lundi 20 juillet 2015

Critique 670 : PIN-UP, EDITION INTEGRALE CYCLE 2, de Yann et Berthet


PIN-UP : EDITION INTEGRALE CYCLE 2 rassemble en un seul volume le tomes 4 à 6 de la série écrite par Yann et dessinée par Philippe Berthet, publié par Dargaud.
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PIN-UP : BLACKBIRD est le 4ème tome (et le premier du cycle 2) de la série, écrit par Yann et dessiné par Philippe Berthet, publié en 1998 par Dargaud.
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Francis Gary Powers était aux commandes de son U2 Grevdlosk pour y photographier, pour la CIA, la base russe de Mchanina quand il est abattu en vol. Il s'éjecte de son appareil plutôt que de mourir lors du crash et il est fait prisonnier.
Aux Etats-Unis, le milliardaire Howard Hughes apprend la nouvelle et charge Jeff Chouinard de savoir si Powers a survécu. Le détective lui révèle que le pilote est marié à Dorothy "Dottie" Partington, l'ancien modèle des comic-strips de "Poison Ivy".
La jeune femme est accablée par la disparition de son mari et le comportement de son beau-fils, Rusty, qui la déteste et fugue.
De son côté, Milton, le dessinateur de "Poison Ivy", qui anime désormais la série "Steve Canyon", espère aussi tirer parti de la situation, harassé par sa femme Tallulah et leur fille (prénommée Dottie).
Gary comprend que les russes veulent connaître l'altitude maximale que peut atteindre un U2 afin de peaufiner la portée de leurs missiles, mais s'il a été touché, c'est parce que son engin a été saboté. Par qui ?
Dottie récupère Rusty dans la zone 51, une base militaire du Nevada. Sur le route du retour, ils s'arrêtent au Bates Motel. Dans la nuit, elle est enlevée par plusieurs hommes qui l'emmènent chez Howard Hughes : le milliardaire promet de faire libérer Gary si elle consent à tourner un film et à coucher avec lui...
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PIN-UP : COLONEL ABEL est le 5ème tome (et le 2ème du cycle 2) de la série, écrit par Yann et dessiné par Philippe Berthet, publié en 1999 par Dargaud.
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Dottie a entamé le tournage de l'adaptation des aventures de Poison Ivy produite par Howard Hughes, avec Robert Mitchum comme partenaire.
Le colonel Abel, chef du réseau des espions russes sur le sol américain, confie à Gladys la mission d'éliminer plusieurs de ses éléments soupçonnés de trahir leur pays. Elle loge Hayhanen mais il lui échappe en la blessant.
En Russie, Gary est condamné à une peine de dix ans de prison, au lieu de la peine capitale, grâce à l'influence de Howard Hughes auprès de Khroutchev. Dottie, qui a assisté au procès, rentre aux Etats-Unis, désespérée. Mais l'avion de la TWA à bord duquel elle se trouvait avec Chouinard s'écrase et elle est portée disparue.
Milton, de son côté, s'inspire de la mésaventure de Gary pour le comic-strip de "Steve Canyon", ce qui lui attire les foudres des autorités et sa mise sous surveillance par Gladys...  
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PIN-UP : GLADYS est le 6ème tome (et le dernier du cycle 2) de la série, écrit par Yann et dessiné par Philippe Berthet, publié en 2000 par Dargaud.
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L'agent Hayhanen a négocié son impunité avec la CIA et, en échange, il leur livre le colonel Abel. L'arrestation de ce dernier provoque l'arrivée en Amérique de l'agent Lioubov, précédemment chargée de la garde de Gary (qui a trompé Dottie avec elle), et de Likhoï pour prêter main forte à Gladys dans le "gel" du réseau.
Chouinard, qui a aussi survécu au crash, retrouve Dottie en suivant Milton qu'elle a contactée pour lui demander de l'argent : le détective ne veut plus travailler pour Hughes qui l'a trop humilié mais veut aider la jeune femme qui lui remontait le moral à Iwo Jima via les comic-strips de "Poison Ivy". Mais Angell, le bras-droit de l'enquêteur, le trahit pour empocher la récompense promise par le milliardaire. Dottie réussit à s'échapper et Chouinard se sacrifie pour elle.
Gladys comprend que Lioubov la supprimera quand le réseau sera décimé et préfère se suicider.
Dottie retourne chez Hughes et lui accorde une faveur sexuelle afin qu'il tienne sa promesse de faire rentrer Gary. Mais elle découvre au même moment son mari à la télévision de retour en Amérique et embrassant Lioubov, qui coopère désormais avec la CIA...

