dimanche 7 juin 2015

Critique 636 : A LA POURSUITE DE DEMAIN, de Brad Bird


A LA POURSUITE DE DEMAIN est le nouveau film réalisé par Brad Bird (Les Indestructibles ; Ratatouille ; Mission : Impossible IV - Protocole Fantôme).
Le scénario est co-écrit par Brad Bird, Damon Lindelof et Jeff Jensen, adapté librement des attractions Carousel of Progress et It's a small world du parc de loisirs DisneyLand. La direction artistique du film est assurée par Scott Chambliss, avec la photographie de Claudio Miranda, les décors de Ramsey Avery et les costumes de Jeffrey Kurland.
Le film dure 2h 10 et il est sorti en France le 24 Mai 2015.
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1964 : la Foire Universelle de New York.

Casey Newton est une jeune fille, douée en sciences. Elle ne se résigne pas à la fermeture annoncée du site de Cap Canaveral où travaille son père ingénieur et pour retarder l'arrêt du centre, elle en sabote les installations jusqu'à ce qu'elle soit arrêtée en flagrant délit.
Au poste de police, Casey est libérée après le versement d'une caution et en récupérant ses affaires, elle y trouve un étrange pin's qui ne lui appartient pas mais qui, lorsqu'elle le touche, lui fait apparaître un monde futuriste qu'elle est seule à voir.
En renouvelant l'expérience, elle peut visiter Tomorrowland jusqu'à ce que la batterie du pin's soit déchargé. Elle cherche alors de informations sur le Net concernant la provenance de cet objet et fugue pour gagner la boutique de vendeurs de gadgets de collection. 
Les commerçants sont en fait des robots qui veulent s'approprier le pin's, quitte à tuer Casey quand elle leur jure ne pas savoir comment on le lui a transmis. L'intervention d'une fillette, Athéna, aux capacités physiques sur-développées, la sauve in extremis.
Ensemble, elles rejoignent le domicile du seul homme en mesure de renseigner Casey : Frank Walker. Athéna l'a connu autrefois, lors de la Foire Universelle à New York en 1964-1965, où, encore adolescent, il y avait présenté, sans succès, un jet-pack à David Nix, mais où il avait eu accès, sans autorisation, à Tomorrowland.
Seule avec Walker, qui vit en ermite, et ignorant qu'une brigade d'androïdes est à ses trousses, Casey apprend qu'il en a été banni mais aussi qu'elle brouille les probabilités que Tomorrowland soit détruit comme son hôte le lui assure.
En compagnie d'Athéna, Casey et Walker retournent donc sur place et y affrontent Nix qui refuse de croire que son monde puisse être sauvé, au prétexte que la civilisation provoquera toujours, quelle que soit la situation, sa propre perte en épuisant les ressources de la Terre et en se battant pour les exploiter abusivement... 
Demain - et ailleurs ? - : Tomorrowland.

J'ai été voir A la poursuite de demain parce que je suis d'abord un grand fan de Brad Bird depuis Les Indestructibles. Il a confirmé tout le bien que je pensais de lui ensuite avec Ratatouille, autre film d'animation (qu'il a grandement participé à sauver d'un scénario original mal écrit). Puis il a accompli avec brio sa transition vers le cinéma live en réalisant le quatrième volet de la franchise Mission : Impossible avec Protocole Fantôme (assurément le meilleur depuis le premier épisode de Brian De Palma).

Quand il a refusé le 7ème chapitre de Star Wars, son nouveau projet a fait frissonner de nombreux cinéphiles : quelle production pouvait être plus attractive pour un cinéaste qu'un gros succès programmé (même si, personnellement, je n'ai jamais été un fan du feuilleton sur grand écran initié par George Lucas) ?

La réponse s'intitule Tomorrowland (en v.o.) et si ce n'est pas le meilleur opus de son réalisateur, c'est tout de même un divertissement très plaisant, un beau film d’aventure, hommage aux inventeurs et aux rêveurs. Un authentique feel-good movie, de la science-fiction optimiste, généreuse. L'archétype d'un certain état d'esprit tel que celui qu'incarne les productions Disney.

