Passer après Warren Ellis, voilà la tâche ingrate qui échut à Brian Wood quand il accepta d'écrire les six épisodes suivant ceux de son célèbre confrère. Pourtant, il s'en tire mieux que bien et ce volume 2, intitulé Dead Will Rise, dessiné par l'excellent Greg Smallwood, réussit à exploiter des éléments du premier tome tout en développant une intrigue au traitement original.
- Blackout. La veille de l'allocution aux Nations-Unies du général Aliman Lor, leader de l'Akima, pays africain où il est soupçonné d'avoir commis des crimes de guerre, un tueur à gages équipé d'une armure perfectionnée tente de l'assassiner au milieu du convoi qui le protège. Moon Knight l'en empêche mais son adversaire provoque alors une panne d'électricité géante pour se replier et remplir sa mission. Le justicier le poursuit et parvient à le maîtriser. En dérobant son téléphone portable, il entre en contact avec le commanditaire du tueur : la propre psychothérapeute de Marc Spector !
- Live. Une prise d'otages à lieu à la Freedom Tower, assiégée par la police et les médias. Malgré cela, Moon Knight, en liaison direct avec le détective Flint sur les lieux, s'introduit dans le building et localise les prisonniers tenus en respect par un forcené portant sur lui une bombe. La charge est, d'après lui, suffisante pour raser tout le quartier. Mais son manque de vigilance l'empêche de remarquer la présence du vigilant qui n'hésite pas pour le neutraliser à lui trancher la main dans laquelle il tenait le détonateur. L'intervention de Moon Knight filmée par les caméras de sécurité et diffusée ensuite à la télé provoque une vive polémique.
- Doctor. Marc Spector décide de confronter sa psychothérapeute pour savoir pourquoi elle a engagé un tueur chargé d'assassiner le général Aliman Lor (cf. #1 : Blackout). Elle accepte à condition de l'hypnotiser pour apprendre l'origine de son trouble de la personnalité. Les voici transportés au sommet de la pyramide Gizeh en Egypte où Spector fut sauvé par le dieu Khonshu qui en fit son agent. Puis ils assistent au massacre commis en Akima par les troupes du général Lor il y a vingt ans, quand la psy perdit sa famille. Evoquant d'autres purges (en Syrie, en Amérique du Sud, en Crimée, au Mexique), elle demande à Moon Knight de l'aider à se venger mais il refuse. Elle invoque alors Khonshu qui juge sa requête justifiée et entreprend de chercher un autre agent. Spector se réveille peu avant que la maison de sa psy explose.
- HQ. Gloria Roza est agent de sécurité au siège des Nations-Unies et elle est choisie par Khonshu pour devenir son nouveau bras armé, sans quoi elle n'a plus que 36 heures à vivre. Il la convainc patiemment de tuer Lor. Mais Spector, qui a survécu à l'explosion de la maison de sa psy l'en empêche in extremis lorsque le dirigeant africain arrive à l'O.N.U.. Il est arrêté par les forces de l'ordre, qui connaissent sa double identité, et le tabassent à l'abri des regards.
- Rendered. Détenu dans un lieu secret et médicamenté pour le mater, Marc Spector est à nouveau contacté par Khonshu à qui il essaie d'expliquer que sa psy le manipule alors que la divinité l'estime en droit de réclamer réparation par des moyens radicaux. Agressé par un autre prisonnier, Spector est conduit à l'infirmerie mais il assomme la nurse et s'échappe en subtilisant son passe-partout. Il découvre, sidéré, qu'il est en vérité à bord d'un avion. N'ayant pas d'autre choix, il saute dans le vide, sans parachute.
- Diaspora. Aliman Lor a été enlevé par des mercenaires payés par la psy et séquestré dans une chambre d'hôtel. Il la reconnaît comme étant Elisa, la fille du gouverneur Adrian Warsame qu'il a renversé en 1968, alors que l'Akima était une colonie danoise. Elle avoue alors son véritable mobile : mettre la main sur l'argent qu'il a dissimulé afin de prendre sa place à la tête du pays après l'avoir exécuté. Marc Spector, indemne grâce à l'intervention de Khonshu, a la confirmation de tout cela grâce à une journaliste qui vérifie le passé de la psy pour lui. Moon Knight la neutralise avant que le détective Flint, prévenu par la journaliste, ne vienne arrêter Elisa Warsame.
La construction de l'arc narratif de Brian Wood est plus sophistiquée qu'elle n'en a l'air puisque le scénariste enchaîne les chapitres lisibles comme autant d'aventure autonome tout en les reliant grâce au personnage pivot de la psychothérapeute Elisa Warsame. Elle était apparue brièvement dans le premier épisode de Warren Ellis et Declan Shalvey, comme une figure déjà équivoque, annonçant avec un curieux sourire à Marc Spector qu'il ne souffrait pas de désordre de la personnalité mais d'une invasion psychique par une entité étrangère - le dieu Khonshu.