Ce deuxième cycle de la série a suscité des commentaires moins flatteurs de la critique et du public, qui l'a d'ailleurs moins acheté que les trois premiers tomes : on a reproché à Yann et Berthet une intrigue trop complexe et une certaine complaisance dans l'exploitation de l'érotisme du titre - blâmes qui ne sont pas complètement infondés, quoiqu'un peu sévères. Mais cela a impacté notablement la série, dont le cycle suivant ne comportera que deux épisodes, rompant aussi avec des éléments et personnages familiers.

Après avoir pris pour cadre la seconde guerre mondiale et les années 40, ces trois nouveaux chapitres se situent entre la fin des années 50 et le début des années 60, au coeur de la guerre froide, lorsque les relations diplomatiques entre les Etats-Unis et l'URSS étaient au plus mal et qu'un conflit nucléaire menaçait le monde à cause de cela.

Yann ne s'embarrasse pas de précisions sur la politique et le contexte historique, il se contente de l'évoquer à grands traits comme pour inviter/forcer (selon l'humeur avec laquelle on aborde sa méthode) le lecteur à s'informer tout seul de son côté pour en savoir davantage. C'est audacieux mais guère confortable si on n'a pas révisé cette période. Il procède de la même manière, très elliptique, pour disposer ses personnages, et c'est encore plus frustre car on retrouve Dottie dans une situation tout à fait différente de celle où on l'avait quittée à la fin du tome 3 : la voilà mariée à un pilote espion de la CIA avec un beau-fils qui la déteste (alors qu'au terme du cycle 1, elle renouait avec Joe Willys, qui se contente d'une apparition dans ce nouveau récit).

Rétrospectivement, on peut donc comprendre que les fans de la "saison 1" de la série n'aient que peu apprécié cette entrée en matière, et guère plus son développement, menée certes tambour battant mais sans préparation. Le vrai problème qui va se poser ensuite, c'est qu'on a souvent le sentiment de lire moins les nouvelles aventures de l'ex-pin-up, quand bien même son passé lui revient en pleine figure d'une façon perverse, qu'une affaire d'espionnage typique des années 50, avec une collection de seconds rôles inégalement exploités.

Ce qui fonctionnait superbement dans le premier cycle, avec deux ou trois niveaux de narration (la carrière de Dottie, la guerre vécue par Joe, la mise en abyme avec le comic-strip de "Poison Ivy" par Milton), est beaucoup moins fluide ici et de nombreux effets semblent forcés. Le plus notable de ces problèmes réside dans l'utilisation de l'érotisme : quand les trois premiers tomes s'en servaient de manière suggestive, ludique et justifiée ; là, même si Berthet s'en est défendu, on ressent une complaisance certaine quand plusieurs personnages succombent au charme d'autres, aboutissant à des représentations dénudées trop répétitives.

Gary trompe bien vite Dottie avec Lioubov, Milton est toujours aussi obsédé par Dottie (au point d'avoir donné son prénom à sa fille - un artifice lourdingue), Dottie est convoitée par Howard Hughes, a provoqué la mutilation de Chouinard, s'abandonne dans les bras de Gladys... Certaines scènes frisent le ridicule comme l'étreinte entre la pin-up et la tueuse sous la douche. Et sur bien des points, les invraisemblances plombent le récit (Gladys avec son physique de mannequin, noire et russe à la fois). 
Quant à Howard Hughes, même si le personnage était, c'est avéré, aussi névrosé en réalité que ce qu'écrit Yann, il n'est en vérité que la déclinaison du motif libidineux incarné par Milton dans le premier cycle, l'effet de surprise en moins, les machinations et la fortune en plus : il y avait moyen d'employer cette figure mystérieuse et célèbre de meilleure façon, mais le scénariste n'a pas su trouver la bonne distance pour le faire (tout comme sa manière d'employer Milton Caniff en le réduisant à un éternel soupirant pathétique devient embarrassante à cause du mépris qu'il lui inspire - on a le droit de ne pas aimer un artiste, fusse-t-il génial, mais à ce point, ça devient de l'acharnement et ce n'est même plus traité avec humour).

