jeudi 1 août 2019

POWERS OF X #1, de Jonathan Hickman et R.B. Silva


Une semaine après l'impressionnante introduction que constituait House of X, voici la seconde mini-série écrite par Jonathan Hickman qui ambitionne de restaurer le lustre des X-Men : Powers of X (lire : Powers of Ten). Après avoir cartographié géo-politiquement les enjeux de son récit, le scénariste explore le temps, passé, présent et futur, toujours aussi magistralement. Et avec RB Silva au dessin, on en prend une nouvelle fois plein les mirettes.


L'évolution des mutants a connu quatre âges : le rêve, le monde, la guerre, l'ascension. En l'An 1 des X-Men, Charles Xavier, encore valide, rencontre Moira McTaggert dans une fête. Elle l'aborde.


Elle s'est faite tirer les cartes et a interprété les prédictions cryptiques de la chiromancienne. Charles est tout à son bonheur car il a, lui, vu la possibilité d'un monde conforme à son rêve. Moira lui répond, énigmatique, qu'il ne s'agit pas d'un rêve.


En l'An 2 des X-Men, aujourd'hui. Mystique et le Crapaud rentrent à Krakoa après leur opération dans les locaux de Damage Control. Elle remet à Magneto et Xavier une clé USB, qui contient des données visant à amélirorer le monde des mutants.


En l'An 3 des X-Men, cent ans dans le futur. Nimrod a conquis la Terre et pratiquement exterminé la race mutante, dont ne subsiste qu'une poche de résistants conçus par Mr Sinister. Rapustin IV et Cardinal perdent deux des leurs pour ramener à Wolverine ce qu'ils ont dérobé dans le Nexus.


En l'An 4 des X-Men, mille ans dans le futur. Le règne de Nimrod s'est achevé depuis longtemps, grâce aux humains. Le Libraire entretient des archives pour qu'on n'oublie pas - et préparer la nouvelle étape ?

Décidément, la reprise en main de la franchise "X" par Jonathan Hickman (à propos de laquelle certains fans ont commencé à détourner la célèbre réplique : "To me, my Hick-Men.") impressionne par son envergure. Le scénariste a vraiment les pleins pouvoirs pour restaurer l'image de marque des mutants et il ne fait pas n'importe quoi.

On comprend désormais pourquoi il a, surtout, obtenu l'arrêt de toutes les séries "X" en cours : pas seulement pour préparer la nouvelle vague qui débutera en Octobre, mais parce que son plan consiste à tout remettre à plat et à établir de nouvelles perspectives que rien ne devait brouiller.

Si House of X a cartographié le volet géo-politique des mutants avec la nouvelle situation de Krakoa comme nation, alors Powers of X (dont le "X" est à lire comme le chiffre 10 en caractères romains) explore la dimension historique. Pour cela, Hickman pose quatre jalons.

L'An 1 déroule une scène qui se situe avant l'accident qui a coûté l'usage de ses jambes à Charles Xavier et également antérieure à la formation de la première génération de X-Men. Le télépathe est encore jeune (mais déjà chauve) et idéaliste. C'est l'âge du rêve, celui de la cohabitation pacifique entre homo sapiens et homo superior. Moira McTaggert aborde Xavier en évoquant des cartes de tarot dont les figures se matérialiseront plus tard dans l'épisode mais surtout en confrontant son interlocuteur aux notions de rêve et de réalité.

Hickman intrigue durablement avec cette scène, qui fait de Moira une femme apparemment insouciante, mais qui, en vérité, en sait plus que Xavier. Lorsque celui-ci sonde son esprit pour apprendre ce qu'elle sait, son expression se fige sans qu'on puisse l'interpréter définitivement : étonnment ? stupeur ? effroi ?

Le scénariste développe ce procédé dans les parties successives de cet épisode où le lecteur appréhende les faits sans pouvoir être certain de leur sens. Que contient la clé USB volée par Mystique (comme on l'a vue dans HOX #1) et qui aidera Xavier à concevoir un monde meilleur pour les mutants ? Tout comme on s'interroge sur ce que Rasputin IV et Cardinal ont dérobé, au péril de leurs vies (et au prix de celles de deux de leurs camarades), dans le Nexus et qui vaut à un Wolverine âgé, dans cent ans, d'affirmer que leur sacrifice n'a pas été vain ? Enfin, qui est ce mystérieux Libraire dans mille ans qui archive les données laissées par Nimrod, en mentionnant une guerre entre les machines et les mutants arbitrée par les hommes tout en veillant sur une sorte de ruche dans laquelle se trouvent de nouveaux Adam et Eve ?

