samedi 8 août 2020

FIRE POWER #1, de Robert Kirkman et Chris Samnee


Après un substantiel prélude de plus de 150 pages, Robert Kirkman et Chris Samnee sont désormais lancés dans la parution classique de leur creator-owned, Fire Power. Mais comme ces deux-là ne font décidément rien comme les autres, les deux premiers numéros sortent le même jour. Double ration donc et plaisir assuré.


Quinze ans après son séjour au temple du Poing Enflammé, Owen Johnson est rentré aux Etats-Unis où il a complètement refait sa vie. Il est marié à Kellie (une femme flic), avec qui il a deux enfants (Doug et Haley), et la famille habite un pavillon de banlieue.


Ce jour-là, c'est barbecue avec les parents adoptifs d'Owen, voisins, amis, collègues. Owen et sa fille vont faire quelques courses au supermarché du coin. C'est là qu'il est abordé par Ma Guang qui lui donne rendez-vous à Minuit dans un stade près de chez lui.


La journée se passe bien, au point que Owen oublie presque Ma Guang. Mais à l'heure de se coucher, il laisse son épouse se reposer et en profite pour rejoindre son ancien rival du temple. Celui-ci lui annonce que Wei Lun a disparu et lui demande de l'aider à le chercher.


Owen refuse, le ton monte, puis Ma Guang se retire en soulignant que son partenaire ne pourra pas toujours se cacher. En rentrant chez lui, Owen sent une présence étrangère...


La fin du Prélude de Fire Power nous projetait quinze ans après le passage de Owen Johnson au temple, sans plus d'explications. Que s'était-il passé entre temps ? Mystère. Mais ce bond dans le temps était une accroche très efficace pour donner envie de suivre les aventures du héros.

Si je comprends que certains attendront la parution en recueil de ce premier arc, j'aimerai quand même insister sur deux points. D'abord, le succès d'une série s'appuie sur celui de ses numéros mensuels, et donc attendre leur collection en recueils n'assure pas la survie d'un titre dans un marché concurrentiel (et impacté par la crise sanitaire) : donc, nous sommes responsables de la poursuite d'une série, si on zappe les mensuels, elle s'arrêtera faute de followers. Ensuite, il y a une excellente raison, outre la qualité de la série en question, pour se procurer Fire Power en floppies, ce sont ses bonus.

Car, en attendant le courrier des lecteurs, Robert Kirkman a eu l'idée de combler la fin de chaque numéro par une discussion avec Chris Samnee. Si vous êtes curieux des coulisses d'un comic-book, vous serez comblés. Mais pas que. Car les deux auteurs justifient leurs choix narratifs, graphiques (en n'oubliant ni la colorisation, magnifique, de Dave Stewart, ni le lettrage, excellent, de Rus Wooton) et nous instruisent donc sur la conception du titre. Enfin, vous aurez droit dans ce #1 à un sketchbook de Chris Samnee qui vous montre ses croquis préparatoires pour les personnages principaux (et, comme le dit Kirkman, "ce mec est vraiment bon").

J'ignore si ces extras seront repris en TPB (sans doute le sketchbook, mais la conversation in extenso, c'est moins sûr), donc vous voilà prévenus.

Une chose sur laquelle insistent Samnee et Kirkman, c'est le rythme. Le lecteur en est le maître. Il peut dévorer facilement cet opus en quelques minutes. Ou s'attarder sur les détails et prendre son temps. Personnellement, je suis souvent agacé par la vitesse à laquelle les fans lisent, on croirait qu'ils ont autre chose à faire et se pressent, négligeant l'examen des planches, le soin apporté à leur réalisation. Ce sont les mêmes lecteurs qui d'ailleurs, souvent, râlent, puérilement, au sujet des retards pris par certaines séries, comme si les auteurs étaient des machines juste bonnes à pisser de la copie et à dessiner, immunisés contre le fatigue, le manque d'inspiration, ou des avaries personnelles (maladie, blessures, etc.). Bref, comme le note Kirkman, soit il n'y a pas assez de substance et ça ne va pas, soit ça prend trop de temps à sortir... Et ça ne va pas non plus. Un conseil, amical : respecter les auteurs, les comics, si vous voulez qu'ils vous respectent en étant bien faits.

Je devine que parmi les esprits chagrins, qui refont le monde sur les forums ou se posent en experts dans les blogs, déploreront le contenu de ce premier épisode, qui nous montre en prenant son temps la vie désormais bien ordinaire de Owen Johnson, alors qu'on pouvait (légitimement) attendre de lire une BD pleine d'action, de baston et de boules de feu. Pourtant, c'est un passage obligé pour apprécier le reste, et surtout resituer le personnage et son histoire.