Voilà en somme un des travers de Yann : c'est un conteur très habile, documenté, qui distribue des rôles bien sentis dans des bandes dessinées qui ne manquent que rarement de caractère. Mais c'est aussi un auteur qui ne ménage personne, ni ses créatures, ni ses têtes de turc, ni ses lecteurs (encore moins les critiques), et cela peut vite passer pour une forme de suffisance, qui déteint sur sa production. Pin-Up est certainement un de ses titres les plus aimables, mais il a peu gâché son affaire avec ces trois tomes qui suintent d'une étrange agressivité : on a l'impression d'un type finalement peu satisfait du succès des débuts de sa série et qui s'échine à la rendre antipathique.

Pourtant, quand à la fin du tome 6, toutes les pièces du puzzle sont assemblées et dessinent cette nouvelle saga, on se rend compte que, hormis quelques facilités et une décompression narrative un peu trop visible (effectivement, deux épisodes seulement auraient atténué ces défauts), c'est efficace, original, ambitieux : séduisant donc, malgré tout.

Philippe Berthet ne souffre pas de critique comparable dans sa partie : sa prestation est remarquable et permet d'apprécier de nouveaux atouts. Dès les premières pages de cette histoire, l'artiste affiche d'épatantes dispositions pour représenter les avions, notamment le fameux U2 au centre de l'intrigue. Il ne fait pas que bien le dessiner, il s'en sert comme d'un objet iconique au moyen duquel il effectue des enchaînements inspirés (l'engin de Gary s'écrase, le jouet de son fils Rusty brise le verre d'une vitre).

A plusieurs reprises, Berthet va découper ses planches en jouant sur les transitions spatiales grâce à la lumière qui fait place aux ténèbres, à la ville qui cède la place au désert (de la zone 51) ou la campagne (où se crashe l'appareil de la TWA), de la torture subie par Gary aux assauts sexuels de sa geôlière Lioubov, etc. Tout se meut autour de contrastes forts (la peau blanche de Dottie et celle noire de Gladys, la réalité en couleurs et le noir et blanc du film produit par Hughes, le jour du dehors et l'obscurité de la chambre du milliardaire).

Les cases sont parfois audacieusement placées et détonent avec le découpage classique du premier cycle : par exemple, une scène avec Gary dans une cellule de prison russe est disposée selon un plan général dans lequel sont insérées six vignettes latérales (trois à droite, trois à gauche), signifiant le cheminement de sa réflexion à cet instant et sa réaction. Berthet qui aligne les pages en trois bandes triche avec ses propres règles en en superposant parfois quatre, voire cinq, mais dans une composition d'ensemble qui ne rend pas tout de suite sensible cet empilement. 

Ces constructions graphiques répondent à une narration dont j'ai souligné l'étonnante brusquerie. Mais l'effet est atténué par la représentation des personnages, toujours aussi élégante et racée, avec un trait égal, mais des à-plats noirs plus importants (là aussi en rapport avec l'ambiance plus lourde). Trois femmes dominent la distribution : l'agent Lioubov avec ses cheveux blonds et son visage qui masque à peine le feu sous la glace ; Gladys dont la couleur de peau atypique par rapport à son origine dégage une surprenante délicatesse dans son rôle de tueuse lesbienne ; et bien entendu il y a toujours Dottie, dotée d'une nouvelle coupe de cheveux mais à la classe intacte, avec cette détermination irrésistible.

Ces trois créatures éclipsent les hommes qu'elles croisent, comme le falot Gary (dont on n'arrive jamais à croire qu'il puisse inspirer un tel dévouement chez Dottie), Howard Hughes (trop détraqué et sans nuances pour qu'on éprouve la moindre sympathie à son égard), ou Robert Mitchum ("guest" de luxe mais un peu gadget, et Berthet loupe complètement). Seul Jeff Chouinard (malgré son nom grostesque) sort du lot, avec une évolution intéressante.

Ce deuxième cycle est donc globalement décevant : ses qualités narratives et visuelles ne rattrapent jamais suffisamment ses défauts, même si sa lecture n'est pas déplaisante. C'est la promesse de nouvelles aventures à Las Vegas, annoncées en dernière page du tome 6, qui convainc de suivre encore la Pin-Up la plus craquante de la BD franco-belge.            

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