Après un premier chapitre impressionnant, la suite de la mini-série écrite par Kurt Busiek et dessinée par John Paul Leon, Batman : Creature of the Night, vient juste de paraître. Ce superbe projet va-t-il continuer à tenir toutes ses promesses ?
Etudiant à Harvard, Bruce Wainwright a conservé intacte sa passion pour les comics, en particulier ceux mettant en scène son héros favori, Batman. Il est désormais aussi en âge de profiter de la fortune de ses défunts parents et dirige, avec l'appui de son oncle "Alfred", la compagnie Wainwright Investments avec brio. Il décide ainsi d'investir dans des modems électroniques mis au point par un ingénieur noir, Martin, rejeté par toute la concurrence à cause de leur racisme.
Mais Bruce continue de voir la créature de la nuit qui s'est manifesté à lui quand il avait neuf ans et qui les protège, lui et la ville contre divers gangs. Le jeune homme aimerait, lui aussi, oeuvrer pour la bonne cause, plus activement, pour changer le monde, à sa mesure. Il convainc, pour cela, son oncle de parrainer un orphelin, pour commencer : il a élu une jeune fille, dont les parents ont été assassinés par la pègre, Robin Helgeland.
Mais cela ne lui suffit bientôt plus. Lorsqu'il apprend que sa protégée risque de ne pas s'intégrer à son programme, Bruce décide de faire toute la lumière sur la mort des siens. Pour cela, il doit accéder au dossier de la police et soudoie l'officier Gordon Hoover, le policier monté en grade qui l'avait pris en charge quand ses propres parents trouvèrent la mort. Mais ses investigations aboutissent à une impasse, aucun élément nouveau ne permettant de rouvrir l'enquête. La créature, elle, se met en chasse, mais Bruce est frustré de ne pouvoir parler de leur relation à personne, convaincu qu'on le prendrait pour un fou.
Côté business, Wainwright Investments profitent de l'infortune d'un concurrent, Pennyworth, pour remporter un nouveau gros contrat dans le domaine des transports maritimes et les modems de Martin sont un succès. La créature remonte la piste des assassins des parents de Robin Helgeland, neutralisant ainsi un vaste réseau criminel que la police n'a plus qu'à placer derrière les barreaux. Cela met évidemment la puce à l'oreille de Gordon Hoover qui suspecte Bruce d'être mêlé à cette affaire sans savoir comment : pour l'apprendre, il sollicite un entretien avec lui dès que possible.
Bruce invoque la créature et lui demande des explications sur la manière dont il a mis hors d'état de nuire tous ces malfrats. En accédant à l'esprit de son allié, le jeune homme découvre qu'il a aussi travaillé à la réussite de son entreprise, notamment en sabotant les convois maritimes de Pennyworth.
S'estimant trahi, malgré ces bonnes intentions, Bruce repousse la créature et se remémore le conseil avisé de son oncle comme quoi la vie se charge toujours de vous rappeler à l'ordre si on pense que tout vous est dû. Pour se racheter, espère-t-il alors, il doit veiller sur Robin Helgeland qui, comme lui, voudrait à présent aider les nécessiteux.
Le résumé que j'ai tiré de cet épisode ne rend pas vraiment justice à sa densité exceptionnelle, ayant volontairement passé sous silence quelques péripéties précisant l'évolution de la quête de justice de Bruce Wainwright.
On reconnaît en tout cas dans ce riche matériau la griffe de Kurt Busiek qui ne saurait se contenter de livrer une version alternative autour de Batman mais joue avec la mythologie du personnage et les variations qu'elle offre au scénario. L'autre point évident appartenant au scénariste est que l'action est quasi-exclusivement narrée du point de vue d'un protagoniste normal, une sorte de figure témoin à laquelle on peut facilement s'identifier, en l'occurrence Bruce Wainwright.
Il est effectivement aisé de comprendre les motivations qui agitent le jeune homme, son intranquillité comme son assurance, bien équilibrées par le contenu du propos. D'un côté, on le retrouve avec quelques années en plus mais encore jeune (autour de la vingtaine d'années), devenu un étudiant émérite à Harvard mais toujours fan de comics (et s'amusant volontiers lui-même de sa presque homonyme avec Bruce Wayne ou du choix qu'il fait en rachetant une entreprise en fonction du nom de son ancien patron ou encore quand il désigne Robin Helgeland pour devenir son parrain). De l'autre, il demeure hanté par son désir de faire le bien, en aidant comme il le peut cette étrange créature de la nuit, puis en s'engageant en faveur d'une orpheline au point de vouloir débusquer les assassins de ses parents.
Busiek maintient le lecteur en état d'alerte tout en laissant le récit respirer régulièrement en montrant Bruce profiter de sa jeunesse, ses plaisirs (il est, comme il le reconnaît, bien né, séduisant, et il collectionne les aventures sans lendemain avec des filles). Comme un pas de côté, le jeune homme prend aussi la mesure de son entourage, en particulier de son oncle, qui est devenu son bras-droit en affaires, mais dont il a surtout compris que s'il ne l'a pas élevé, c'est parce qu'il était homosexuel, situation délicate à l'époque. En creux le personnage d' "Alfred" voit son attitude ainsi justifiée sur bien des plans : ainsi sa réticence à approuver l'investissement financier dans le projet de Martin ne relève pas du racisme, ayant accablé l'ingénieur noir, mais d'une méfiance confinant au réflexe dans la sphère publique (ne surtout pas attirer l'attention). C'est très finement suggéré.
Visuellement, le travail de John Paul Leon est toujours aussi impressionnant : son trait à la fois charbonneux et détaillé fait des merveilles dans les scènes avec la créature dont le quasi-mutisme renforce l'aspect inquiétant, et dont la brutalité est encore plus souligné. L'artiste parvient à exprimer la majesté inquiétante, la présence et la connaissance presque omniscientes de ce Batman alternatif en le réduisant pourtant à une silhouette opaque dont les yeux rouges renvoient à l'inspiration première de Bob Kane et Bill Finger, le Dracula de Bram Stoker.
Mais l'expressivité du récit ne s'arrête pas à sa dimension fantastique et Leon livre aussi des planches saisissantes avec Bruce dans des cadres plus banals mais superbement traités. Le dessinateur se permet même, comme Immonen le fit avec Superman : Secret Identity, des imitations plus vraies que nature de pages de comics rétro, parfois pour une planche pleine (comme celle qui ouvre l'épisode) ou quelques cases lors d'une scène poignante (l'arrivée de Robin Helgeland au Cornerstone). Les décors les plus ordinaires - un bureau d'entreprise, une salle des archives, une chambre, un salon, le hall d'une réception, les toits et les rues de la ville - sont l'occasion d'admirer le souci de réalisme sans jamais sacrifier l'atmosphère envoûtante créée par John Paul Leon.
Le coup de théâtre final relance totalement l'histoire et promet une nouvelle fois énormément pour la suite de cette aventure qui, entamée en cette fin 2017, se poursuivra en 2018 comme un événement.
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