mardi 21 juillet 2015

Critique 671 : PIN-UP, EDITION INTEGRALE CYCLE 3, de Yann et Berthet


PIN-UP : EDITION INTEGRALE CYCLE 3 rassemble en un seul volume le tomes 7 à 9 de la série, écrits par Yann et dessinés par Philippe Berthet, publiés par Dargaud.
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PIN-UP : LAS VEGAS est le 7ème tome de la série (et le premier du 3ème cycle), écrit par Yann et dessiné par Philippe Berthet, publié en 2001 par Dargaud.
Cette histoire se termine dans le tome 8.
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Dottie est devenue physionomiste au casino "Flamingo", tenu par Gus Greenbaum, à Las Vegas. En coulisses, les propriétaires de ces établissements, financés par la mafia, s'organisent pour dissuader Hugh Hefner, le patron du magazine de charme "Playboy", de lancer le "Golden Rabbit" dans les murs de l'ancien "New Frontier".
Dottie est harcelée par Frank Sinatra, qui se produit au "Sands", et doit composer avec les accès suicidaires de sa co-locataire, Millicent, fille du défunt parrain Bugsy Siegel, dont le mythique magot caché attise encore les convoitises. 
Sinatra provoque le renvoi de Dottie qui est alors approchée par Pinky, la maîtresse de Hefner, pour devenir la future directrice du "Golden Rabbit". Mais la tâche s'annonce délicate à cause la jalousie de Pinky, les happenings de militantes féministes et les manoeuvres de la pègre...

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PIN-UP : BIG BUNNY est le 8ème tome (et le 2ème du 3ème cycle) de la série, écrit par Yann et dessiné par Philippe Berthet, publié en 2002 par Dargaud.
Ce tome conclut l'histoire débutée au tome 7.
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"Snaky", un GI de retour du Vietnam, assiste aux obsèques de sa fiancée, une des playmates de Hugh Hefner dont l'assassin court toujours. Dottie fait sa connaissance à cette occasion et ils ne tardent pas à devenir amants.
Gus Greenbaum, croyant capturer Dottie, kidnappe Pinky et en profite pour la mutiler afin d'obtenir d'Hefner qu'il renonce à son projet de casino. Au même moment, Virginia Hill, qui fut la maîtresse de Bugsy Siegel et qui gère désormais les affaires d'Hefner à Chicago, arrive à Las Vegas en espérant y retrouver le butin de son défunt amant - ce qui l'opposera fugacement mais violemment à Dottie, qu'elle confond avec Millicent.
"Snaky" fausse subitement compagnie à Dottie quand il apprend à la télé que Jane Fonda participe à une manifestation pacifiste à Los Angeles : il veut la tuer après avoir échoué dans ce projet au Vietnam car il estime qu'elle trahit l'engagement de l'Amérique.
Gus Greenbaum, désormais débarrassé de Hefner, tente de convaincre Dottie de revenir au "Flamingo" mais elle refuse - et pour ne plus être ennuyée, elle le dénonce à la brigade des stupéfiants après l'avoir piégé.
Puis la jeune femme part loin de Las Vegas, après avoir vendu sa voiture à un joueur : direction Hawaï.
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PIN-UP : VENIN est le 9ème tome (et le dernier du 3ème cycle) de la série, écrit par Yann et dessiné par Philippe Berthet, publié en 2005 par Dargaud.
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Dottie réside désormais à Hawaî où, pour se protéger de la mafia, elle circule sous une fausse identité. Pour vivre, elle chasse les serpents aquatiques dont elle extrait le venin revendu à un laboratoire pharmaceutique. Mais cela ne suffit pas à semer la tueuse lancée à ses trousses : Dottie trouve alors refuge parmi une étrange communauté formée par des kanaks adeptes et dessinateurs de tatouages…

Cette troisième Intégrale diffère des deux précédents puisqu'elle ne propose pas un seul récit en trois épisodes mais d'abord un diptyque et un one-shot : c'est là un signe frappant de l'évolution éditoriale de la série après l'accueil critique et public mitigé du 2ème cycle. On notera aussi que si les tomes 7 et 8 ont été réalisés en 2001 et 2002, le tome 9 n'aura été livré qu'en 2005 - désormais le titre ne se déclinera plus qu'en récit complet d'un épisode et à intervalles de plus en plus irréguliers, les auteurs s'engageant dans d'autres projets (nombreux et très inégalement intéressants pour Yann, plus sélectifs pour Berthet).

L'aventure de Las Vegas est une heureuse surprise : on y renoue avec le meilleur de Pin-Up. Le cadre et l'époque étaient parfaitement désignés pour une série comme celle-ci puisque l'intrigue est construite autour du patron du magazine de charme "Playboy" : Hugh Hefner. A la sortie du tome 7, Yann ne cachait pas le plaisir qu'il avait pris à imaginer ce récit et à se documenter sur ce qui le compose (on le comprend, et quand on s'y intéresse à son tour, on découvre que cela dépasse le simple attrait érotique).

