LE PRESTIGE (en v.o. : The Prestige) est un roman écrit par Christopher Priest, traduit en français par Michelle Charrier, publié en 1995 par les Editions Denoël (disponible désormais en édition de poche dans la collection "Folio SF")
Envoyé par le journal qui l'emploie dans le Derbyshire, au Nord de l'Angleterre, pour écrire un article sur une secte dont le gourou aurait des dons d'ubiquité, Andrew Westley, cantonné aux affaires étranges, fait la connaissance de Kate Angier, qui l'a attiré jusque chez elle après lui avoir adressé un livre consacré au prestidigitateur Alfred Borden. Kate confirme à Andrew que Borden était son ancêtre, exerçant jusqu'au début du XXème siècle, et qu'elle-même est la descendante du grand rival de ce dernier, Rupert Angier.
Le conflit qui opposa les deux illusionnistes oppose leurs deux familles depuis trois générations : à l'origine, Borden avait mis au point un numéro, le Nouvel Homme Transporté, et s'était acharné à confondre Angier qui exerçait comme spirite - un charlatan. Ce dernier entreprit alors de produire un tour semblable mais plus spectaculaire et raffiné.
Tandis que l'inimitié entre les deux hommes s'est développée au fil des ans, nourrie par la jalousie mais aussi des malentendus et des drames personnels, Angier apprend grâce à son assistante, Olive Wenscombe, qui finira pourtant par rester avec Borden, que son adversaire se serait inspiré des inventions scientifiques de Nikola Tesla.
Il part aux Etats-Unis rencontrer ce savant étudiant l'électricité et obtient qu'il lui construise une machine permettant des téléportations. De retour en Europe, le succès d'Angier éclipse celui de Borden jusqu'à ce que celui-ci, désireux de connaître son secret, sabote son équipement accidentellement - Un geste qui aura des répercussions inattendues et fantastiques...
Christopher Priest
La prestidigitation m'a toujours passionné, non pas parce que je la pratique mais parce qu'elle a été animé par des personnages authentiquement extraordinaires, aux carrières souvent météoriques, aux hauts faits d'armes, et entourés d'éléments éminemment romanesques. Pourtant, très peu (en tout cas à ma connaissance) de fictions livresques et cinématographiques ont exploité ce domaine et ses acteurs : la littérature comme le 7ème Art préfèrent aborder la magie, avec son extravagance visuelle, que l'illusion.
Je dois dire tout de suite que je n'ai pas vu l'adaptation du Prestige réalisé par Christopher Nolan (sortie en 2006) : je ne goûte guère le cinéma de ce réalisateur, qui y dirige Christian Bale, un de ses acteurs favoris mais que je n'apprécie pas. Mais j'avais appris que le roman de Christopher Priest (à ne pas confondre avec le scénariste de BD du même nom) était d'un autre calibre.
Le danger, quand on entreprend de lire un ouvrage réputé supérieur au film qui en a été tiré, c'est évidemment qu'on attend qu'il prouve sa qualité. Sur ce point, inutile de faire durer le suspense, j'ai été déçu. Ce qui ne signifie pas que le roman soit mauvais...
La rivalité qui oppose Alfred Borden à Rupert Angier s'inspire de celle, authentique, située au XVIIIème siècle, entre Giuseppe Pinetti (qu'on appela "le Professeur", comme le personnage de Borden) et Edmond de Grisy (alias Torrini), inspirateur de Jean-Eugène Robert-Houdin (d'origine noble, comme Angier) - Robert-Houdin relata que le chevalier Pinetti aurait humilié publiquement Edmond de Grisy en révélant à ses débuts ses secrets d'escamoteur.