Il faut accepter de recevoir cet épisode avec ces questions sans réponses, ce principe d'allusions, cet enchaînements de moments intervenant à des époques très lointaines les unes des autres. On peut tout de même en déduire que le futur des X-Men selon Charles Xavier a échoué de manière tragique. Hickman convoque un autre grand méchant avec Nimrod, cet androïde du futur, traqueur de mutants, qu'il considère comme des aberrations mais aussi des objets de recherche. Et auprès duquel se tient dans un siècle Karima Shapandar, la Sentinelle Oméga, qui accompagnait le Dr Alia Gregor de la mission Orchis dans HOX #1, et qui a donc trahi les mutants.

Hickman renoue avec les pages exclusivement constituées de textes, d'organigrammes, de plans. Leur usage n'est pas un simple motif répété, un peu maniériste. C'est d'abord un moyen habile de résumer des faits importants, rapidement, mais en soulignant leur impact historique : sans cela, il faudrait le double d'épisodes pour tout montrer, tout raconter. Il est question du programme Sinister, donc de Mr. Sinister, ce machiavélique généticien, qui a collaboré pour l'extermination des mutants tout en dissimulant son propre agenda.

On trouve ainsi l'explication à l'aspect et aux noms de ces curieux mutants du futur (qui apparaissent dès la couverture), comme Rasputin IV et Cardinal. Il s'agit de "chimères", des créatures composées à partir de plusieurs ADN mutants, et aux fonctions prédéterminées. Sinister a voulu doubler les autorités en profitant, au gré des altérations génétiques de ces générations de mutants composites, de changements dans leur comportement. Des chasseurs sont devenus des opposants au régime, se sont mis à développer des sentiments (pacifisme, indépendantisme...), ont multipliés leurs capacités (télépathie, facteur gérisseur...). 

Hickman nuance donc des thèmes rebattus comme la persécution anti-mutants, la résistance. Il jalonne aussi son récit avec de nouveaux paramètres sur le futur en expliquant que les mutants ont majoritairement trouvé asile chez les Shi'ar, mais que huit d'entre eux résident sur l'astéroïde K (comme Krakoa), alors que l'île mutante et sa colonie martienne sont tombées.

Pour traduire visuellement l'ampleur de cette cartographie, après Pepe Larraz sur HOX, POX peut compter sur un autre excellent dessinateur en la personne de RB Silva. Il a déjà pas mal roulé sa bosse, de DC à Marvel, sans s'imposer vraiment. La faute à un style trop proche (jusqu'à un point troublant) avec celui d'Immonen ?

Plus encore que Larraz, Silva entretient la confusion (même s'il ne dispose pas avec Andrea di Benedetto de l'équivalent d'un von Grawbadger à l'encrage). Pour ceux qui sont en manque du maître canadien, en tout cas, c'est un substitut de grande classe. Et qui, là, enfin, trouve matière à prouver sa valeur.

Comme Hickman a lui aussi une expérience de graphiste, nul doute que l'artiste et son scénariste ont dû étroitement collaborer pour que leur mini-série reflète parfaitement l'esthétique du projet. De prime abord, avec plus de la moitié du récit se déroulant dans le futur, on peut être dérouté, notamment par l'apparence des "chimères". Mais les designs a priori un peu bâtards se révèlent très inventifs et nourrissent là encore l'imaginaire (Cardinal avec sa peau rouge mais sa ligne élancée est un mix élégant entre Nightcrawler et son père Azazel, tandis que Rasputin IV est un mélange audacieux entre Colossus et Magik). Silva sait aussi se faire épuré comme en témoigne son Nimrod, à la fois colossal et sournois, ou le Libraire avec ses marques en forme de glyphes sur le visage (élément typiquement Hickman-ien).

Autre point important : la colorisation est assurée, comme pour HOX, par Marte Gracia, ce qui assure une cohérence entre les deux titres. Lesquelles, comme l'avait annoncé Hickman, sont bien complémentaires. Il faut lire les deux séries, qui se répondent, de manière organique, s'enrichissent. Tel Krakoa, elles forment un même arbre aux racines communes mais aux directions différentes - l'une dans l'espace (au sens géographique), l'autre dans le temps.

L'expérience est passionnante. Depuis quand avions-nous été aussi excités par une relance des X-Men ? Et surtout depuis quand un auteur a su si bien tenir sa promesse de relancer la machine ?  

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