Wood en fait l'élément-clé de son dispositif en révélant à la fin de l'épisode Blackout qu'elle a loué les services du tueur à gages que vient d'affronter Moon Knight (ou plutôt Mr. Knight, comme il se fait appeler lorsqu'il intervient habillé en costume trois-pièces blanc - et j'en profite aussi au passage pour corriger une erreur rédigée dans ma critique du précédent volume : ce look n'est pas l'oeuvre de Declan Shalvey mais de Michael Lark, lors de l'épisode 19 de Secret Avengers, déjà écrit par Ellis).
Dès lors va s'engager un duel entre Moon Knight/Marc Spector et sa thérapeute pour connaître la raison qui la pousse à vouloir supprimer le général Aliman Lor, un dictateur africain à la tête d'une nation fictive mais où il a pris le pouvoir par la force il y a plus de vingt ans. Les agendas du justicier et de la femme médecin sont confrontés de manière subtile car Moon Knight représente le dieu de la vengeance et devrait donc aider sa psy. Mais on sait aussi qu'il a décidé d'appliquer la justice en disposant de son libre arbitre, quitte à déplaire à Khonshu. Et cela va faire basculer le récit.
Exactement à mi-parcours, dans l'épisode 8, lors d'une séance d'hypnose où Elisa Warsame tente de rallier Marc Spector à sa cause, le jugement de ce dernier est éprouvé par les souvenirs d'enfance de son interlocutrice. Persistant malgré tout à ne pas tuer pour elle et pensant lui avoir prouvé qu'elle ne l'instrumentaliserait pas, il subit un revers inattendu (pour lui comme pour le lecteur) quand elle en appelle alors à Khonshu lui-même... Qui estime légitime une intervention contre Aliman Lor !
Spector n'est plus l'agent du dieu égyptien et on le suit durant les deux épisodes suivants en train d'empêcher une autre élue de la divinité de commettre l'assassinat du dirigeant politique puis être incarcéré dans une prison dont la nature aboutit là encore à une surprise spectaculaire, impossible à deviner avant la fin de l'épisode 11 (Rendered).
Brian Wood a opéré une bascule narrative formidable, imprévisible, et d'une efficacité redoutable, qui fait vibrer le lecteur pour le héros engagé dans un combat moral, physique mais aussi politique. On aurait pu craindre que cette dernière dimension n'alourdisse le propos maladroitement dans ce qui se veut d'abord une oeuvre de divertissement au format réduit à six chapitres, mais le scénariste introduit cela avec habileté. Citer ainsi le conflit syrien, les coups tordus sud-américains, le putsch en Crimée, la criminalité des cartels mexicains, et les dictatures africaines est audacieux et délicat, mais Wood l'accomplit remarquablement.
Graphiquement, Greg Smallwood n'est pas encore parvenu à la maturité qu'il affichera lors de son retour à la série quand elle sera écrite par Jeff Lemire en 2016-2017. Mais il affiche déjà des dispositions prometteuses et pose les bases visuelles qu'il peaufinera ensuite. La continuité esthétique est assurée par la présence de la coloriste Jordie Bellaire qui conserve à Moon Knight le traitement mis au point avec Declan Shalvey, avec son aspect immaculé quand il est en costume civil.
Smallwood n'emploie la tenue super-héroïque du personnage que dans un épisode, Live : c'est d'ailleurs un tour de force puisque toute l'histoire est vue par le biais de caméras de surveillance dans un gratte-ciel. Ce qui pourrait n'être qu'un procédé un peu artificiel s'avère au bout du compte étonnamment immersif et donne à voir Moon Knight dans sa formation militaire (comme il le fut en tant que Marc Spector), efficace, précis, méticuleux, mais aussi cruel, sanguinaire (il tranche la main du terroriste qu'il doit maîtriser pour qu'il n'active pas le détonateur de sa bombe).
Le découpage de Smallwood est encore sage par rapport à son run avec Lemire, où il s'amusera avec la forme des cases et leur disposition dans la planche entière puis l'enchaînement des pages et leur sens de lecture, mais il joue déjà avec le blanc même de la case, aussi virginal que le costume de Moon Knight, et la multiplication des vignettes de taille réduite pour monter l'action de manière hyper-ciblée (voir l'épisode Blackout pour découvrir comment, ainsi, l'artiste met en scène la panique liée à la panne d'électricité sans recourir à un plan d'ensemble avec une foule de figurants désordonnée). La valeur de chaque plan est un souci constant chez ce dessinateur qui le rapproche d'un autre maniaque dans ce domaine, David Aja (avec lequel il partage aussi, dans ce volume, une simplicité du trait, un encrage un peu gras - auxquels il donnera plus de réalisme et de texture par la suite).
Il était difficile de passer après Ellis et Shalvey, mais Wood et Smallwood ont fait feu de tout bois (jeu de mots facile, mais trop tentant...) et leur bref passage sur le titre est une authentique réussite. Après cela, mieux vaut s'abstenir de lire ce qu'ont commis Cullen Bunn et Ron Ackins et passer directement au relaunch magistral dirigé par Lemire et Smallwood (dont je vous ai déjà parlé il y a quelques mois).
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