On peut aussi penser à la guerre acharnée que livra Harry Houdini contre les spirites dans la démarche menée par Borden contre Angier à l'origine de leur conflit. Au cours de conférences, Houdini démontra les trucages des phénomènes prétendument surnaturels utilisés par des occultistes : ainsi démasqua-t-il le plus célèbre d'entre eux, le Docteur Henry Slade. Il faut bien comprendre que, suivant une tradition musulmane, on distinguait les "magiciens licites" (le muazzimûn, qui obéit à Allah et l'implore, adjure les esprits par les noms divins, renonce à toute vie impure) et "magiciens illicites" (le sâhir, qui asservit les esprits par des offrandes condamnables et de mauvaises actions - crime, inceste... - , pratique la "magie noire" telle que décrite par les démonologues occidentaux.
Il y a donc, d'un côté, les "enchanteurs" (qui agissaient sur la seule imagination des sujets en leur communiquant des idées et des formes transmises à leurs sens et s'objectivent pour eux en perceptions internes qui ne répondent pas à la moindre réalité extérieure) et, de l'autre, les "faiseurs de miracles par des talismans". Les illusionnistes sont les adversaires déclarés de la magie, celle qui prétend user de lois anti ou sur-naturelles : tout ce qu'accomplit le prestidigitateur dépend de lui seul, "il est le seul acteur, le seul artiste qui, secrètement, sans doute, mais de façon essentielle, fasse reposer au maximum l'exercice de son talent sur les découvertes de la science" (Jehaugir Shahpursi Bhownagasey, in L'illusionnisme ou la magie blanche).
Au Moyen-Âge apparaît le Prestigior : Jules de Rovère, en 1815, en tirera le néologisme "prestidigitateur" qui signifie "celui qui a des doigts prodigieux". Dans la Grèce et la Rome antiques, on connaissait déjà les avaleurs de sabre, les ventriloques, les cracheurs de feu (décrits par Théodore, Euclide, Xénophon). En Orient, Apollonius de Tyane observera les lévitations de brahmanes, Marco Polo parlera de celles du moine Odoric, de Sir John Mandeville et de Ibra Battûra au XIVème siècle.
Enfin, tout ce qui a trait aux manifestations surnaturelles concernant la condition des magiciens après leur mort auprès de leur famille évoque le "Pacte de mort des magiciens", un accord (formalisé par Comte et Carl-Compas Hermann en 1850) engageant le survivant à évoquer l'esprit d'un disparu à chaque anniversaire de la mort de l'autre signataire (Beatrice, la veuve d'Houdini, chercha ainsi plusieurs fois avec l'aide de Thurtson à renouer avec son époux, sans succès toutefois).
Jean-Eugéne Robert-Houdin.
On peut aussi penser à la guerre acharnée que livra Harry Houdini contre les spirites dans la démarche menée par Borden contre Angier à l'origine de leur conflit. Au cours de conférences, Houdini démontra les trucages des phénomènes prétendument surnaturels utilisés par des occultistes : ainsi démasqua-t-il le plus célèbre d'entre eux, le Docteur Henry Slade. Il faut bien comprendre que, suivant une tradition musulmane, on distinguait les "magiciens licites" (le muazzimûn, qui obéit à Allah et l'implore, adjure les esprits par les noms divins, renonce à toute vie impure) et "magiciens illicites" (le sâhir, qui asservit les esprits par des offrandes condamnables et de mauvaises actions - crime, inceste... - , pratique la "magie noire" telle que décrite par les démonologues occidentaux.
Ching Ling Foo est mentionné dans le livre.
Il y a donc, d'un côté, les "enchanteurs" (qui agissaient sur la seule imagination des sujets en leur communiquant des idées et des formes transmises à leurs sens et s'objectivent pour eux en perceptions internes qui ne répondent pas à la moindre réalité extérieure) et, de l'autre, les "faiseurs de miracles par des talismans". Les illusionnistes sont les adversaires déclarés de la magie, celle qui prétend user de lois anti ou sur-naturelles : tout ce qu'accomplit le prestidigitateur dépend de lui seul, "il est le seul acteur, le seul artiste qui, secrètement, sans doute, mais de façon essentielle, fasse reposer au maximum l'exercice de son talent sur les découvertes de la science" (Jehaugir Shahpursi Bhownagasey, in L'illusionnisme ou la magie blanche).
