du propos et d'ailleurs la colère qui habitait les monologues intérieurs de Jake Skowran a laissé la place à des réflexions plus amères et résignées chez Mitch, Doug et Kevin. 

Pourtant le grand talent de Levison consiste toujours à partir des mésaventures de ces trois losers dans un environnement désolé à produire un récit paradoxalement enjoué. Cette capacité à traiter de la malchance avec bonne humeur empêche le lecteur d'être accablé, au contraire il est ravi par le génie certain des trois amis à se prendre les pieds dans leurs propres embrouilles. L'angoisse qui les étreint, leur conscience de la loi et de la morale, associées à leur marginalisation sociale les handicapent lourdement dans leurs entreprises en même temps qu'elles suscitent la sympathie du lecteur.

On est davantage ému par les mauvais choix de Mitch, Doug et Kevin (peut-être le plus affligé des trois) qu'exaspérés par leur paresse : avec leurs séances de fumette irrésistibles, où les uns charrient l'autre quand il s'aperçoit que même la peinture de leur appartement en souffre, les héros de Levison sont de parfaites têtes à claques, mais ce qui les sauve, c'est qu'ils ne sont pas des idiots finis et font même preuve d'une salutaire auto-dérision.

La structure de l'intrigue reprend les motifs déjà éprouvés dans Un petit boulot : le crescendo dans les délits, du vol d'une télé grand écran (pour honorer en fait leur loyer) à celui, désastreux, d'une Ferrari après d'interminables planques dans le froid hivernal dans les bois avoisinant un parking, jusqu'à l'attaque finalement commis dans la précipitation et l'improvisation d'un fourgon blindé, est très efficace. On se prend à souhaiter la réussite de ce trio aux plans improbables, non pas par qu'ils représentent une version romantique de malfrats mais juste parce qu'on admet que leur situation sociale est si triste qu'ils méritent une revanche.

Dans cette configuration, même si le personnage de Kevin affiche un background bien développé (séjour en prison, libération conditionnelle, vie conjugale) et que celui de Mitch s'affirme comme un étonnant leader dont le sens de l'initiative et la détermination paieront, Doug devient le rôle le plus intéressant. Lui seul semble vraiment être à la fois réaliste et positif, traversé par des scrupules et animé par des espoirs : à ces égards, sa liaison avec Linda donne lieu à des passages très drôles et d'un sentimentalisme émouvant, puis ses rêves professionnels (chirurgien, pilote d'hélico, et surtout auteur de romans pour enfants - avec une histoire de langouste absolument désopilante) sont comme un récit dans le récit. Le fatalisme dont il fait preuve à la fin mais aussi la manière étonnamment positive avec laquelle il accepte son sort sont formidablement rédigés.

Je ne serai guère surpris que, comme pour Un petit boulot et Arrêtez-moi là !, Trois hommes, deux chiens et une langouste finisse par intéresser un cinéaste : la prose de Levison est si évocatrice et son style si divertissant évoquent le cinéma des frères Cohen ou, plus encore, celui de Stephen Frears, tout en étant facilement transposables ailleurs que dans les décors américains. Plus fournis également en dialogues, son adaptation semble plus évidente qu'Un petit boulot, avec un langage simple, direct. 

En tout cas, c'est pour moi une confirmation : cet auteur et ses romans sont très plaisants, faciles à lire. Le regard complice, amusé, de Iain Levison a le don de transformer la chronique sociale en comédie intelligente et touchante, avec des personnages attachants.

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