SPIROU ET FANTASIO : TEMBO TABOU (Et d'autres galipettes du Marsupilami) est le 24ème tome de la série, publié en 1974 par Dupuis. L'album comporte 4 histoires : Tembo Tabou, écrite par Greg et co-dessinée par Franquin et Roba ; La Cage, écrite et dessinée par Franquin (avec des décors de Will) ; une histoire sans titre, écrite et dessinée par Franquin; et Marsupilami-Sport, écrite et dessinée par Franquin.
(Extrait de Tembo Tabou.
Textes de Greg, dessins de Franquin et Roba.)
- Tembo Tabou (29 pages). Spirou, Fantasio, Spip et le Marsupilami sont partis pour le Kwakildila, en Afrique, pour y retrouver l'écrivain Thirstywell, porté disparu mystérieusement. Dans la jungle où ils campent, les héros croisent des éléphants rouges qui effraient les indigènes, des pygmées, victimes par ailleurs d'un racket par des bandits qui convoitent l'or sur leur territoire. Et si ces rançonneurs étaient impliqués dans la disparition de Thirstywell ?
- La Cage (6 pages). Le chasseur Bring M. Backalive est spécialisé dans la capture d'animaux rares et il croit avoir fait sa plus belle prise en attrapant un bébé Marsupilami. Mais l'animal va lui donner du fil à retordre...
- Histoire sans titre (6 pages). A Champignac-en-Cambrousse, la présence du Marsupilami occasionne une série de situations aussi amusantes pour l'animal qu'éprouvantes pour ses maîtres et le voisinage.
- Marsupilami-Sport (2 pages). Le Marsupilami fait encore des siennes en assistant à des manifestations sportives.
Quand cet album est publié par Dupuis, André Franquin n'anime plus Les Aventures de Spirou et Fantasio depuis 6 ans et ce recueil, dont il a désapprouvé la conception par la suite, est effectivement un produit fait de bric et de broc, indigne de l'éditeur et irrespectueux envers l'auteur emblématique de la série (alors conduite par son successeur, Fournier, depuis 4 albums).
Mais est-ce quand même mauvais ?
Tout d'abord, il faut resituer historiquement le matériel de ce tome. En 1958, les éditions Dupuis passent un drôle de marché avec l'hebdomadaire "Le Parisien Libéré" : chaque semaine, celui-ci publiera six bandes inédites de Spirou et Fantasio afin d'offrir une meilleure visibilité à la série en France. La naïveté de l'éditeur belge est sidérante avec le recul puisque l'hebdo recevra ces planches sans avoir à les payer !
Mais, cependant, les auteurs, eux, sont normalement rétribués par Dupuis. Les auteurs, car il y en a plusieurs : en effet, en 1958, Franquin est un homme bien occupé puisqu'il signe la série Spirou et Fantasio, de nombreuses illustrations pour le "Journal de Spirou", mais aussi Gaston Lagaffe (depuis 1957), sans oublier Modeste et Pompon (avec des scénarios de Greg et Goscinny) chez le concurrent, "Le Journal de Tintin" (que l'auteur a rejoint à la suite d'une brouille financière avec Dupuis, un différend vite réglé mais qui n'empêchera pas Franquin d'honorer son engagement pendant 4 ans avec les éditions du Lombard).
Quand le deal avec le "Parisien Libéré" est conclu, Franquin doit recruter pour l'aider dans cette nouvelle tâche. Son fidèle décoriste Jidéhem officiant déjà sur Spirou et Fantasio et Gaston, l'artiste donne sa chance à Jean Roba (qui a six ans de moins que lui et n'est pas encore connu comme le créateur de Boule et Bill) et sollicite encore une fois la plume de Greg. La boucle est bouclée : ayant lui-même débuté dans le "studio Gillain", Franquin est à son tour à la tête d'une équipe (même si, dans les faits, cela sera moins familial qu'avec Jijé et ses copains Morris et Peyo à la fin des années 40).
De 1958 à 1960, Dupuis et le groupe conduit par Franquin fournira ainsi trois histoires courtes inédites pour "Le Parisien Libéré" - Tembo Tabou, Les Hommes-Bulles et Les Petits Formats (ces deux dernières seront publiées en albums comme récits principal ou secondaire du tome 17, Spirou et les Hommes-Bulles).