Au Moyen-Âge apparaît le Prestigior : Jules de Rovère, en 1815, en tirera le néologisme "prestidigitateur" qui signifie "celui qui a des doigts prodigieux". Dans la Grèce et la Rome antiques, on connaissait déjà les avaleurs de sabre, les ventriloques, les cracheurs de feu (décrits par Théodore, Euclide, Xénophon). En Orient, Apollonius de Tyane observera les lévitations de brahmanes, Marco Polo parlera de celles du moine Odoric, de Sir John Mandeville et de Ibra Battûra au XIVème siècle.
Enfin, tout ce qui a trait aux manifestations surnaturelles concernant la condition des magiciens après leur mort auprès de leur famille évoque le "Pacte de mort des magiciens", un accord (formalisé par Comte et Carl-Compas Hermann en 1850) engageant le survivant à évoquer l'esprit d'un disparu à chaque anniversaire de la mort de l'autre signataire (Beatrice, la veuve d'Houdini, chercha ainsi plusieurs fois avec l'aide de Thurtson à renouer avec son époux, sans succès toutefois).
Le roman de Priest adopte la forme épistolaire : il comprend quatre parties, dont deux sont les transcriptions de notes prises par Alfred Borden (deuxième partie, 116 pages) et Rupert Angier (quatrième partie, 258 pages). Les première, troisième et cinquième parties (comptant respectivement 36, 40 et 15 pages) se déroulent de nos jours et mettent scène la rencontre de Andrew Westley et Kate Angier, appréhendant les conséquences du conflit entre Borden et Angier : Andrew est un enfant adopté, qui a toujours cru avoir un frère jumeau dont il a été séparé, et dont il sent la présence encore plus fortement quand il arrive dans le Derbyshire, comme s'il s'agissait d'un aiguillon le guidant en un endroit qui allait lui révéler le secret de ses origines.
Cette forme narrative produit un aspect décousu au récit qui se traduit non seulement par des allers-retours entre présent et passé, mais aussi au niveau expressif : Borden écrit dans un style particulier (destiné à un ouvrage décrivant sa carrière et ses numéros, sans dévoiler leurs secrets), Angier tient un journal (plutôt régulier, bien que connaissant des béances dues à des événements personnels souvent dramatiques), tandis que les parties intermédiaires entre Andrew et Kate sont verbalisés dans un registre neutre, même si le point de vue adopté est celui d'Andrew.
Le chevalier Guiseppe Pinetti et...
... Edmond De Grisy dit Torrini : leur rivalité
a inspiré à Christopher Priest celle qui oppose
Alfred Borden à Rupert Angier.
John Henry Anderson : le premier mentor d'Alfred Borden et...
... Nevil Maskelyne : le second mentor d'Alfred Borden.
Dans ces textes, l'auteur écrit donc à la première personne du singulier, se mettant donc dans la peau de Westley, Borden, (Rupert) Angier : c'est le "je' qui parle et rédige, et ce procédé n'est pas innocent car il rappelle l'impossibilité pour un individu de relater des événements de façon totalement objective. Il en est à la fois l'acteur et le rapporteur, le personnage et l'auteur - une entité double, figure déclinée plusieurs fois dans le roman à travers Andrew Westley/Borden, Andrew et Kate, Kate et Rupert Angier, Alfred Borden et Rupert Angier, Rupert Angier et Nikola Tesla, Julia Borden et Olive Newscombe, Andrew et son jumeau Nicky, et même Rupert Angier et son "double" (dont je tairai la nature exacte afin de ne pas gâcher la surprise à ceux qui découvriront le texte)...
