Dans le genre publication qu'on n'attendait pas, Marvel fait fort en ressortant de ses tiroirs le titre Bizarre Adventures, populaire dans les années 1970. Test ou one-shot sans lendemain, on verra, mais il faut avouer que l'expérience est très concluante et mériterait d'être prolongée (un peu comme le récent Alpha Flight True North). Au programme, quatre histoires courtes vraiment étranges, mais dépaysantes, avec parmi elles, une vraie pépite.
- Ulysses Bloodstone : The Star-spawned sorcerer (écrit par Jed Mackay, dessiné par Chris Mooneyham.) - Mercenaire itinérant et immortel, Ulysses Bloodstone se rend dans la région montagneuse de Vanda-Gor où sévirait un sorcier terrifiant la population. Il le traque dans une grotte où se trouve, captive, une jeune femme prête à être sacrifiée. Mais c'est un piège...
- Shang Chi the master of kung-fu : The Lesson (écrit par Sebastian Girner, dessiné par Francesco Manna.) - Comme chaque année, à la même période, Shang Chi a rendez-vous avec son maître d'arts martiaux pour un entraînement. Le héros sort de plusieurs mois difficiles et de missions périlleuses, mais ne se défile pas. L'affrontement débute, les deux adversaires déploient leurs coups les plus spectaculaires, jusqu'à ce que le maître fracasse un immeuble entier. Shang Chi se déconcentre lorsqu'il voit un chien menacé par les gravats et perd le match.
- Dracula : Eveline O'Reilly (écrit par Michael Conrad et Becky Cloonan, dessiné par Becky Cloonan.) - Le comte Dracula entre dans un club de jazz où se produit le trio Russoff et remarque dans l'assistance une belle jeune femme qu'il aborde et entraîne sur le balcon. Elle se nomme Eveline O'Reilly et le reconnaît car elle est la fille d'Abraham Van Elsing, le chasseur de vampires. Mais ils s'allient pour combattre le trio Russoff qui se transforment en lycanthropes...
- Black Goliath : How does he do that ? (écrit par Jon Adams, dessiné par Aaron Conley.) - Black Goliath fait la promo de son dernier album dans un talk-show tout en se lamentant sur son manque de popularité auprès des fans de super-héros. Pendant ce temps, dans une dimension parallèle, un groupe d'individus miniatures est aspiré sur Terre où il va connaître un triste sort...
Comme l'indique le titre, on trouve dans cette anthologie tout ce qui est qualifiable de "bizarre". A part la dernière histoire qui met en scène, avec beaucoup de distance et de dérision un super-héros costumé, la production se détache donc de ce que livre habituellement Marvel pour aller explorer d'autres territoires, abandonnés depuis longtemps.
Le premier récit donne le "la" : Ulysses Bloodstone est un personnage oublié, ou alors seulement vaguement identifiable comme étant le père de Elsa Bloodstone, mise en lumière dans la maxi-série Nextwave de Ellis et Immonen. Ses aventures se déroulaient dans une époque lointaine du passé et ressemblaient à celles de Conan le barbare. Avec sa pierre de sang détachée d'une météorite et incrustée dans sa poitrine, l'immortel mercenaire traque des monstres, et ici affronte un sorcier qui est en vérité un skrull désireux de rentrer chez lui.
Jed Mackay (déjà présent au générique de Alpha Flight True North) va droit au but en soignant ses ambiances : décor hostile, personnages patibulaires et taiseux (pas de dialogues, juste une voix-off), action brutale. On n'est pas habitué à tant de rudesse mais c'est justement ça qui séduit. Et le choix de confier le dessin à Chris Mooneyham, très influencé par Walt Simonson, est parfait : il ne fait pas lui non plus dans la dentelle, avec un trait épais, rugueux, mais qui colle au propos. Bonne pioche.
Shang Chi ressort de sa boîte juste à temps car il va avoir les honneurs d'un long métrage dans quelques mois. Le maître du kung fu, qui fut l'égal en son temps de Iron Fist, avait bien refait surface dans les Avengers périod Hickman, mais ensuite plus personne ne s'est intéressé à lui.
L'histoire que lui consacre Sebastian Girner ressemble à un petit plaisir de fan car l'argument est très mince. Le dessinateur Francesco Manna a donc toute latitude pour s'amuser à chorégraphier un combat spectaculaire où chaque coup porte un nom délirant et cause des dégâts ahurissants. Il en ressort que Shang Chi n'est pas le maître du kung-fu, ce qui est assez ironique.
Le troisième segment est la pépite du lot : il faut dire qu'il est concocté par Becky Cloonan, qui vole la vedette à son partenaire scénariste Michael Conrad. Tout ressemble à l'auteur-artiste dans ce conte miniature sur Dracula, à la fois sentimental, émouvant, mouvementé, fantastique.
Les protagonistes dansent avec grâce tout en bataillant contre des loups-garous dans un club de jazz. Mais la mélancolie rattrape tout le monde, héros et lecteur, dans un épilogue sublime sur le temps qui passe et les sentiments inavoués, l'amour non partagé. C'est follement beau, et vraiment, on aimerait lire plus souvent des pages dessinées par Cloonan.
Enfin, la revue se termine par une vraie curiosité : l'aventure de Black Goliath n'a ni queue ni tête, je ne suis même pas sûr de l'avoir saisie, mais les scènes avec le héros sont très drôles, avec une pointe salace irrésistible.
Ici aussi, le scénariste, Jon Adams, se fait damer le pion par son dessinateur, Aaron Conley, dont le style très cartoon est savoureux. Les couleurs flashy, le côté rétro blaxploitation, l'absurdité générale, sont un régal.
Croisons les doigts pour que Marvel répète cette opération car le contenu est très bon et rafraîchissant. Les équipes artistiques tiennent toutes leurs promesses, et rien que pour le sublime Dracula de Becky Clooney, il ne faut pas passer à côté.
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