jeudi 22 février 2018

DEFENDERS #10 (FINALE), de Brian Michael Bendis et David Marquez

 

Nous y sommes : c'est le dernier épisode de Defenders, tel qu'écrit par Brian Michael Bendis et dessiné par David Marquez. Et le tandem a osé une sortie de scène imprévisible, donc j'ai décidé aussi de rédiger une entrée inattendue...



 "Ce qui s'est passé après la victoire des Defenders contre Diamondback..."

Commençons, donc, par saluer la prestation de David Marquez : comme je l'avais dit en parlant du premier épisode de la série, c'est un artiste que j'ai appris à apprécier. Je trouvais son style un peu lisse, mais avec du potentiel. Sa régularité impressionnante (capable d'enchaîner mensuellement les épisodes en trouvant parfois le temps d'aller dessiner quelques pages pour dépanner ailleurs) et le test que constitue la réalisation d'une saga globale (en l'occurrence Civil War II), exercice qui "crame" souvent même les plus expérimentés (à cause du volume de personnages à animer, des contraintes éditoriales, des passages obligés - comme les scènes de baston avec une figuration importante), ont prouvé qu'il en avait sous le crayon et qu'il faudrait compter avec lui.

J'ai espéré pourtant qu'il boucle ses valises quand Bendis ne parte chez DC Comics afin de les voir prolonger leur collaboration mais il semble bien que Marquez restera chez Marvel (pour y devenir le dessinateur de la prochaine série Wolverine ?). Même s'il perd le scénariste qui l'aura révélé (grâce à Ultimate Spider-Man), je guetterai son prochain job avec appétit car son trait sûr, qui a gagné en maturité, en assurance, est un des plus séduisants de la "Maison des Idées".

Dans ce numéro, il combine un découpage respirant l'espièglerie (avec notamment un usage du "gaufrier" et en franchissant le "quatrième mur") et son art de la composition est une merveille, cadrant toujours parfaitement chaque scène, servant superbement le script. Un régal. Tout au long de ces dix épisodes, il aura été irréprochable, parfois impressionnant, d'une constance exemplaire. David Marquez : retenez ce nom.

Parlons de Brian Michael Bendis. Pour cela, permettez-moi un flash-back personnel : pendant une dizaine d'années, j'ai cessé complètement de lire des comics super-héroïques, rassasié par une adolescence où j'en avais beaucoup consommé et voulant replonger dans la production franco-belge, tout en étant fort occupé à réaliser mes propres BD. Lorsque j'ai replongé, sans tirer de plan sur la comète, l'une des premières revues que je me suis procuré était le premier épisode de la saga House of M écrit par Bendis.

Pourquoi est-on piqué par un scénariste ? Comment devine-t-on qu'on va faire un bout de chemin avec lui ? C'est difficile à formuler, on l'apprend en devenant un de ses fidèles sans en devenir un dévot. Ce qui est certain, c'est que lorsque j'ai découvert Bendis (et d'autres en même temps que lui), je n'étais plus le lecteur que je fus à 15 ans. Je cherchais bien d'abord à retrouver mes sensations de jeune fan de comics sans me douter qu'en vieillissant, en m'étant ouvert à d'autres formes de narration, je ne pourrais plus lire des histoires de super-héros de la même manière. J'étais, sans le savoir encore, en quête d'autre chose.

Mais pourquoi Bendis plus que les autres ? Avec le recul, je me rends compte que ce qui définit le mieux ce scénariste pour moi, et qui le distingue, c'est son art du pied-de-nez. C'est comme si, lui aussi, cherchait à dire les choses différemment. Il est clair que les codes traditionnels ne passionnent guère Bendis, ce folklore de bagarres, de doubles identités, de costumes bariolés, ce ton mélodramatique, cet aspect soap opera. Aussi s'ingénie-t-il à les détourner, à les ignorer même parfois, à les malmener. C'est cela qui hérisse ses détracteurs, des lecteurs attachés aux règles - la continuité, le character's profile, les règlements de comptes via des bastons.

Ceux qui n'aiment pas Bendis lui reprochent toujours les mêmes choses : ses dialogues volontiers abondants, semblant copier ceux du cinéma, avec des digressions, une forme d'oralité adaptée, ses story-arcs immuables (alors qu'à l'examen objectif, on se rend compte qu'il n'est pas un maniaque des récits en six épisodes parfaits pour composer un TPB), son souci relatif de la psychologie historique des personnages et de la continuité, une plus grande aisance avec des héros solitaires urbains qu'avec des équipes...