Pourquoi alors Tembo Tabou (l'histoire et l'album) sont-ils parus si tardivement en recueil ? Il semble que ce soit le manque de matériel suffisant pour constituer un album qui ait retardé l'affaire, mais aussi le fait que Dupuis ait assemblé ce produit dans le cadre d'une édition avec la Hollande dans les années 70. Quoi qu'il en soit, il est surtout évident que, même si Fournier rencontrait un beau succès depuis sa reprise de la série, Dupuis a toujours souhaité qu'il produise plus et plus vite (ce qui conduira le breton à jeter l'éponge et l'éditeur à vouloir confier le titre à plusieurs équipes d'auteurs au début des années 80) et puis promettre un "inédit" de Franquin était la promesse de ventes encore meilleures.
Le contenu, maintenant : il est bien entendu très inégal, mais demeure étonnamment agréable. L'histoire principale, qui donne son titre à l'album, a été réalisée, comme Les Hommes-Bulles et Les Petits Formats, à "six mains", même si Tembo Tabou a servi à essuyer les plâtres de ce dispositif. Dans les faits, cela se traduisait ainsi : Franquin a laissé carte blanche à Greg pour inventer l'intrigue (même si on devine que l'artiste a suggéré une aventure exotique), puis il découpait les planches en dessinant précisément les héros, les véhicules et les éléphants (un animal qu'il affectionnait particulièrement) tandis que Roba se chargeait des personnages secondaires et de la plupart des décors.
Le récit est amusant et bien construit, Greg y fait preuve de maîtrise et de sobriété (y compris dans les dialogues qui échappent à son goût des bavardages). Cette expédition le long du fleuve Labatou-Tobou à la recherche de Thirstywell a même des faux airs de Au coeur des ténèbres de Joseph Conrad. En tout cas, il y a de l'action et des scènes mémorables, où le Marsupilami est bien mis en évidence (on lui découvre un nouveau don : il est fourmilier !).
Visuellement, le combo Franquin-Roba aboutit à un résultat de toute beauté : la représentation de cette Afrique de carte postale est magnifique, le découpage est classique mais d'une fluidité exemplaire, on se régale.
La Cage est un court récit ultérieur et cela se voit tout de suite avec le dessin de Franquin qui a alors beaucoup évolué pour adopter un trait plus nerveux, un tracé moins fermé. Ce qui sert d'histoire est vite expédié (même si l'auteur racontera qu'il aurait aimé exploiter davantage le personnage de Backalive, le chasseur) et n'est qu'un prétexte pour mettre en scène le Marsupilami, même s'il n'accomplit là rien de plus extraordinaire que dans les meilleurs épisodes où il accompagnait Spirou et Fantasio.
Will (le futur dessinateur de Tif et Tondu, qui avait déjà assisté Franquin sur Les Pirates du Silence, le tome10 de Spirou et Fantasio, et dont il dessinera plus tard Isabelle, co-écrit par Yvan Delporte et Macherot) s'en donne à coeur joie pour représenter la jungle palombienne.
Franquin reconnaîtra que s'il avait gardé la propriété exclusive du Marsupilami, c'était parce qu'il était convaincu que la bestiole pouvait vivre dans une série à elle. Commercialement, il est vrai que c'est devenu une affaire juteuse, avec des albums et une flopée de produits dérivés. Mais le même Franquin admettra plus tard qu'il avait, en privant ses successeurs à la tête de Spirou, brisé un des éléments de la dynamique de la série (un peu comme il s'était passé de Seccotine en se laissant convaincre par l'équipe éditoriale, certains amis et lecteurs, qu'elle n'apportait rien d'essentiel). La Cage est l'illustration parfaite de cet erreur stratégique de Franquin.
On peut passer aussi vite sur l'histoire sans titre et Marsupilami-Sport, deux greffons très dispensables (à moins d'être vraiment inconditionnels de la créature), juste là pour arriver à un album de 46 pages. Certes, le Marsu est irrésistible, il suffit de le voir en action pour avoir le sourire, et Franquin, même sans forcer son talent, est capable de suggérer le mouvement avec une facilité confondante. Mais bon, on comprend aussi pourquoi il n'était pas content de voir ces pages dans un album de Spirou à cause d'un éditeur juste bon alors à faire un "coup" commercial pathétique.
Voilà, c'est un peu du Spirou hors-série, une ultime relique de Franquin avec le héros, et un produit sans gloire. Mais Tembo Tabou est un petit épisode sympa en soi (plus que QRN sur Bretzelburg et encore plus que Panade à Champignac/Bravo les Brothers), vestige d'une époque bien antérieure à sa publication en album, quand la série alignait les classiques.
