Et ainsi s'achève une des meilleures mini-séries de 2019 : jusqu'au bout, sans faillir à un seul moment, ce Batman Universe aura été un vrai plaisir de lecture. Pour Brian Michael Bendis, c'est certainement ce qu'il aura produit de mieux depuis son arrivée chez DC (et qui devrait le motiver à prendre un jour en main une des séries consacrées à la chauve-souris). Quant à Nick Derington, elle le consacre comme un des artistes les plus originaux de sa génération.
Batman est désormais prisonnier à l'intérieur de l'anneau blanc, hors du temps et de l'espace, mais surtout sans solution pour sortir de là. Le programme de l'anneau se matérialise sous la forme d'un gardien d'Oa, prénommé Seda, qui vient le féliciter d'avoir été choisi comme White Lantern.
Mais Batman lui révèle que le pouvoir de l'anneau est corrompu et instable, représentant alors un grand danger. Cela déplaît à Seda qui expulse Batman et choisit Vandal Savage comme nouveau porteur de l'anneau. Aussitôt, il neutralise le Green Lantern Corps et efface littéralement Batman.
Mais Batman sait que les anneaux des Lanterns fonctionnent selon la force de la volonté de leurs porteurs. Il réécrit sa propre histoire, engage Deathstroke, qui retrouve le Sphinx et lui indique la position de Vandal Savage.
Très affaibli par l'anneau, Savage est à son tour fait prisonnier à l'intérieur avec Batman. Seda resurgit et ouvre un portail spatio-temporel sur lequel se précipitent les deux adversaires pour s'évader. Ils traversent plusieurs époques et lieux avant que l'anneau ne glisse du doigt de Savage.
Batman réussit à le récupérer et le remet prudemment au Green Lantern Corps. Mais Savage a disparu... Il échoue à l'époque du Far West où Jonah Hex l'arrête. Batman, lui, replace l'Oeuf de Fabergé sous sa cloche du musée de Gotham, où il fut volé.
Quel final ! Comme depuis le début de la mini-série, Brian Michael Bendis a été très inspiré et surtout rigoureux, bouclant son récit d'une manière à la fois imparable, ludique et inventive. Pas de doute possible : Batman Universe est ce que le scénariste a écrit de mieux depuis son arrivée chez DC - et même avant cela, depuis un bon moment.
Ce qui frappe dans cette histoire, c'est le plaisir manifeste qu'a pris Bendis à l'imaginer et à la rédiger, et ce plaisir est communicatif. Souvent accusé de se moquer de la continuité (ce qui, à mon sens, n'est pas si grave car qu'importe le flacon pourvu qu'on ait l'ivresse), Bendis s'est emparé de Batman ave fraîcheur. Il est ainsi revenu à une forme distincte du dark knight, éloigné justement du grim'n'gritty, et cela a profité à son projet.
Car toute l'intrigue renoue avec les detective stories de Batman et la fantaisie des épisodes des années 50-60, quand Gotham n'était pas le seul terrain de jeu du héros et ses adversaires pas seulement ses némésis habituels comme le Joker, le Pingouin et compagnie. Certes, le Sphinx joue un rôle important, mais le véritable méchant de l'affaire est Vandal Savage, et les péripéties nous ont entraînés dans des territoires exotiques comme Thanagar, le far-west, avec pléthore de seconds rôles comme Green Arrow, Green Lantern, Nightwing, Jonah Hex.
Tout cela fait penser à une réinterprétation d'auteur d'un univers et d'un personnage très (trop ?) codifiés, en tout cas restés dans un moule trop rigide. Ce Batman-là ressemble à une version "Ultimate", à nouveau accessible, et détaché des éléments originels pesants. Ici, la psyché du personnage compte en fait moins que l'aventure dans laquelle il est embarqué et à laquelle il doit réagir. Il est moins torturé, manipulateur, calculateur, mais plus physique, réactif, en mouvement.
Pas de méprise : j'aime bien le Batman moderne, comme celui qu'anime pour d'ultimes épisodes Tom King, avec ses démons intérieurs, mais Bendis prouve simplement qu'il existe une autre manière, tout aussi valide, de le penser (James Tynion IV qui succédera à King, hélas !, a annoncé, lui, qu'il comptait enfoncer le clou de la noirceur en versant même dans l'horreur).
Ce sentiment de fraîcheur tient aussi beaucoup au choix du dessinateur : en confiant cette tâche à Nick Derington, dont l'oeuvre est en définitive limitée (beaucoup le connaissent plus comme le cover artist de Mister Miracle, pour lequel il a été primé, que pour son travail sur le premier volume de Doom Patrol par Gerard Way), le lecteur lit une série dont le dessin est inhabituel pour Batman (sauf à lire les parutions plus "jeunesse" comme Batman Adventures).
Derington tranche franchement avec Greg Capullo, Mikel Janin, Clay Mann, et compagnie (pour citer des artistes récents). Son style est plus sobre, dépouillé, tire le récit vers une forme de simplicité presque cartoony. Le personnage est d'ailleurs moins musclé, sculptural, massif qu'ailleurs. Il tire moins la gueule aussi, cela correspond à la narration de Bendis, à sa caractérisation.
Derington, malgré son relatif manque d'expérience en matière de storytelling, fait preuve d'une force et d'une maîtrise dans le découpage qui a souvent épaté. Il le prouve encore ici, pour ce dernier épisode agrémenté de quelques morceaux de bravoure, qu'il s'agisse de doubles pages à l'abondance impressionnante, ou de pleines pages spectaculaires. Mais quand il faut calmer le jeu, le dessinateur sait aussi, intelligemment, mettre en scène un dialogue à base de champ-contre-champ tendus, ou éclater la mise en page pour représenter une cascade spatio-temporel dont les arrières-fond sont d'une richesse bluffante. Et il peut compter sur les couleurs de Dave Stewart pour ne pas surcharger ses plans.
A l'heure où Bendis semble avoir totalement perdu pied avec Action Comics (qui a abouti au désastreux Event Leviathan et doit maintenant composer avec la Legion of Doom créée par Scott Snyder), et s'engage dans un périlleux pari dans Superman (la révélation de la double identité du héros), il rebondit où on ne l'attendait pas.
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