jeudi 4 juin 2015

Critique 634 : VACANCES FATALES, de Vittorio Giardino (avec Pierfrancesco Prosperi)


VACANCES FATALES est un recueil de huit récits complets écrits et dessinés par Vittorio Giardino (avec Pierfrancesco Prosperi pour le scénario du dernier), publié en 1991 par Casterman.
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(Extrait de Vacances Fatales : Hors Saison.
Textes et dessins de Vittorio Giardino.)

- 1/ Délicat frisson (3 pages) : Armand part en vacances au Maroc. Sa femme se fait passer pour une indigène afin de pimenter leur relation au mépris du danger.

- 2/ Humide et lointain (8 pages) : Gloria rencontre des amis en discothèque et leur explique que son mari, Marc Tomi, est parti seul en vacances à Bangkok. Il y fait la rencontre d'une Hmong qui l'entraîne chez elle avant qu'il soit assassiné... Sur l'ordre de Gloria.

- 3/ Safari (8 pages) : En touristes au Serengeti, Paola a la confirmation par son amie Bruna que celle-ci a eu une brève liaison avec son époux Franco. Lors d'une sortie safari, Paola profite que Bruna veuille chasser pour la tuer en faisant passer cela pour un accident. 

- 4/ Sous un faux nom (10 pages) : Lucia séduit un professeur d'Histoire sur le bateau qui les conduit à Capri, où elle habite dans une villa isolée. Après une nuit ensemble, elle le convainc de se faire passer pour son mari, Vincenzo, qui est resté à Naples et que personne ici ne connaît. Malheureusement la mafia envoie un tueur pour l'abattre. Cela offre l'opportunité au vrai Vincenzo de refaire sa vie avec sa femme maintenant qu'il n'est plus traqué. 

- 5/ Blanc comme neige (6 pages) : Diego préfère passer quelques jours à la montagne avec sa maîtresse plutôt que d'assister à un congrès. Mais il croise une amie, Lina, et craint qu'elle ne révèle son infidélité à son épouse et son beau-père, ce qui ruinerait sa situation. Sauf qu'il ignore que Lina est elle-même sur place en compagnie de son jeune amant. 

- 6/ Hors saison (8 pages) : Serge Bassi, éditeur ruiné, retrouve, apparemment par hasard, un ami d'école, Diego Furini. Il est invité à une soirée dans sa somptueuse villa et, après avoir couché avec une de ses maîtresses, il tente de le tuer pour le compte de ses créanciers, ennemis de Diego.

- 7/ La découverte de Pâris (22 pages) : Jan Duiven, peintre raté, retrouve à Venise son ami Pierro Zunnin, antiquaire sur le point de vendre un tableau rare, spolié à un riche juif par un officier nazi durant la guerre, au riche collectionneur Schwarz, lui-même marié avec Anna, amour de jeunesse de Jan. Duiven convainc Zunnin de renoncer à cette vente après avoir compris que Schwarz est le fils du nazi. 

- 8/ La troisième vérité (écrit par Pierfrancesco Prosperi et dessiné par Vittorio Giardino) (24 pages) : Vasco, un avocat, est l'amant de Janet Corsi, dont le mari, Guido, trouve la mort, victime d'un chauffard. Mais la police finit par estimer qu'il s'agirait d'un assassinat. Vasco craint qu'on ne les soupçonne, lui et Janet, qui veut refaire sa vie en Angleterre en extorquant une grosse somme à l'écrivain Stanley Benson, qui avait plagié les manuscrits de Diego, devenu ensuite son traducteur.

Dans la préface de l'album, Vittorio Giardino raconte la drôle d'aventure qu'il a vécu lors de la publication originale des premières histoires de ce recueil. Comme il s'était amusé à donner à plusieurs de ses personnages les visages d'amis, l'un d'eux s'était plaint qu'il le fasse mourir dans un épisode. Plus étrange encore, il fut ensuite contacté par un homme qu'il ne connaissait pas mais qui se reconnut dans un autre des protagonistes et qui voulut le rencontrer. 