Pourquoi alors Tembo Tabou (l'histoire et l'album) sont-ils parus si tardivement en recueil ? Il semble que ce soit le manque de matériel suffisant pour constituer un album qui ait retardé l'affaire, mais aussi le fait que Dupuis ait assemblé ce produit dans le cadre d'une édition avec la Hollande dans les années 70. Quoi qu'il en soit, il est surtout évident que, même si Fournier rencontrait un beau succès depuis sa reprise de la série, Dupuis a toujours souhaité qu'il produise plus et plus vite (ce qui conduira le breton à jeter l'éponge et l'éditeur à vouloir confier le titre à plusieurs équipes d'auteurs au début des années 80) et puis promettre un "inédit" de Franquin était la promesse de ventes encore meilleures.
Le contenu, maintenant : il est bien entendu très inégal, mais demeure étonnamment agréable. L'histoire principale, qui donne son titre à l'album, a été réalisée, comme Les Hommes-Bulles et Les Petits Formats, à "six mains", même si Tembo Tabou a servi à essuyer les plâtres de ce dispositif. Dans les faits, cela se traduisait ainsi : Franquin a laissé carte blanche à Greg pour inventer l'intrigue (même si on devine que l'artiste a suggéré une aventure exotique), puis il découpait les planches en dessinant précisément les héros, les véhicules et les éléphants (un animal qu'il affectionnait particulièrement) tandis que Roba se chargeait des personnages secondaires et de la plupart des décors.
Le récit est amusant et bien construit, Greg y fait preuve de maîtrise et de sobriété (y compris dans les dialogues qui échappent à son goût des bavardages). Cette expédition le long du fleuve Labatou-Tobou à la recherche de Thirstywell a même des faux airs de Au coeur des ténèbres de Joseph Conrad. En tout cas, il y a de l'action et des scènes mémorables, où le Marsupilami est bien mis en évidence (on lui découvre un nouveau don : il est fourmilier !).
Visuellement, le combo Franquin-Roba aboutit à un résultat de toute beauté : la représentation de cette Afrique de carte postale est magnifique, le découpage est classique mais d'une fluidité exemplaire, on se régale.
La Cage est un court récit ultérieur et cela se voit tout de suite avec le dessin de Franquin qui a alors beaucoup évolué pour adopter un trait plus nerveux, un tracé moins fermé. Ce qui sert d'histoire est vite expédié (même si l'auteur racontera qu'il aurait aimé exploiter davantage le personnage de Backalive, le chasseur) et n'est qu'un prétexte pour mettre en scène le Marsupilami, même s'il n'accomplit là rien de plus extraordinaire que dans les meilleurs épisodes où il accompagnait Spirou et Fantasio.
Will (le futur dessinateur de Tif et Tondu, qui avait déjà assisté Franquin sur Les Pirates du Silence, le tome10 de Spirou et Fantasio, et dont il dessinera plus tard Isabelle, co-écrit par Yvan Delporte et Macherot) s'en donne à coeur joie pour représenter la jungle palombienne.
Franquin reconnaîtra que s'il avait gardé la propriété exclusive du Marsupilami, c'était parce qu'il était convaincu que la bestiole pouvait vivre dans une série à elle. Commercialement, il est vrai que c'est devenu une affaire juteuse, avec des albums et une flopée de produits dérivés. Mais le même Franquin admettra plus tard qu'il avait, en privant ses successeurs à la tête de Spirou, brisé un des éléments de la dynamique de la série (un peu comme il s'était passé de Seccotine en se laissant convaincre par l'équipe éditoriale, certains amis et lecteurs, qu'elle n'apportait rien d'essentiel). La Cage est l'illustration parfaite de cet erreur stratégique de Franquin.
On peut passer aussi vite sur l'histoire sans titre et Marsupilami-Sport, deux greffons très dispensables (à moins d'être vraiment inconditionnels de la créature), juste là pour arriver à un album de 46 pages. Certes, le Marsu est irrésistible, il suffit de le voir en action pour avoir le sourire, et Franquin, même sans forcer son talent, est capable de suggérer le mouvement avec une facilité confondante. Mais bon, on comprend aussi pourquoi il n'était pas content de voir ces pages dans un album de Spirou à cause d'un éditeur juste bon alors à faire un "coup" commercial pathétique.
Voilà, c'est un peu du Spirou hors-série, une ultime relique de Franquin avec le héros, et un produit sans gloire. Mais Tembo Tabou est un petit épisode sympa en soi (plus que QRN sur Bretzelburg et encore plus que Panade à Champignac/Bravo les Brothers), vestige d'une époque bien antérieure à sa publication en album, quand la série alignait les classiques.
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