MONSIEUR JEAN : LES FEMMES ET LES ENFANTS D'ABORD est le troisième tome de la série, écrit et dessiné par Philippe Dupuy et Charles Berberian, publié en 1994 par Les Humanoïdes Associés.
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Comme dans les deux précédents tomes, ce nouvel album de la série continue d'exploiter des histoires de longueur variable (de 4 à 14 pages) et explore le quotidien du héros.
Il serait pourtant faux de croire que les deux auteurs se contentent de prolonger une formule qui leur a valu un beau succès critique et public : Dupuy et Berberian continuent à développer la forme comme le fond de leur série avec cinq nouveaux chapitres dont le thème central est la relation amoureuse.
Trois récits sont basés sur des personnages féminins qui, chacun à leur manière, vont bouleverser le petit confort de Monsieur Jean :
- d'abord, on trouve Véronique, la femme de Jacques, enceinte et en pleine crise conjugale à cause de sa grossesse. Elle soupçonne son mari de lui être infidèle car elle n'est plus désirable et débarque en pleine nuit chez Jean pour qu'il l'héberge. CE qu'elle ignore, c'est que si Jacques est rentré si tard chez eux, c'est parce qu'il a passé la soirée avec Jean ! Cette pirouette narrative donne une saveur acide à ce chapitre où le héros est confronté aux contraintes qu'impose la vie de couple et quand, à son tour, il bat en retraite, il revient chez ses parents qui, voyant sa mine froissée par le manque de sommeil, le soupçonne d'avoir une nouvelle petite amie.
- Le cas de Manuvera donne matière à un segment très drôle même si, là encore, Jean va en voir de toutes les couleurs. Rencontrée dans une salle de gym où Jean a été traîné par Clément, cette belle brune est une amante volcanique, obsédée par la chanson d'Alain Chamfort au point de s'être rebaptisée. Elle a juste omis d'avertir notre héros que son ex-petit ami, un champion de musculation, est très encore très amoureux d'elle et très jaloux.
- Enfin, il y a Cathy, personnage important qui va devenir récurrent dans la série. C'est l'occasion d'un retour en arrière pour Jean qui se rappelle leur rupture lors d'une ses permissions durant son service militaire, sur l'air d'une fameuse chanson des Beatles (Norvegian Wood).
Cathy est également présente dans le dernier épisode de ce tome où Jean accompagne Véronique et Jacques, à peu près réconciliés et désormais parents de jumeaux, qui ont aussi invité la jeune femme en ignorant leur romance passée.
Entretemps, on a droit à une sorte d'intermède réjouissant : Jean apprend que la propriétaire de son appartement va doubler son loyer et il cherche donc un nouveau pied-à-terre. Il doit composer avec les présences de Félix, en pleine déprime après que Marlène l'ait mis à la porte en lui confiant son fils Eugène. Au même moment, un des voisins de Jean, M. Zajac, retraité, tente de se suicider : les autres locataires acceptent alors de le recevoir à dîner à tour de rôle pout tenter de lui remonter le moral. Cette obligation va pourtant sauver la mise du héros en lui permettant de conserver son logement.
Dupuy et Berberian emploient un procédé à plusieurs reprises dans cet album : Jean se rêve en roi, d'abord aveugle et sourd (lorsqu'il a une liaison avec Manureva) puis esseulé et sur le point de devoir s'exiler (quand il se prépare à déménager), d'un château assiégé par des femmes l'attaquant avec des catapultes dont les projectiles sont des nourrissons. Cette vision délirante est à la fois drôle et angoissante car elle traduit une fois encore l'inaptitude du héros à surmonter les événements auxquels il est confronté, qu'il s'agisse de la crise que traversent des proches, des assauts d'une femme, de l'occupation de son chez-soi par son ami, du souvenir de la rupture avec son premier amour.
Ce n'est qu'en retrouvant Cathy et en acceptant de lui pardonner le mal qu'elle lui a infligé dans sa jeunesse qu'il dépasse ces situations subies. Est-il capable de s'engager ? C'est toute la question et les auteurs abandonnent leurs lecteurs sans réponse à la fin de l'album. Il aura fallu s'armer de patience pour découvrir la suite puisque Dupuy et Berberian, visiblement aussi rongés par le doute que leur héros, mettront quatre ans avant de publier un quatrième tome. C'est là aussi le défi de raconter des histoires en prise directe avec un personnage qui a sensiblement le même âge qu'eux, semblant évoluer au même rythme que ses créateurs, avec le délai que créé l'assimilation des expériences de l'existence.
Graphiquement, il est intéressant de noter que si le trait ne connaît pas de modifications sensibles, le découpage se fait plus dense, avec des planches dont le nombre de vignettes ainsi que leur dimension varient.