Oh, j'en vois bien déjà certains qui froncent les sourcils à l'évocation de Disney : il est de bon ton de grimacer quand on entend ce nom car on assimile cela à des dessins animés souvent mièvres, mielleux, des films familiaux pour ne pas dire sirupeux. Les fans de comics sont encore plus acides depuis que ce géant du divertissement a absorbé Marvel, même si en vérité il est, dans les faits, plus difficile de pointer en quoi Disney influence les bandes dessinées ou en quoi leurs adaptations sur grand écran seraient corrompus par l'esprit du père de Mickey. Ce n'est pas si simple car, justement, Disney et tout ce qui en sort est, comme pour n'importe quel grand studio (n'importe quelle grande entreprise du spectacle), multiple, varié. Voyez Pixar : leurs créateurs n'ont pas été pervertis ou soumis à je-ne-sais-quel diktat depuis qu'ils sont dans le giron de cet empire.

Evidemment, le fait que A la poursuite de demain tire son origine de deux attractions de DisneyLand inspire une méfiance légitime : est-ce bien le terreau du cinéma que de pousser dans les parcs de loisirs ? Mais Pirates des Caraïbes a été développé de la même manière : même si la franchise a abouti à des films de moins en moins bons, le premier de la série reste un blockbuster qui a de l'allure.

Brad Bird ne cherche pas à dissimuler la provenance de son film et c'est quand il la souligne qu'il est d'ailleurs moins bon : le spectateur a alors plus le sentiment de visiter un dispositif bien balisé que de regarder un long métrage de fiction (voir les séquences où Frank Walker adolescent puis Casey Newton découvrent Tomorrowland comme n'importe quel touriste à Orlando).

Mais le cinéaste a un vrai regard, une vraie esthétique, une thématique bien à lui : les films de Brad Bird ont cette vision enchantée du monde où les utopistes combattent les cyniques, les pessimistes, les manipulateurs. On retrouve tout cela dans l'opposition entre Frank Walker et David Nix, la figure du successeur incarnée par Casey, le personnage de passeur-renfort d'Athéna.

En outre, le réalisateur est lettré et il convoque Jules Verne (l'auteur emblématique du roman d'aventure scientifique), Gustave Eiffel (le concepteur visionnaire, dont la Tour connaît là un usage inédit mais très ludique et spectaculaire), Thomas Edison et Nikola Tesla (les inventeurs géniaux et rivaux - on a attribué bien des trouvailles du second au premier dans les découvertes sur l'électricité) : cet aréopage est une équipe fondatrice de l'esprit du récit, dans ses dimensions fantaisiste et réaliste. Le film interroge le choix qui s'offre à l'humanité de suivre ceux qui imaginent un monde meilleur selon la liberté de leur esprit créatif ou ceux qui préfèrent s'en remettre à la seule raison sans compter avec les possibles de l'intuition.

L'ambiance et le design du film sont tout entier baignés dans une sorte de rétro-futurisme fantastique exaltant le génie technologique responsable et inspire confiance, même si le discours du "méchant" désigné de l'histoire ne manque pas de justesse quant à cause du malheur que l'humanité subit et dont elle est souvent responsable. Tomorrowland, c'est aussi une question de foi, de conviction - ce qui a fait dire que la scientologie inspirerait Brad Bird (propos tenus, dans Charlie Hebdo du 3 Juin 2015, par Christophe Gans, mais sans qu'il argumente).

Ce postulat rappelle aussi ce qui était à l'oeuvre dans le récent Les Nouveaux Héros (Big Hero 6, de Don Hall), aussi produit par Disney, avec son jeune héros féru de nouvelles technologies et confronté aux dérives/promesses de celles-ci (Tiens, il faudra que j'y revienne pour en écrire une critique, j'ai oublié de le faire au moment de sa sortie).
De gauche à droite : 
Frank Walker (George Clooney), Casey Newton (Britt Roberston)
et Athéna (Raffey Cassidy).

A la poursuite de demain tente donc beaucoup, mais ne réussit pas tous ses coups. La faiblesse principale et majeure du film tient dans la progression de sa narration. Déjà, l'exposition est trop longue, malgré une introduction savoureuse (les versions que donnent du futur Walker et Casey, dont on découvrira à la toute fin à qui ils s'adressent), mais les seconds rôles du père et du petit frère sont ennuyeux, clichés (le film aurait même pu facilement passer du petit frère).

