mercredi 13 décembre 2017

BATMAN ANNUAL #2 : DATE NIGHTS - LAST RITES, de Tom King, Lee Weeks et Michael Lark


Le premier Annual de la série Batman de l'ère "Rebirth" n'était pas le fruit de l'auteur Tom King mais une compilation d'histoires courtes par plusieurs scénaristes et dessinateurs. Je l'ai lu et c'est dispensable. En revanche, le deuxième, qui vient de paraître sous le titre Some of these days, est d'un tout autre tonneau et mérite d'être, sans détour, qualifié de chef d'oeuvre, grâce à la qualité de l'équipe qui a travaillé dessus mais aussi, mais surtout, pour sa charge émotionnelle.


Autrefois. Batman et Catwoman sont au début de leurs carrières respectives. Une nuit qu'il s'occupe de malfrats dans les bas quartiers de Gotham, elle s'introduit dans la Bat-cave par effraction et vole la Bat-mobile. Alfred Pennyworth avertit son maître qui retrouve rapidement son véhicule ayant éventré la vitrine d'un bar mal famé.


Plus tard. Après avoir envoyé le Sphinx derrière les barreaux, Bruce Wayne s'interroge sur la dernière énigme que lui a adressé son ennemi et remarque que son crayon a disparu. Catwoman vient de le lui dérober et elle est encore dans le manoir à l'intérieur duquel il la poursuit. Mais elle parvient à s'en échapper malgré la police qui l'attend à l'extérieur.
  

Plus tard. Catwoman s'enhardit et déverrouille le coffre-fort de Bruce Wayne dans la chambre de ce dernier. Batman la surprend comme elle en retire une perle du collier de feue Martha Wayne. Ils comparent leurs destins similaires, tous deux orphelins très jeunes, mais aussi leurs différences, chacun d'un côté de la loi. Une fois encore, la voleuse réussit à s'éclipser.
  

Plus tard. Batman attend Catwoman chez elle et l'interroge sur ce qui la pousse à constamment le harceler. Elle lui explique le défier ainsi pour le pousser à devenir meilleur, prêt à affronter les vilains les plus retors. Attirés l'un par l'autre, ils finissent par s'embrasser après s'être démasqués pour la première fois, puis évoquent leur première rencontre - sans être d'accord à ce sujet...


Beaucoup plus tard. A l'hiver de leurs vies, en couple, Bruce Wayne et Selina Kyle patientent dans le cabinet d'un médecin en continuant à se chamailler sur l'endroit où a eu lieu leur première rencontre. Le docteur les interrompt : il a de mauvaises nouvelles...


Atteint d'un mal incurable, Bruce préfère parler d'autre chose pour distraire Selina. Malgré ses efforts, elle craque. Plus tard, elle rencontre leur fille, the Huntress, qui a pris contact avec Zatanna à propos du mal qui ronge Bruce. Mais la magicienne a estimé qu'il était trop tard...


Selina, entouré de proches, ferme les yeux de son grand amour. Elle descend ensuite à la Bat-cave et monte dans la Bat-mobile. Un chaton noir s'approche d'elle, portant attaché à son collier un billet sur lequel sont inscrits les derniers mots d'amour de Bruce pour sa femme.

Sans vouloir paraître grandiloquent ou définitif (puisque son oeuvre est encore en cours, et qui plus, relativement fraîche), il me semble qu'après la lecture de ces presque quarante pages il y a actuellement, parmi les scénaristes de comics contemporains, Tom King et les autres. En quelques années, cet ex-agent du gouvernement, fan de bandes dessinées depuis son adolescence, reconverti tardivement comme auteur, a fait son trou, patiemment, pour finir par se voir offrir la rédaction d'une série aussi exposée que Batman.

Et c'est sans faillir, avec l'assurance d'un auteur aguerri, qu'il conduit le titre depuis maintenant plus de trente numéros, après s'être fait remarqué auparavant ici (un passage chez Marvel avec la mini-série récompensée Vision) et là (Grayson, co-écrit avec Tim Seeley). Il avait laissé son tour pour le premier Annual, mais entre temps, il a pu bouleverser la vie de Batman en officialisant son couple avec Catwoman (une demande en mariage en bonne et due forme à la fin du troisième arc narratif, I am Bane).