L'usage de "gaufriers" est plus apparent, mais l'emploi de cadres alternatifs est aussi manifeste (par exemple, page 20, deux bandes avec une rangée de quatre grandes cases verticales pour la première suivie d'une seconde rangée de quatre moins hautes pour permettre d'illustrer un va-et-vient entre rêve - où Jean, en monarque croupit au fond d'une oubliette - et réalité - où Manureva lui annonce qu'elle a renoué avec son culturiste).
Les personnages sont tracés à la pointe tubulaire, avec une égale épaisseur, mais les plans sont rehaussés d'à-plats noirs profonds et colorisés avec parfois de forts contrastes : l'album est d'ailleurs mis en couleurs par Dupuy et Berberian pour le premier chapitre, Véronique Grusseaux pour deux autres, et Claude Legris quitte la série avec les deux segments restants. On constate donc une volonté évidente des auteurs d'explorer de nouvelles ambiances.
Ce constat trouvera sa confirmation dans le tome suivant, avec en prime une vraie révolution narrative pour la série.
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MONSIEUR JEAN : VIVONS HEUREUX SANS EN AVOIR L'AIR est le quatrième tome de la série, écrit et dessiné par Philippe Dupuy et Charles Berberian, publié en 1998 par Les Humanoïdes Associés.
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Pour la première fois, Dupuy et Berberian abandonnent la structure des short stories pour produire un récit complet d'une traite avec ce quatrième tome.
Jean est en couple avec Cathy depuis un an, mais Félix lui rend la vie impossible car il ne s'occupe pas du petit Eugène et s'égare dans des projets professionnels improbables. Cathy, excédée par les tergiversations de Jean, finit par rompre en acceptant un poste à New York.
A ce premier choc en succède un autre quand Félix est hospitalisé après une chute idiote (il a voulu grimper la façade de l'immeuble où vit Jean car tous deux avaient laissé les clés de l'appartement à l'intérieur).
Jean doit donc emmener Eugène avec lui au mariage de deux amis à qui il offre le tableau d'un peintre des années 20 qui connut une romance tragique pour un de ses modèles. La noce se déroule dans une ambiance exécrable mais Jean y fait la connaissance de Marion, refusant toutefois de coucher avec elle.
De retour à Paris, Félix peut récupérer Eugène qu'il emmène à la campagne chez ses parents, permettant ainsi à Jean de partir à New York retrouver Cathy.
En lisant cette histoire, on comprend mieux pourquoi il a fallu tout ce temps à ses auteurs pour la réaliser : il s'agissait de rompre, comme leur héros, avec de tenaces habitudes, de s'aventurer hors de leur zone de confort.
En soi, ce récit n'a rien de renversant pourtant : il s'articule une nouvelle fois autour des errements sentimentaux de Jean, pris en tenaille entre la paix d'une vie de célibataire qui lui autorise quelques aventures amoureuses occasionnelles et le risque de s'engager dans une relation de couple (avec Cathy).
Mais ce qui va soumettre véritablement le personnage à l'épreuve d'un choix de vie, c'est en définitive l'expérience de la paternité : il devient en effet responsable d'Eugène que néglige Félix en s'enlisant dans des projets professionnels sans avenir puis que ce même Félix lui confie quand il ne peut réellement plus s'en occuper à cause de son hospitalisation. Sans cesse pris pour le véritable géniteur du gamin, Jean finit par accepter ce rôle, pas toujours de bonne grâce, mais sans se défiler, avec bienveillance.
La relation qui se tisse entre Eugène et Jean est touchante, on s'en émeut facilement car le gosse est à la fois attachant et insupportable, très bien traité par l'écriture des auteurs, qui ont le talent de ne pas en faire une caricature d'enfant. Cette justesse s'étend au reste des péripéties que traverse le héros avec une capacité métaphorique très élégante (le conte du poisson merveilleux par le restaurateur chinois, le destin tragique du peintre Zdanovieff et de sa muse Mauve dans le Montparnasse des années 20).
La circularité du récit se traduit dans le traitement de l'image avec un découpage très élaboré dont les compositions sont plus réfléchies qu'auparavant (là encore la scène dans le restaurant où une même image est segmentée en six parties donne une épatante fluidité à une page en "gaufrier" de neuf plans).
la simplicité du trait est toujours là, avec une volonté minimaliste qui évoque bien entendu le style atome et la ligne claire, mais avec une épaisseur plus prononcée qui confère de la spontanéité au dessin, un souci manifeste de ne pas tomber dans un résultat trop esthétisant, trop joli, trop détaillé.
La colorisation a encore changé de mains et Isabelle Busschaert effectue un boulot remarquable avec une palette finalement assez réduite, où dominent les bruns, les jaunes, appliqués en à-plats, sans trop de nuances. Cela colle parfaitement avec le graphisme économe mais expressif de Dupuy et Berberian, qui usent davantage du pinceau directement pour l'encrage.
La série s'affirme comme une production à laquelle ses auteurs se consacrent avec exigence : facile à lire, elle diffuse pourtant un lot d'émotions très variées et subtilement transcrites, avec une mise en images dont la simplicité évoque surtout l'épure.
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