Las Vegas, c'est aussi une manière de convoquer toute une mythologie américaine ayant connu une sorte d'âge d'or dans les années 60, avec les casinos, les crooners qui s'y produisaient et les liens que les établissements et les vedettes entretenaient notoirement avec la mafia. Logiquement, Yann fait de Frank Sinatra, figure emblématique de l'époque, un des seconds rôles mémorables de cette histoire en le faisant courir après Dottie : le portrait qu'en dresse le scénariste n'est pas tendre, il préfère mentionner la muflerie du chanteur-acteur que ses talents de performer, et le procédé rappelle le traitement infligé à Milton Caniff et Howard Hughes précédemment. Mais c'est amusant et l'impact sur la trajectoire de Dottie est astucieux.
Frank Sinatra devant la façade du casino "Sands".

Dottie elle-même, si elle ne vieillit miraculeusement pas physiquement, s'est considérablement endurcie depuis sa première apparition et il est évident qu'à travers elle, c'est désormais Yann, le cynique à la langue bien pendue, qui parle, à coups de répliques vachardes, souvent savoureuses. Le contraste entre l'extrême beauté de l'héroïne et son caractère féroce en fait une des créatures les plus irrésistibles et puissantes de la BD moderne : pas besoin dans ces circonstances d'affirmer que les auteurs n'ont pas voulu la réduire à une belle plante, elle n'a peur de rien et calme tous les mâles en quelques mots, quand ils ne sont pas envoûtés par elle.

L'intrigue est très plaisamment développée avec l'ambition d'Hefner (nabab équivalent à Howard Hughes, mais envers lequel Yann se montre bien plus indulgent : n'a-t-il pas déclaré qu'il aurait aimé être soit Walt Disney, soit le boss de "Playboy" ?) de diriger son propre casino en toute indépendance, contre donc la mafia qui avait la main basse sur ces établissements. Le scénario sait rester à distance raisonnable de ce qui aurait été un argument facile pour attirer les lecteurs les plus voyeurs en ne montrant guère les playmates et toutes les parties à la Playboy Mansion, préférant animer une authentique modèle du magazine dans un registre souvent humoristique avec Pinky - qui est inspirée de Barbi Benton (alias Barbara Klein), miss Juillet 1969.
La playmate Barbi Benton, le modèle de Pinky.

A la fin de Big Bunny (référence au jet privé de Hugh Hefner, rebaptisé ici "Bunny One" comme le "Air Force One" des présidents américains), Dottie prend la direction d'Hawaï. Et il faut bien admettre que ce qu'elle va y vivre est moins intéressant, même si le tome 9 conserve une originalité certaine. 

Il est d'ailleurs troublant de remarquer que Pin-Up est une série où le graphisme et les scripts ont évolué de façon inverse : le trait de Berthet n'a cessé de gagner en sensualité, en finesse, avec une colorisation subtile (désormais due à Bernard Denoulet), au point de devenir l'argument de vente principale du titre et de ses dérivés dans le merchandising, quand les histoires de Yann, sont passés de sagas d'envergure à des oeuvres de moins en moins cohérentes, dont Venin est le symbole criant.

En inscrivant sa série dans une temporalité soulignée, au gré des conflits armées et d'autres événements historiques, Yann n'a pas su éviter le piège d'animer une héroïne qui ne vieillit pas physiquement malgré les années qui défilent. De plus, alors que les premiers tomes de Pin-Up séduisaient par leur mélange de fantaisie et de documentation, ce 9ème opus se complaît dans une collection de clichés exotiques pour un récit capillotracté.

Passe encore que Dottie ait été tour à tour ouvreuse de cinéma, modèle pour un comic-strip, épouse d'espion, physionomiste, mais la voilà désormais pêcheuse de serpents. Si on accepte cet aspect complètement invraisemblable, c'est encore assez savoureux, mais sinon, on peut s'interroger sur la tentation parodique de l'auteur.

Encore une fois, c'est visuellement que l'album gagne à être lu : Berthet, aussi à l'aise dans la Sin City que dans les décors paradisiaques des îles de la Polynésie, produit des planches somptueuses où son héroïne irradie. 

Le méchant de l'affaire, très inspiré par le Docteur No de James Bond, ou la rivale manchot sont plus amusants qu'inquiétants, mais le savoir-faire de l'équipe créative suffit à ce que le lecteur tourne les pages sans jamais décrocher.

Et après ? Il y aura la brêve tentative d'une série futuriste, injustement incomprise, Yoni (deux tomes parus), et le spin-off  Les exploits de Poison Ivy. Yann et Berthet attendront 2011 pour revenir à leur Pin-Up, reconvertie en détective amateur, dans un album intitulé Le dossier Alfred H. (comme Hitchcock). 

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