L'autre forme du double est celle qui existe entre entre le romancier et le lecteur, et qui aboutit à l'autre principe majeur du livre, la notion de "pacte". Littérairement parlant, à partir du moment où vous ouvrez un livre, vous admettez que ce qui va y être raconté est vrai dans le cadre du récit écrit par l'auteur : c'est le fameux "on dirait que" ou "il était une fois". Le lecteur accorde sa confiance à l'auteur (pour être diverti mais surtout que ce soit fait de manière intelligente et efficace) : même pour une histoire farfelue, le romancier doit convaincre et le lecteur accepter de se laisser entraîner. Ce "pacte" est aussi le fondement de la relation entre le prestidigitateur et le spectateur : le premier montre au second quelque chose d'extraordinaire pourtant produit à partir d'éléments ordinaires mais mis en scène assez habilement pour l'épater. Le spectateur accorde sa confiance à l'illusionniste pour que ce que qu'il lui montre soit donné comme vrai même cela semble invraisemblable. Appliqué au roman, l'auteur revêt à sa manière l'habit d'un magicien qui manipule le lecteur qui, en retour, accepte d'être dupé.
Buatier De Kolta est aussi cité dans le roman.
L'autre forme du double est celle qui existe entre entre le romancier et le lecteur, et qui aboutit à l'autre principe majeur du livre, la notion de "pacte". Littérairement parlant, à partir du moment où vous ouvrez un livre, vous admettez que ce qui va y être raconté est vrai dans le cadre du récit écrit par l'auteur : c'est le fameux "on dirait que" ou "il était une fois". Le lecteur accorde sa confiance à l'auteur (pour être diverti mais surtout que ce soit fait de manière intelligente et efficace) : même pour une histoire farfelue, le romancier doit convaincre et le lecteur accepter de se laisser entraîner. Ce "pacte" est aussi le fondement de la relation entre le prestidigitateur et le spectateur : le premier montre au second quelque chose d'extraordinaire pourtant produit à partir d'éléments ordinaires mais mis en scène assez habilement pour l'épater. Le spectateur accorde sa confiance à l'illusionniste pour que ce que qu'il lui montre soit donné comme vrai même cela semble invraisemblable. Appliqué au roman, l'auteur revêt à sa manière l'habit d'un magicien qui manipule le lecteur qui, en retour, accepte d'être dupé.
Dans Le Prestige, ce "pacte" est clairement formulé par Alfred Borden et Christopher Priest explique de manière implicite, à travers les notes de son personnage, sa propre stratégie : écrire un texte revient à accomplir un tour de magie. S'il le réussit, le lecteur sera aussi sidéré qu'un spectateur ayant assisté à un numéro, même s'il a disposé de tous les détails nécessaires à la compréhension du tour.
Enfin, le dénouement, que j''estime fort nébuleux, s'inscrit dans une sorte d'épouvante gothique qui tranche tellement avec ce qui a précédé que l'effet jure grossièrement. En comparaison, donc, le meilleur du texte se trouve dans l'exemplaire évocation du métier de prestidigitateur, sa grandeur, ses contraintes, sa philosophie, son éthique, rédigée avec sensibilité et souci d'exactitude. Tout cela, bien considérés, fait du Prestige un divertissement consistant et souvent bien emballé mais qui manque cependant de cohérence pour convaincre pleinement, compte tenu de son volume et de son ambition.
La couverture de l'édition de poche du livre dans la collection Folio SF reproduit d'ailleurs l'affiche du film.
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Le roman a donc été adapté par le réalisateur britannique Christopher Nolan, d'après un scénario co-écrit avec son frère Jonathan Nolan, et interprété par Hugh Jackman (Robert Angier), Christian Bale (Alfred Borden), Scarlett Johansson (Olivia Wenscombe), Rebecca Hall (Sarah Borden), David Bowie (Nikola Tesla).La couverture de l'édition de poche du livre dans la collection Folio SF reproduit d'ailleurs l'affiche du film.
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