Profitant de l'occasion, il a choisi de développer cette situation de manière extraordinairement émouvante dans ce deuxième Annual que la couverture sous-titre comme celui des Date nights - Last rites (soit les "rendez-vous nocturnes - derniers rites").

Lee Weeks, artiste trop rare, dessine la première partie du récit, situé dans le passé de Bruce Wayne et Selina Kyle, occupant 30 pages sur les 38 au total du fascicule. Le rythme y est alerte, l'humeur badine, et le découpage moins stricte que ce qu'on a l'habitude de lire dans la production habituelle de King. Weeks traduit magnifiquement ce jeu du chat et de la chauve-souris avec une souris en guise de fil rouge, grâce à ce trait vif, expressif, somptueusement rehaussé par les couleurs de la géniale Elizabeth Breitweiser.

King nous montre un couple en formation dont se dégage une tension érotique évidente mais aussi des fêlures similaires : Bruce Wayne et Selina Kyle ont tous deux perdu leurs parents très jeunes et se sont construits sur ce deuil, mais de manière dissemblable. Catwoman provoque son vis-à-vis sciemment pour le mettre à l'épreuve dans ses premiers pas de justicier et King appuie sur le symbole du chat joueur, malicieux, dominateur quand elle lui dit qu'il n'a au fond jamais cessé d'être le riche petit orphelin dans son grand manoir avec son majordome. Batman est dérouté par ce défi sans cesse répété qui ne semble conçu pour le blesser mais pour le réveiller, le maintenir en alerte. C'est effectivement l'objectif.

Le ressort très original, à la fois ludique et périlleux, de ce couple repose sur le fait qu'elle agit ainsi pour l'entraîner, l'endurcir, l'améliorer. Catwoman n'est pas une méchante, elle n'est pas le Joker, Double-Face, le Pingouin, le Sphinx : sa position morale est plus ambiguë, ses actes plus troubles, elle ne cherche pas à faire mal. Batman est désarçonné par cela car son activité de cambrioleuse la range du côté des criminels sans qu'elle ait du sang sur les mains - quelle est la différence entre un voleur et un tueur ? Le voleur ne prend jamais de vie.

Puis, grâce à une transition magistrale (un échange verbal qui se prolonge sur plusieurs décennies et fluidifie une large ellipse), Michael Lark prend le relais de Weeks au dessin et représente Bruce Wayne et Selina Kyle au soir de leur vie, visiblement retirés de leurs activités masquées, depuis longtemps mariés. Ils attendent en se querellant avec complicité un médecin qui leur apporte une mauvaise nouvelle - la maladie de Bruce.

King vient en deux pages de passer de la griserie d'Eros à la noirceur de Thanatos et nous annonce rien moins que la mort de Batman. Le lecteur est saisi, sidéré, a d'abord du mal à réaliser ce qui vient de se jouer, refuse presque d'y croire avant de se rappeler que le héros n'est pas un de ces surhommes pourvu de pouvoirs, altérant sa durée de vie.

La suite de ce second acte enchaîne les scènes brèves - Selina ayant requis l'aide de sa fille pour avoir celle de Zatanna et de la magie pour guérir Bruce, Selina affirmant comme jadis qu'elle n'est pas là pour aider Bruce avant de l'embrasser. Puis, tout aussi sèchement, le scénariste nous montre le héros vaincu, terrassé, sur son lit, gisant, sa veuve lui souhaitant de trouver le repos. Le moment est poignant, comme rarement, parce que sans effusions, traité très sobrement, avec beaucoup de dignité et d'intensité.

Les grandes BD se distinguent dans ces instants ainsi traduits, les plus délicats, les plus difficiles, les plus extrêmes, les plus intimes, où un auteur réussit, sans recourir à de grands effets, à produire une émotion authentique, touchante. Lorsque l'on ressent comme un des personnages la joie d'un bonheur, la douleur d'une perte, et le temps passé entre les deux, qui densifie ce qu'on cherche à nous communiquer.

Alors qu'il nous impressionne actuellement avec Mister Miracle, Tom King avec le concours de deux artistes prodigieux comme le sont Lee Weeks et Michael Lark nous bouleverse avec ce mémorable, déjà classique parmi les classiques, Batman Annual 2. A n'en pas douter, une des lectures les plus puissantes de cette fin d'année - de l'année tout court.   

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