Si la rencontre entre l'adolescente et le savant reclus se fait attendre, une fois celle-ci accomplie l'histoire décolle et aligne une série de scènes très dynamiques, avec une pointe d'humour et quelques clins d'oeil savoureux (la boutique des geeks requiert toute la vigilance du spectateur qui y reconnaîtra des reliques fameuses). Le détour par Paris offre aussi un moment d'anthologie, qui atteste du savoir-faire de Brad Bird.

L'arrivée à Tomorrowland, la réapparition du méchant, la révélation des enjeux contribuent aussi au plaisir intelligent fourni par le film : on n'a pas souvent l'occasion d'avoir une problématique inspirée de la fin du monde avec autant de richesse. Les arguments écologistes, la critique des excès de la civilisation occidentale moderne, le spectre des guerres de religion, l'évocation des manipulations politiques, le tout concentré dans une tirade pleine de panache et qui ne sombre pas dans une explication de texte moralisatrice ou trop complexe, voilà un vrai tour de force.

Par contre, la dernière partie du film pique un peu du nez et joue l'ellipse de façon un peu complaisamment, comme si soudain le réalisateur et son monteur s'étaient rendus compte qu'il fallait bien finir au risque de s'embarquer dans un format nettement plus long. D'une certaine manière, l'intrigue reste assez ouverte, même si une suite est improbable (le film a un beau succès, mais sans plus, et des personnages essentiels disparaissent, parfois sacrifiés comme certaines subplots).

A la poursuite de demain a donc à la fois une réelle ambition en termes de divertissement ludique, intelligent, esthétiquement ouvragé avec une mise en scène très élégante, une direction artistique magnifique (la photo, les costumes et les décors en attestent), un foisonnement certain et rare. Mais le début est un peu laborieux et le dénouement trop expéditif. 
David Nix (Hugh Laurie).

Brad Bird signe tout de même un bel hommage, au charme presque désuet (avec les allusions à la Foire Universelle de New York en 64, les flash-backs insistants sur l'enfance de Walker, le parallèle entre la jeunesse de Casey et les désenchantements de Walker et Nix, la condition spéciale d'Athéna - dont le look ne peut que rappeler celui d'une Audrey Hepburn fillette) mais avec les moyens d'une superproduction moderne, aux explorateurs, ceux qui veulent changer le monde (pour l'améliorer ou le dominer).

Le film possède même par moments une ambiguïté bienvenue avec certains de ses protagonistes, qui lui donne un relief atypique, audacieux (par exemple, l'amour d'enfance qui impacte la relation au présent de Walker, désormais quinquagénaire, et Athéna, restée fillette. Ou le caractère de Nix, qui n'est pas tant mauvais que résigné et préfère donc laisser son monde périr que compter sur une chance improbable d'être sauvé.).

L'interprétation procure également d'épatantes surprises. On peut s'amuser ainsi de voir s'affronter George Clooney et Hugh Laurie, dont les carrières présentent bien des similitudes (acteurs dans la force de l'âge - l'âge mûr - , étant tous deux connus la célébrité en incarnant à la télé un docteur - Ross dans Urgences pour Clooney et Dr House pour Laurie). Ils campent leurs rôles avec sobriété, déjouant toutes les appréhensions (Clooney n'évoluant pas dans un registre glamour dont il est devenu un symbole, Laurie ne surjouant jamais le méchant).

Mais il faut bien admettre que les deux stars se font voler la vedette par les deux jeunes filles qui les entourent : Britt Robertson, révélée dans une médiocre sequel de Scream, interprète avec beaucoup d'énergie et de fraîcheur une partition très casse-gueule où elle doit être en permanence dans un mélange d'émerveillement et de rébellion.
Mieux encore, il y a Raffey Cassidy, qui illumine le film avec son minois délicat et mélancolique. Son rôle est une merveille d'écriture, surprenant, et elle le joue avec nuance. Sa dernière scène avec Clooney dégage une émotion vibrante, sur des ressorts à la fois équivoques mais jamais malsains.

Alors, bien sûr, malgré de belles et bonnes idées, une mise en scène de grande classe, A la poursuite de demain n’est pas aussi magistral que ce qu'on pouvait espérer de la part d'un cinéaste du calibre de Brad Bird. En voulant en donner autant aux enfants qu'aux adultes, il peine à démarrer et finit un peu trop vite.
Mais entre ces deux bords du cadre, on restera reconnaissant au réalisateur et sa production de nous avoir livré une histoire fantastique intelligente et soignée portée par un évident et sincère enthousiasme pour le genre.

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