jeudi 4 janvier 2018

BATTLE OF THE SEXES, de Valerie Faris et Jonathan Dayton


Remarqué par leur premier film (Little Miss Sunshine en 2006), le tandem Valerie Faris-Jonathan Dayton était attendu au tournant avec ce biopic sur un des matchs de tennis les plus médiatisés de l'Histoire de ce sport, baptisé avec grandiloquence Battle of the Sexes, qui opposa en 1973 la championne Billie Jean King à l'ancienne gloire Bobby Riggs. Mais les cinéastes ont su habilement éviter les écueils du genre en en livrant un récit sensible qui fait aussi, de manière troublante, écho à l'actualité récente...

 Gladys Heldman et Billie Jean King (Sarah Silverman et Emma Stone)

1972. Billie Jean King, 29 ans, termine la saison en remportant trois tournois du Grand Chelem, accédant à la première place du tennis féminin. Mais lorsqu'elle apprend par un communiqué de presse émis par le journaliste et commentateur sportif Jack Kramer que la Fédération américaine versera au prochain champion masculin dix fois la somme promise à une joueuse, elle se rebelle et décide d'entraîner ses consoeurs dans une tournée dont sa manager Gladys Heldman organisera les parties, sponsorisées par un fabricant de cigarettes.

Marilyn Barnett et Billie Jean King (Andrea Riseborough et Emma Stone)

1973. Ce mouvement attire l'attention de Bobby Riggs, 55 ans, retiré des courts, et réveille en lui à la fois son machisme naturel et son addiction au jeu. Convaincu comme la majorité des mâles de sa supériorité, il défie Billie Jean King de disputer un match contre lui pour prouver qu'il est resté meilleur qu'une femme. Mais elle refuse, ne voulant pas flatter l'ego hypertrophié de ce phallocrate, et par ailleurs trop troublée par sa rencontre avec une coiffeuse, Marilyn Barnett, avec laquelle elle entame une liaison.

Marilyn Barnett et Larry King (Andrea Riseborough et Austin Stowell)

Larry, le mari et entraîneur de Billie Jean, la rejoint la veille d'un match contre Margaret Court et devine rapidement l'infidélité de son épouse. Il constate également que cette passion impacte ses performances quand elle s'incline contre Margaret Court qui, comble du comble, annonce qu'elle a accepté le challenge de Riggs.

Margaret Court et Bobby Riggs (Jessica McNamee et Steve Carell)

Furieuse, Billie Jean regarde à la télé la défaite de Court et les fanfaronnades de Riggs qui ne compte pas en rester là et propose à la prochaine joueuse intéressée un match avec une récompense de 100 000 $. Parce que, comme elle l'a avoué à Marilyn, enfant elle a subi l'humiliation d'un prof de sport et compensé cela en voulant devenir la meilleure et faire bouger les choses, Billie Jean comprend qu'elle doit aller une nouvelle fois au bout d'elle-même et, par l'entremise de Larry, accepte de défier Riggs, mais en y mettant les formes et des conditions.

(à gauche :) Jack Kramer (Bill Pullman)

Riggs, avec arrogance, refuse de s'entraîner, convaincu de l'emporter une nouvelle fois facilement. Mais Billie Jean subit la pression de l'événement et tombe malade : Larry est prêt à appeler Marilyn pour la soutenir. Elle se reprend et négocie les termes de la rencontre, écartant Jack Kramer que Riggs voulait comme commentateur - mais ce dernier a toujours dénigré les joueuses et Billie Jean en particulier. Le journaliste préfère se retirer que de compromettre le match.

Billie Jean King et Bobby Riggs

Billie Jean s'astreint à un entraînement strict et arrive, remontée, à la conférence de presse d'avant-match qui s'est transformé en véritable cirque médiatique car NBC le retransmettra devant 90 millions de téléspectateurs. Marilyn débarque de son propre chef dans la loge de sa championne et la calme avant de rentrer sur le terrain.

Bobby Riggs et Billie Jean King

Riggs et Billie Jean rivalisent de malice avant de s'affronter pour assurer le show devant les caméras. Puis le match peut enfin commencer. Riggs comprend vite que son adversaire est déterminée et en forme : Billie Jean remporte les deux premiers sets !

La "Bataille des Sexes"

Dérouté, inquiet, Riggs profite d'une pause de cinq minutes durant laquelle il se fait masser au bras droit pour une crampe et pour casser le rythme de la partie. Subterfuge ou non, cela plonge Billie Jean dans le doute et voit revenir son adversaire au score. Le final s'annonce palpitant et disputé : Qui remportera cette "bataille des sexes" ?

Après la victoire...

Bien qu'éminemment "cinégénique", le tennis a inspiré peu de films même si le 8 Novembre dernier, quelques semaines avant la sortie de Battle of the Sexes, Janus Metz proposait en salles sa recréation de la finale de Wimbledon 1980 dans Borg/McEnroe. Avant cela, j'avais vu La plus belle victoire de Richard Loncraine (avec Kirsten Dunst et Paul Bettany, 2004), mais où le jeu n'était que la toile de fond d'une comédie romantique et où les échanges raquettes en main devaient tout aux effets spéciaux.

Le long métrage de Faris et Dayton relate des faits aussi vieux que moi, une autre époque, une toute autre manière de pratiquer le tennis : pensez, les raquettes étaient encore en bois, et un bouffon idiot utile des féministes qu'il combattait, avec l'appui d'une fédération aussi arriérée que lui, défiait des joueuses pour justifier qu'elles soient moins bien payées pour leurs victoires. Mais est-ce si loin finalement ?

Nous sommes 45 ans après les faits décrits et encore aujourd'hui l'ATP offre bien plus d'argent aux champions qu'à leurs homologues féminines - dont les matchs font souvent pourtant de meilleurs scores d'audience ! Comme l'a expliquée, lors de la promotion du film, Billie Jean King, consultante durant le tournage, il ne s'agit pas tant de discuter l'avantage physique de ces messieurs sur les courts que de lutter encore contre l'inégalité salariale chez les sportives.

Plus troublant encore, l'histoire, édifiante mais racontée avec subtilité et générosité, renvoie au combat politique : ce guignol phallocrate contre cette battante affrontant d'abord ce qu'elle a impulsé ne fait-il pas penser au duel qui opposa Donald Trump, le distingué président qui déclarait "attraper les femmes par la chatte", à Hillary Clinton, dépassée en popularité par Barack Obama, le précédent locataire de la Maison-Blanche, et peu soutenue par le parti Démocrate ? 

Dans le tourbillon qui a ébranlé Hollywood suite au scandale Wenstein et ses débordements (dérapages) médiatiques (quand on s'est mis à prendre les réseaux sociaux pour des canaux de délation plutôt que d'accompagner les victimes devant les tribunaux où seules ces affaires crapoteuses peuvent et doivent se régler), l'opposition de King et Riggs est plus que jamais d'actualité.

C'est ce réseau souterrain, sans doute insoupçonné par le scénariste Simon Beaufoy quand il rédigea son script, qui assure à ce récit sa force et lui confère une portée symbolique remarquable fraîche et euphorisante car, comme sa formidable héroïne (incarnée par la merveilleuse Emma Stone) et son adversaire pathétique (Steve Carell dans un numéro ingrat qu'il assume), ce qu'il défend n'est jamais exprimé agressivement. 

Plus que la victoire, on en retient l'espèce de sidération fière qui se lit sur le visage de la gagnante quand elle comprend qu'elle a surtout remporté la partie sur elle-même. Vraiment, ça, ça fait du bien !