La collision entre le réel et la fiction donne donc un relief inattendu à ce projet réalisé par un des grands noms de la bande dessinée italienne contemporaine, honoré par un Harvey Award en 1999 (pour sa série Jonas Fink). Plus qu'une collection d'histoires érotico-policières, c'est aussi une série de nouvelles dessinées sur le fait de (se) raconter des histoires - un jeu dont les héros se servent pour corser leurs relations sexuelles ou dont ils sont victimes au gré de leurs projets criminels.

Le format varie beaucoup d'un récit à l'autre et Giardino en tire à chaque fois le meilleur, qu'il s'agisse de décrire un couple tout prés de se faire tuer pour le plaisir d'ébats clandestins au Maroc ou pour conter le destin macabre d'un tableau en passant par des escapades à la montagne, Capri, en Afrique, ou les troubles querelles que la veuve d'un traducteur a avec un romancier.

Les six premières histoires sont des chapitres courts (de 3 à 10 pages), basés sur des situations où la sexualité domine : autant de variations sur le couple, l'adultère, la jalousie, la vengeance. C'est plaisant mais si parfois un peu facile, un peu complaisant. Tout cela n'est pas loin de ce qu'on peut lire chez Milo Manara, avec un cortège de créatures féminines d'une beauté confondante, que séduisent des hommes pas toujours aussi séduisants ou qui se donnent à des mâles crédules. Mais il faut reconnaître à Giardino qu'il sait y faire : tout cela est assez émoustillant, esthétiquement superbe, narrativement habile.

L'album se termine avec deux histoires plus longues (22 et 24 pages), proposant des intrigues plus denses, à tiroirs, avec une morale digne de fables cruelles. 

La découverte de Pâris dépasse les figures jusqu'ici classiques de l'érotisme (le personnage d'Anna ne s'y dénude d'ailleurs pas et celui de Duiven ne couche pas avec elle) pour évoquer la spoliation d'oeuvres d'art appartenant aux juifs par les nazis durant la seconde guerre mondiale : la chute est vertigineuse, inattendue, imprévisible, et on aurait presque préféré que Giardino concentre davantage ses efforts pour réaliser un album entier avec des récits de ce calibre plutôt qu'avec des short stories un peu polissonnes.

Aussi réussi dans le registre de la série noire, tout en assimilant admirablement la dimension érotique dominante du recueil, La troisième vérité est digne d'un polar à la James Cain. Le scénario est l'oeuvre de Pierfrancesco Prosperi, romancier et auteur de fumetti. Cette histoire d'avocat, de veuve, de romancier ayant établi sa carrière sur des manuscrits d'un autre, est palpitante et surprenante par son amoralisme, narré via la confession du héros à un de ses collègues pénalistes (qui le convainc de ne pas se dénoncer à la police !). 

Visuellement, Giardino s'inscrit dans la veine réaliste de la bande dessinée transalpine, son style est un mélange fascinant entre une ligne claire, épuré, au trait égal (par la grâce d'un encrage à la pointe tubulaire), et un souci du détail qui donne à ses décors une précision bluffante, à ses compositions une finesse confondante, sans jamais négliger des effets d'ombres et de lumières. 

Ce graphisme complet s'inscrit dans un découpage classique, avec un effet récurrent où certaines cases débordent sur la bande inférieure, comme pour traduire le déséquilibre qui s'empare des personnages, impacte le récit. C'est subtil mais accrocheur sur la durée. 

Les personnages féminins sont tous divins, ils dégagent un érotisme suggestif que la nudité ne fait que souligner. Giardino n'use pas de poses vulgaires, contrairement à Manara, ni ne s'attarde trop sur les ébats des couples qu'il met en scène. Il s'agit d'avantage d'utiliser la représentation de l'amour physique pour exciter le lecteur que pour souligner que le sexe est toujours là comme une arme, souvent pour soumettre les hommes, parfois précipiter leurs pertes ou révéler leurs désillusions. La fatalité qui accompagne ses vacances est toujours effective : on s'envoie en l'air avant de succomber.

Succombez donc aussi volontiers au charme vénéneux de ce recueil, divertissant, sublimement dessiné, et parfois superbement écrit. 

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