Ainsi Kirkman, en osant un chapitre calme comme celui-ci, insiste bien sur la rupture opérée par le héros entre aujourd'hui et les événements décrits dans le Prélude. Ce n'est plus un jeune homme à la recherche de réponses sur ses origines, un élève en arts martiaux, c'est désormais un adulte installé, marié, père de famille, qui a changé de vie. Qui a même tourné le dos à son passé aventureux. A demi-mots, on apprend que Lin Zang est morte (ou du moins qu'elle est présumée morte - son corps a été trouvée brûlée), que Owen a été suspecté de son meurtre alors que lui accuse Chou Feng (un autre membre du temple, qui est désormais à sa tête). Plus clairement, Wei Lun a disparu. Et Ma Guang resurgit pour demander à Owen de rentrer au temple et l'aider à retrouver leur mâitre.

Donc : l'air de rien, il est dit beaucoup de choses dans ce numéro où, en surface, il semble ne rien se passer d'exceptionnel. Il est encore trop tôt pour affirmer que Fire Power est une série qui cache son jeu, mais comme le prouve le deuxième épisode, il est évident que Kirkman n'a pas peur de dévoiler quelques surprises de taille, ce qui signifie qu'il en a sous le capot. Ce sentiment que la série affiche un matériel abondant est jubilatoire car cela attise notre curiosité et nous motive pour la suivre. Simple, malin.

Dans l'échange publié en fin de numéro entre les deux auteurs, Samnee révèle une anecdote révélatrice sur sa méthode. Avant qu'il ne perce dans le métier, il a couru les conventions et présenté des portfolios à d'autres artistes et des éditeurs pour se faire remarquer, rien que de très classique. Jusqu'à ce qu'un professionnel lui indique qu'il savait bien représenter les super-héros en costumes, mais qu'il lui fallait aussi maîtriser les personnages en civils car, avant de plonger dans l'action, il fallait les montrer dans leur vie quotidienne. A partir de là, Samnee n'a plus arrêté de dessiner des personnages en civils. Une formation encore utile aujourd'hui, puisque Fire Power ne s'inscrit pas dans le registre des super-héros.

On mesure à quel point tout cela lui sert quand il doit, sur une double page épatante, dessiner le jardin des Johnson occupé par leurs invités pour le barbecue. Pour chacun de ces figurants, Samnee donne une chose à faire, une expression propre, une attitude propre, dans une composition à la fois fournie et claire. Une double page comme ça est une leçon de dessin et de narration car elle raconte à la fois une scène de la vie normale et abonde en détails savoureux. L'exemple parfait de ce que je relevais plus haut, à savoir qu'il faut prendre son temps pour lire et apprécier une BD car un plan comme cela, survolé, est une occasion gâchée par le lecteur de remarquer le soin apporté par l'artiste pour composer l'image mais aussi pour caractériser les personnages qui le peuplent.

Maintenant, prenons un autre exemple avec le rendez-vous, à la nuit tombée, dans le stade désert, entre Owen et Ma Guang. On goûtera d'abord au jeu des ombres, magistral. Puis, à la faveur d'un découpage très simple mais tonique, au dialogue entre les deux hommes, à la façon dont Samnee traduit subtilement la tension qui alimente leur échange, à la brève bagarre qui éclate, et au calme qui revient jusqu'à une étreinte fraternelle après avoir partagé le chagrin d'avoir perdu la femme aimée.

Voyez, ça aussi, c'est l'alliance parfaite de l'esthétique et de la narration. Un enchaînement de plans fluide, très beau, nerveux, au service d'un propos sur la mémoire, le passé, la vie, la mort, l'amitié. L'adrénaline qui irrigue ces pages est grisante, elle permet d'apprécier un dessinateur en pleine capacité de ses moyens, qui est aligné sur la même longueur d'ondes que son scénariste et qui sublime une scène. Là encore, prenez un peu de temps et vous verrez que ce n'est pas du temps perdu, mais un travail précis, qui fonctionne parce que toutes les pièces s'emboîtent parfaitement. Notre plaisir ne naît pas par hasard dans la lecture, il résulte d'un effort orchestré des auteurs.

Kirkman est très fort pour conclure et une nouvelle fois, il nous cueille avec un cliffhanger jouissif, que Samnee illustre avec expertise. Je vous en reparle très vite... En attendant, filez acheter Fire Power

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