Avant toute chose, je précise que si cette critique ne tient pas compte du tome 25 (La ville-fantôme), c'est tout simplement parce que je n'ai pas pu me le procurer (et donc le relire pour en parler) : cela fait longtemps que je n'en possède plus d'exemplaire, et la bibliothèque municipale où j'emprunte les albums ne l'a plus dans ses rayons non plus...
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LUCKY LUKE : LA CARAVANE est le 24ème tome de la série, écrit par René Goscinny et dessiné par Morris, publié en 1964 par Dupuis.
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A Nothing Hill, Frank Malone, le capitaine d'une caravane, abandonne les colons si leur chef ne l'augmente pas. Pris au dépourvu, Andrew Boston convainc Lucky Luke, qui l'a défendu contre son ancien employé, de prendre la relève et de les mener jusqu'en Californie.
Le voyage est semé d'embûches et très long pour les "wagons ouverts" (l'autre nom donné à une caravane de chariots). Il faut veiller sur quatre divisions, affronter un climat rude, et surtout composer avec un saboteur qui a infiltré le groupe mais dont personne ne soupçonne l'identité - ce qui alimente les soupçons de chacun. Lucky Luke mène bien l'enquête, mais sans réussir à coincer cette fripouille.
Après une rencontre avec les Sioux et à l'approche de la Côte Est, le malfrat est pourtant démasqué in extremis mais il faut encore l'appréhender...
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LUCKY LUKE : LES DALTON SE RACHETENT est le 26ème tome de la série, écrit par René Goscinny et dessiné par Morris, publié en 1965 par Dupuis.
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Le sénateur Jonas O'Joice qui siège à la Cour Suprême convainc ses pairs d'un projet de loi : il s'agit de soumettre à la probation des condamnés en liberté provisoire. Pour tester cette mesure, on fait appel à Lucky Luke à qui il est annoncé que les Dalton vont être relâchés.
Le cowboy conduit donc les quatre frères (qui étaient sur le point de s'évader) à Tortilla Gulch où ils ont un mois pour prouver qu'ils peuvent devenir des citoyens honnêtes et fiables. Bien entendu, Joe compte surtout tenir jusque là pour ensuite reprendre ses activités criminelles, et se venger de Lucky Luke.
D'abord effrayée par la présence des Dalton, la population leur accorde ensuite leur chance et la suite semble leur donner raison puisque les frères se comportent exemplairement.
Mais Lucky Luke veille et il a raison.... Quoique la bêtise des bandits surpasse leur méchanceté et les perdra.
Mine de rien, ces deux tomes marquent un (petit) tournant dans la série et ce, pour une raison d'abord graphique : c'est en effet à partir de là que Morris va poser le look définitif de son héros. Pour s'en rendre compte, nul n'est besoin d'avoir un regard très exercé : la silhouette et surtout le visage s'affinent, et la bouche en particulier n'a plus l'air d'une moue mais bien de lèvres retroussées au bout desquelles se trouve la cigarette de Lucky Luke. Ce détail va donner au cowboy sa figure pour tout le reste de son existence (même le successeur de Morris, le médiocre Achdé, n'y touchera pas).
Morris aura donc eu besoin de trois étapes pour figer la "gueule" de son héros : à ses tout débuts, c'est encore un personnage dont la physionomie est très inspirée par les cartoons américains, puis il s'étire, adopte une attitude correspondant à son caractère flegmatique, et enfin il arrive à ce design, avec ce blue jean moulant et retroussé sur ses bottes éperonnées et marrons, sa chemise jaune, son bandana rouge, son gilet noir, son chapeau blanc. Son visage est un modèle de simplicité, qui a dû inspirer de nombreux enfants voulant le reproduire avec le nez dans le prolongement de son front sur lequel flotte une mèche de cheveux noirs, puis ses lèvres que la cigarette (avant le passage au brin d'herbe, pour une raison politique d'une stupidité rare - un responsable soutenait que Lucky Luke donnait envie de fumer à ses plus jeunes lecteurs...) paraît terminer, et ce menton annonçant un cou long et mince. Le tout encadré dans un ovale aux oreilles bien rondes et décollées, la nuque bien dégagée.
Un autre point spécifiquement visuel est remarquable dès le tome 24 : c'est la première - et la seule - couverture où une bulle apparaît. Certes elle ne contient pas de mots mais des symboles pour figurer les jurons du cocher Ugly Barrow. Mais c'est une curiosité notable.