Pour m'être souvent pris le bec avec des anti-Bendis, je sais le sujet épineux, inépuisable, les avis tranchés, inchangeables. Pourtant, j'admets qu'on n'apprécie pas son style (chacun a ses préférences). Je comprends moins qu'on lui reproche sa productivité (alors que d'autres fournissent autant), qu'on lui prête carrément autant de pouvoir qu'un editor (dont il n'aurait pas le titre... Alors qu'on peut en dire autant de chaque scénariste qui au sommet de sa popularité imprime la direction à suivre à ses collègues). Il y a, là-dedans, beaucoup de fantasmes, bien pratique quand on veut tailler un costume.

Mais revenons à l'affection, l'intérêt et même l'admiration que je lui porte et oublions les polémiques. Revenons à Defenders et ce dernier épisode. QUEL KIF !

Je n'en ferai pas le résumé cette fois, vous l'apprécierez mieux en lisant cet ultime chapitre. Même ceux qui honnissent Bendis reconnaîtront qu'il y ose une chose folle, en particulier avec le dénouement (les deux dernières pages). Cela s'appelle un pied-de-nez, et c'est une sorte de synthèse de Bendis, jubilatoire pour un fan, bluffante même, et qui fera lever les yeux de consternation ou de sidération aux autres.

Comme je l'ai dit plus haut, tout ce qui compose normalement un comic-book super-héroïque ne m'a jamais semblé passionner Bendis. S'il sacrifie à des codes, c'est dans le cadre précis d'un travail où il ne peut faire autrement, au risque de trop frustrer le lecteur. Mais c'est un compromis, une concession. Lorsqu'il a la liberté qu'il a eue sur Defenders, projet désiré depuis la fin de son run sur New Avengers (il voulait carrément enchaîner avec à l'époque, et Mike Deodato devait dessiner), et qu'entre temps il a officialisé son départ de Marvel pour DC, bénéficiant de la part de ses employeurs de la permission de conclure ses séries en cours à sa guise, alors pourquoi se gêner, se retenir ? Autant y aller à fond !

Bendis a toujours aimé montrer les super-héros dans leur quotidien, quand ils tombaient masques et costumes ou qu'ils les gardaient pour partager une discussion (ces fameux dialogues...), un repas (parfois un repas en causant), comme pour prouver que ces gens-là ne faisaient pas que défendre la veuve et l'orphelin ou sauver le monde (ou s'y préparer) ou souligner le décalage à mettre en scène des surhumains habillés comme à un bal costumé dans des situations banales. Dans cet épisode, cela occupe la majeure partie des pages : tout New York (par le biais de figures connus des lecteurs de Marvel, familiers dans la production de Bendis - Miles Morales, Ben Urich, Spider-Woman, J. Jonah Jameson, Hellcat, Misty Knight) s'interroge sur ce qui s'est produit après la victoire des Defenders contre Diamondback. Et la réponse est aussi simple qu'imprévisible - elle prend d'ailleurs au dépourvu les intéressés eux-mêmes - tout en s'inscrivant dans une normalité épatante.

Pourtant, il reste bien un obstacle à franchir avant de tirer sa révérence : the Hood, son auto-proclamation comme nouveau Caïd (et même comme "Kingpin of all the kingpins"). Mais la solution choisie par Bendis est tellement culottée, malicieuse, qu'on arrive à la dernière page avec un mélange de stupéfaction et d'amusement. C'est le summun du pied-de-nez, le contournement absolu, la porte ouverte au hors-champ le plus audacieux qui soit. Mais aussi un acte de foi, un don fait au lecteur, quelque chose comme : "vous attendiez un affrontement dantesque, LA grande foire d'empoigne ? Hé bien, elle est toute à vous, à chacun d'entre vous de l'imaginer : elle sera aussi épique que vous la désiriez !" Un présent pareil de la part d'un scénariste est impayable, drôle et généreux, comme si Bendis nous glissait que le 11ème numéro de Defenders, c'est nous tous, tous à notre façon, tous comme nous le voulons, qui pouvons l'écrire, le fantasmer.

Quand j'ai fermé mon mensuel, j'étais hébété, ne sachant pas si c'était un coup fumant ou un trait de génie. Puis j'ai surtout retenu la jubilation procurée par ce choix narratif, cette sortie de scène, cette fin qui en est une sans l'être vraiment, qui pourra être écrite par le repreneur du titre (car Marvel relancera tôt ou tard la série). Ou pas.

Il est important d'accrocher le lecteur quand on démarre une série. Mais soigner son départ sans avoir peur d'oser est un acte encore plus délicat à effectuer. Bendis et Marquez quittent Defenders d'une manière la plus formidable que j'ai lue. Ils nous remercient, avec leurs collaborateurs, pour les avoir supportés dans ce projet. Je leur retourne ce remerciement pour nous saluer sur cette note euphorisante.   

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