jeudi 15 août 2019

POWERS OF X #2, de Jonathan Hickman et R. B. Silva


Le démarrage de House of X et Powers of X a dominé les ventes de Juillet et a dû sûrement soulager Marvel (davantage que le scénariste qui affichait l'assurance tranquille des gagnants). Même si ce deuxième chapitre de POX n'est pas aussi fort que celui de HOX, il confirme l'envergure du projet et joue toujours sur les échos d'une série à l'autre, et même sur les scènes de l'épisode entre elles.


X-Men, An 1. Île M. Charles Xavier et Moira McTaggert débarquent dans le repaire de Magneto, situé dans le Triangle des Bermudes. Erik Lensherr accepte d'ouvrir son esprit à Xavier, connecté à Moira, et voit ses échecs à venir. Magneto est prêt à suivre le grand plan de son "vieil ami" pour les mutants.


X-Men, An 10. Krakoa. Cyclope rejoint le Professeur X et Magneto pour lire le contenu de la clé USB volée chez Damage Control par Mystique. Elle révèle le projet d'Orchis. Cyclope accepte de conduire la mission qui empêchera son achèvement.


X-Men, An 100. Astéroïde K. Rasputin IV et Cardinal sont conduits devant Apocalypse, le nouveau guide des mutants, à qui ils remettent la carte dérobée sur Terre. Nimrod se demande de son côté ce que mijotent les derniers rebelles mutants.


La lecture de la carte suggère qu'il faut accéder au lieu où sont indexées les données rassemblées par Nimrod. Une mission-suicide comme le résume Wolverine. Mais Apocalypse est prêt à la mener.


X-Men, An 1000. Nimbus. Le Libraire et ses pairs accueillent les Phalanx, la forme collective la plus intellectuellement avancée dans l'univers, et leur adressent leur requête : l'Ascension. Qui n'est accordée qu'au mérite estimée par les visiteurs.

Autant prévenir : certains, qui ont été impressionnés par les trois épisodes cumulés de House of X et Powers of X, et en particulier par le twist de HOX #2, risquent d'être un peu déçu par cet épisode, ou du moins de rester sur leur faim. Ne vous attendez pas à un nouveau coup de théâtre spectaculaire.

En vérité, POX est une sorte de complément de programme, ce qui ne l'empêche pas d'être indispensable à la compréhension de la saga car les scènes qu'y développe Jonathan Hickman sont essentielles. Mais la structure narrative est plus découpée, plus rigide aussi, et oblige à apprécier différemment le contenu.

En chapitrant l'histoire de POX en périodes clés de l'Histoire des mutants, la lecture est plus "éditée", avec un effet de montage plus flagrant. Il s'agit littéralement de s'arrêter sur des moments de vérité, assez brefs, mais déterminants. Il n'y a pas d'effet de surprise réel, mais des appendices, des explications - quand bien même la partie située mille ans dans le futur est plus cryptique et vertigineuse.

De fait, après avoir découvert que Moira était une mutante, ayant vécu plus vies, avant de révéler sa nature à Charles Xavier - même si le mystère demeure entier concernant sa sixième incarnation - , nous la retrouvons en compagnie du Professeur X sur l'île refuge de Magneto. Le diable est dans les détails et donc le lecteur attentif notera d'emblée que Xavier se déplace désormais dans son fauteuil roulant (alors que lors de sa rencontre avec Moira, il était encore valide). De même Magneto apparaît en costume et ses paroles suggèrent qu'il a déjà affronté plusieurs fois Xavier et ses premiers X-Men. Cela situe le récit, la scène dans le temps - et c'est tout le propos de POX, le temps.

Hickman connaît ses classiques et résume en un plan la liste non exhaustive mais intense des échecs les plus cuisants du maître du magnétisme. De quoi l'ébranler sérieusement et le convaincre que Xavier et Moira ont un plan solide, qu'il accepte (certes toujours avec méfiance) de suivre. Le dialogue mais aussi l'attitude de Erik Lensherr sont admirablement captés : il est sur la défensive, réticent, rappelle que "désormais, nous sommes ensemble, toi et moi" à Xavier. Et Xavier est rusé, roublard même ("je n'en attendais pas moins de ta part"). Moira joue l'arbitre. Tout est dit et le pacte qui se noue entre eux trois résume tout.

