JERÔME K. JERÔME BLOCHE : LE COEUR A DROITE est le 11ème tome de la série, écrit et dessiné par Dodier, publié en 1995 par Dupuis.
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Une nuit qu'il essaie en vain d'écrire un roman policier, Jérôme sort se rafraîchir les idées dans le quartier où il habite. Il découvre, couché sur les marches d'un escalier dehors, un clochard assoupi après avoir beaucoup bu. Le jeune homme décide de l'héberger chez lui.
Le lendemain matin, Babette, la fiancée de Jérôme, arrive chez lui mais le clochard a disparu, laissant accidentellement derrière lui un manuscrit. Tandis que, après un câlin, Babette dort, Jérôme dévore les écrits du clochard, un passionnant roman sur un tueur professionnel (qui aurait participé à l'assassinat de JFK).
Convaincu de la qualité du récit, Jérôme entreprend d'en retrouver l'auteur et, ceci fait, le persuade de le retranscrire proprement afin de le proposer à une maison d'édition. Le projet du détective aboutit et quelques mois plus tard, le livre devenu un succès remporte même le prix Goncourt.
Mais c'est alors que débarque à Paris un autre tueur, engagé pour liquider Jérôme et le clochard car son histoire n'a rien d'une fiction et ses anciens commanditaires n'apprécient pas cette publicité...
A mon sens, ce 11ème opus de la série marque un tournant dans l'oeuvre de son auteur : voilà 13 ans qu'il anime Jérôme K. Jérôme Bloche et après une dizaine d'albums dans un registre classique mais efficace de comédie policière au dessin semi-réaliste, Dodier est arrivé à maturité. A partir de là, il va donner à son oeuvre un nouvel élan avec des récits, qui sans perdre leur bonne humeur, seront plus solides et ambitieux, n'hésitant plus à s'aventurer dans le registre du suspense et exploitant à fond son casting de seconds rôles avec des personnages épisodiques mémorables.
Le clochard, ex-tueur à gages et écrivain à succès, Charlemagne est un exemple parfait de ces déclencheurs d'intrigues qui frappent d'emblée le lecteur et qu'on n'oublie pas de sitôt. Au début, on ne sait pas bien où Dodier veut nous entraîner avec lui, son manuscrit. On pense à une mise en parallèle avec l'ambition de Jérôme d'écrire lui aussi un roman noir qui fera date et sa frustration de ne pas y arriver, malgré ses expériences de détective.
Et puis, quasiment à mi-chemin (à partir de la page 22 exactement), l'auteur orchestre un rebondissement qui redirige complètement l'aventure, révélant la nature de l'intrigue, de ses principaux acteurs et entraînant Jérôme dans une chasse à l'homme palpitante.
La densité et le rythme de l'histoire se traduisent par un découpage de l'action très soutenu, et le caractère candide de Jérôme sert alors de contrepoint très habile à la traque plus dramatique enclenchée par l'arrivée du jeune tueur.
Ce second rôle remplit parfaitement sa fonction, le personnage est immédiatement glaçant, inquiétant, il représente une menace sérieuse, et jusqu'au bout Dodier va l'utiliser de manière très persuasive, jouant avec les nerfs de son héros et du lecteur.
En délaissant les effets comiques suscités par Jérôme, qui jusqu'à présent était une sorte de détective amateur sympathique mais enfantin, comme déguisé pour un rôle de composition et la plupart du temps engagé dans des enquêtes sagement distrayantes (mis à part les quelques fois où son passé était concerné), la série gagne en épaisseur, en intensité. Comme un symbole de cette évolution, le dessin en double page d'entrée de l'album ne montre plus le héros trempant une tartine dans un bol de chocolat avec son feutre sur la tête mais pensif à son bureau, réfléchissant à la résolution d'une énigme un soir.
Graphiquement aussi, Dodier a aussi effectué sa mue. Désormais, il dessine son héros avec assurance, il l'a posé physiquement définitivement en épurant son look (qui devient intemporel, à la fois décalé - le duffle-coat, le chapeau - et moderne - le polo, le jean, les baskets), son visage a conservé des rondeurs mais s'est affiné pour être celui d'un jeune homme et plus celui d'un post-ado (même s'il a conservé ses lunettes rondes).
Le reste de la distribution est aussi bien établie visuellement, avec Babette, Mme Rose la concierge ou Zelda (Dodier n'a cependant pas encore fini d'étoffer ses seconds rôles récurrents puisque Burhan, l'épicier arabe, va prendre de l'importance, en attendant d'autres figures). Et un personnage comme Charlemagne ou le tueur à ses trousses disposent d'une allure frappante dès leur apparition.
Les décors sont, quant à eux, comme toujours fabuleusement traités : Dodier sait planter son action en choisissant des lieux évocateurs et en s'inspirant de repérages précis effectués durant l'écriture de son histoire. Mais surtout, il sait toujours situer l'action de telle manière que le lecteur peut la suivre sans être perdu d'une scène à l'autre en s'appuyant sur la "base" de Jérôme, qui est comme le point d'ancrage du récit.
Les couleurs, dans un nuancier délicat, servent d'abord à conserver la lisibilité, signe que le dessinateur cherche avant tout à ce que ses images fonctionnent en noir et blanc, mais la séquence du règlement de comptes dans l'appartement de Jérôme à la fin possède quand même une ambiance soignée.
Un excellent numéro où Dodier s'affirme : la série ne baissera plus en qualité désormais.
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