Narrativement parlant, ces deux histoires sont de très bonnes qualités, même si, en vérité, elles ne sont pas follement originales. Goscinny évoque à nouveau la progression de colons escortés par Lucky Luke, en route cette fois pour la Californie. Le scénariste commet cependant une erreur qui gâche un peu son projet puisque l'identité du saboteur est évidente dès la première page et le suspense qu'il tente ensuite d'alimenter à ce sujet tombe donc à l'eau.
Heureusement, l'aventure demeure distrayante, avec une galerie de seconds rôles bien campés - l'institutrice finalement très moralisatrice (Miss Littletown), le coiffeur qui agrémente ses réparties d'expression "en français dans le texte" (efficace running gag pour M. Pierre), la trompette jamais réveillée avant Lucky Luke (Soufflerie Jones), et bien entendu le conducteur qui jure sans cesse avant qu'on ne découvre in fine le verbe si délicat (Ugly Barrow) - et des étapes variées - le désert (où tout le monde est assoiffé bien sûr), la confrontation avec les Sioux (et un gag merveilleux pages 34-35 : les indiens encerclent la caravane jusqu'à ce qu'ils s'endorment puis découvrent à leur réveil que les colons les encerclent à leur tour).
Goscinny en profite aussi pour caractériser Lucky Luke non plus seulement comme un cowboy-justicier-aventurier mais bien comme un personnage que sa réputation de redresseur de torts et d'as de la gâchette précède, ce qui explique qu'on fasse appel à lui en toute confiance, aussi bien pour le chef d'une caravane qu'au plus haut sommet de l'Etat. Cette dimension légendaire compensée par la modestie bonhomme du héros lui donne un relief très malin et justifie ses divers recrutements.
On retrouve ensuite un récit avec les Dalton en souhaitant d'abord qu'il soit plus relevé et abouti que les derniers en date (Les Dalton dans le blizzard, tome 22, et Les Dalton courent toujours, tome 23). L'originalité du postulat des Dalton se rachètent nous rassure vite puisque les frangins sont obligés de se comporter en honnêtes hommes s'ils ne veulent pas retourner derrière les barreaux à la suite d'un projet de loi.
La situation est bien exploitée par Goscinny qui en tire des gags inspirés sur un rythme soutenu. La présence des Dalton est aussi devenu un moyen pour le scénariste de dépeindre des civils souvent lâches, adeptes d'une justice expéditive : en vérité, il ne fait que rappeler le travers de la société américaine, majoritairement partisane de la peine capitale, dont le système policier et juridique abonde en bavures et erreurs de procédure. S'il ne s'agit pas de faire passer les Dalton pour des victimes, on voit bien que Goscinny les utilise comme des révélateurs des moeurs d'hier comme d'aujourd'hui. Les Dalton se rachètent a beau être une histoire qui a 50 ans, elle parle encore des Etats-Unis actuels avec un humour vachard mais juste.
Cependant, il ne faut pas non plus croire que cet album est une leçon de morale, même si son histoire a la forme d'une fable sarcastique. Goscinny l'écrit avec beaucoup d'habileté et le running gag sur l'amnésie de Ran-tan-plan (qui n'arrive plus à se rappeler qui est Lucky Luke et passe en revue tous ceux à qui il lui fait penser - de Billy the kid à Jesse James en passant par Joss Jamon ou... Calamity Jane) est imparable (la chute de tout ça l'est tout autant, avec un clin d'oeil à Jijé...).
L'autre clé de la réussite de ces deux épisodes tient au découpage de Morris qui souligne la densité comique des histoires : avec des planches d'une dizaine de cases en moyenne, on voit que le dessinateur a eu de la matière à illustrer, et il n'est jamais aussi bon que dans ce cadre-là car son style, avec son trait nerveux, donne sinon l'impression d'être trop simple, trop sommaire (c'est une fausse impression la plupart du temps, il suffit de voir la diversité des trognes, la justesse des décors, la mise en scène si adroite, pour s'en convaincre, mais justement cela est fait de façon si facile qu'on oublie l'effort exigé).
Dommage que je n'ai pu relire le tome 25 quand même. Mais le plaisir est quand même bel et bien là.
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