La deuxième scène est encore plus expéditive : Cyclope est affranchi du projet Orchis. La menace est déjà concrète. Une mission est décrétée et Scott Summers ne se défile pas. C'est une mission commando, en terrain ennemi, loin de la base des mutants : cela aura son importance pour la séquence suivante car Hickman pose cela comme un élément appelé à se répéter. On entrevoit une réflexion sur le déterminisme, la fatalité, même si elle ne dit pas encore son nom. Mais aussi sur la hiérarchie des X-Men : Xavier est le chef, Magneto le général, Cyclope le lieutenant. C'est clair, net, précis : ce qui manquait depuis des lustres aux X-Men (notamment pour définir Xavier, dont beaucoup de scénaristes ne sachant qu'en faire s'en débarrassaient - Hickman compris, puisque c'est lui qui eût l'idée que Cyclope le tue dans Avengers vs. X-Men).

La troisième partie est la plus consistante : cent ans dans le futur, c'est la période primordiale, charnière de POX, avec ses "Chimères", et les survivants historiques de la deuxième ère (Wolverine, North - une "chimère" composée de Polaris et Emma Frost - , Apocalypse, Xorn et ce qui semble être Cypher - même s'il s'agit plus vraisemblablement d'un hybride composé de Krakoa et Cypher).

Ce groupe de protagonistes va devoir lui aussi s'engager dans une mission dangereuse contre l'ennemi désigné cent ans plus tôt (Nimrod). Mais cette fois, Wolverine le dit sans ambiguïté, c'est une opération-suicide (Parcival avait le pouvoir de les faire passer inaperçus, et la puissance de Nimrod semble illimitée, même pour Apocalypse). Le déterminisme est ici plus franchement formulé : est-ce le destin, sans cesse répété, des mutants de lutter pour survivre (alors que, dans l'An 1, Xavier assurait à Magneto que son plan ne consisterait plus à assurer la survie des mutants...) ?

On arrive à l'An 1000. Hickman est ici plus cryptique. Les personnages sont à peine caractérisés, parlent de manière nébuleuse, et ce n'est pas l'arrivée des Phalanx, ces entités surpuissantes qui arrangent quoi que ce soit. Toutefois l'Ascension désirée par les pairs du Libraire introduit une espérance, absente des segments antérieurs. Elle suggère aussi une forme de mutation ultime.

Ce qui trouble, c'est qu'en vérité aucune de ces époques n'est vraiment identifiée. Depuis qu'on sait que Moira a expérimenté plusieurs existences et que la sixième incarnation nous est inconnue, toutes les théories fleurissent. L'histoire qu'on lit est-elle celle qui prolonge la dixième (et certainement dernière) vie de Moira. Ou bien, quelque part, dans l'intervalle séparant les ères, Hickman n'est-il pas en train de nous raconter la sixième vie de Moira ? Et si POX, toute entière, était non pas le complément direct de HOX mais la sixième vie de Moira et son développement ?  Ou alors la sixième vie de Moira sera dévoilée à la fin de HOX et POX, et sera en quelque sorte le contenant des six séries débutant en Octobre ? 

C'est une machine diabolique qu'a mise au point Hickman, et qui fait phosphorer le lecteur comme jamais, le pousse à des spéculations sans fin. Mais c'est formidable car on vibre à nouveau pour les X-Men, comme on se régale des planches superbes de RB Silva (dont le style trouble aussi par sa ressemblance avec celui de Immonen). Le projet est si bien "designé" (et il faudrait à ce sujet féliciter Tom Muller, qui est le concepteur graphique des deux mini-séries, dont le boulot est fabuleux) qu'on a l'impression que Silva n'a qu'à bien le dessiner - ce qui revient à minimiser ses efforts tout en soulignant son respect du script et son efficacité visuelle.

Bon sang, on peut plus ou moins apprécier Hickman et sa façon de raconter, mais quelle virtuosité quand même ! Son succès est mérité : ne lui devons-nous pas la meilleure des relances Marvel ?   

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