JERÔME K. JERÔME BLOCHE : UN CHIEN DANS UN JEU DE QUILLES est le 19ème tome de la série, écrit et dessiné par Dodier, publié en 2006 par Dupuis.
Il s'agit de la première partie d'une histoire qui continue et s'achève au tome 20, Fin de contrat.
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Alors qu'il a passé la nuit avec Babette, chez elle, qu s'apprête à partir pour Mexico, Jérôme reçoit un appel téléphonique d'une jeune femme avec laquelle il prend rendez-vous au matin, à son bureau.
Ce qui va surprendre le détective, c'est que cette cliente a fait erreur sur la personne puisqu'elle souhaite louer les services de Jérôme non pour une enquête privée mais pour tuer son beau-père, qui les frappe, elle et sa mère !
Après l'avoir congédié, Jérôme est pris de remords et rongé par l'inquiétude car il sait le calvaire qu'endure la jeune femme mais aussi qu'elle va finir par prendre contact avec un vrai tueur. Convaincu qu'elle s'est trompée de numéro de téléphone, il épluche l'annuaire pour trouver celui qu'elle pensait atteindre et, après plusieurs tentatives, il tombe sur une cabine publique, l'endroit idéal pour correspondre avec un assassin.
Il se rend à l'adresse de la cabine et repère le tueur puis le prend en filature jusqu'à son domicile. Là, il se planque dans un café voisin et quand l'assassin présumé y entre à son tour, Jérôme en profite pour pénétrer dans son appartement et l'inspecter. Il y découvre une angoissante collection de reptiles et autres bestioles dangereuses. Le tueur rentre chez lui, mais Jérôme a juste le temps de se cacher, puis le malfrat ressort et la filature reprend.
Le tueur rejoint un bistrot en banlieue, là où travaille et vit sa cible...
JERÔME K. JERÔME BLOCHE : FIN DE CONTRAT est le 20ème tome de la série, écrit et dessiné par Dodier, publié en 2007 par Dupuis.
Il s'agit de la seconde partie de l'histoire commencée dans le tome 19, Un chien dans un jeu de quilles.
Jérôme a eu le temps de sauver le beau-père de la jeune fille maltraitée du tueur qu'elle a engagé. Son intervention les a convaincues, elle et sa mère, d'enfin porter plainte contre celui qui les brutalisait. Mais le détective n'est pas au bout de ses soucis car le tueur sait maintenant que Jérôme le connaît et il va s'employer à le supprimer.
C'est un adversaire expérimenté et pervers auquel a affaire notre héros qui n'est plus à l'abri nulle part, ni chez Babette - où il échappe de peu à la morsure d'un serpent lâché là - ni chez lui - où il évite de justesse à des tirs de fusil depuis l'immeuble d'en face.
Jérôme obtient de la jeune femme l'adresse et le nom d'un propriétaire d'une casse qui lui avait donné les coordonnées du tueur afin de le contacter à son tour pour le piéger. Mais aussitôt après sa visite, le ferrailleur Max prévient l'assassin. La jeune femme appelle Jérôme pour lui expliquer que le tueur souhaite lui rendre son argent puisqu'il n'a pas rempli son contrat. Rendez-vous est donné à une cimenterie.
Le détective se rend au lieu dit, seul, le soir venu. Le tueur est déjà là, mais Jérôme réussira-t-il à le neutraliser ?
Après avoir augmenté la pagination de ses albums (de 46 à 52 pages), Alain Dodier revient au tome 19 au format traditionnel mais pour composer un nouveau diptyque, son deuxième après La comtesse-La lettre (tomes 15-16), soit une histoire de 92 pages.
Le tome 18 (Un petit coin de paradis) m'avait déçu, mais je gardai ma confiance en la série et son auteur car ils avaient toujours su rebondir. J'ai eu raison car Un chien dans un jeu de quilles et Fin de contrat forment un des meilleurs récits proposé par Dodier.
Le début est déjà très accrocheur avec ce malentendu où Jérôme est pris pour un tueur à gages par une jeune femme battue. Il entreprend alors son enquête à la fois pour sauver celle qu'il a renvoyée, furieux de cette méprise, mais aussi pour appréhender le vrai tueur qu'elle va retrouver. Tout fonctionne à merveille dans cette introduction, avec une situation originale, poignante et palpitante, des personnages bien campés, et le scénario se déploie en utilisant avec brio les seconds rôles de la série - le curé Arthur, l'épicier Burhan, Mme Rose, Mme Zelda. Même l'absence de Babette devient un ressort participant à la dynamique de l'intrigue.
Certaines séquences sont admirablement conçues, comme la filature du tueur par Jérôme qui va de la page 15 à la page 19, et 52 cases, dont pas moins de 50 muettes. Dodier parvient à traduire avec une économie de moyens mais une épatante intelligence dans le découpage toute la tension de ce passage, sa narration ne se départit jamais de sa coutumière simplicité mais il est impossible de décrocher.
Les enjeux dramatiques vont crescendo tout en ménageant des moments plus légers (comme lorsque Jérôme est légèrement enivré après avoir remonté le moral de sa cliente, puis qu'il est dégrisé en un éclair).
Dodier utilise aussi un procédé de mise en scène très malin en ne montrant jamais précisément le tueur, qu'on voit le plus souvent de loin, jamais en gros plan. Cette silhouette mystérieuse, mais néanmoins identifiable, rend la menace encore plus efficace puisqu'on ne le voit jamais à l'oeuvre ni de manière rapprochée. L'imagination du lecteur tourne à plein régime sur la dangerosité réelle ou supposée de cet assassin professionnel. Et c'est ainsi que la dernière image du tome 19 nous laisse aussi sidéré que Jérôme.
La suite est plus qu'à la hauteur : Dodier accélère le rythme en concentrant son histoire sur l'affrontement entre Jérôme et le tueur. L'objet initial de l'intrigue (le beau-père violent) est rapidement écarté et réglé, mais cette fois le héros a compris qu'il était devenu la cible.
Là encore, plusieurs scènes sont exemplairement exécutées : le serpent dans le lit (dont Jérôme se débarrasse avec certes efficacité mais de façon peu orthodoxe), la fusillade dans le bureau du détective (et la course qui s'ensuit pour Jérôme), jusqu'au clou du spectacle, si j'ose dire - le rendez-vous nocturne à la cimenterie. Là encore, Dodier privilégie le silence tout en veillant à une parfaite lisibilité et montée en puissance de la séquence. Les coups de théâtre se succèdent ensuite, mais si bien orchestrés, si intenses, si finement agrémentés de quelques répliques plus légères (où l'on constate qu'il ne fait pas bon utiliser son véhicule pour aider Jérôme)... C'est un vrai régal, et une belle leçon d'écriture.
Le sort réservé au tueur laisse même la porte ouverte à son retour (même si Dodier ne ressort qu'exceptionnellement des dossiers, préférant conserver à la série une accessibilité permanente pour de nouveaux lecteurs).
Visuellement, ces deux tomes donnent aussi à voir un des travaux les plus aboutis (si ce n'est le plus abouti) de Dodier comme dessinateur.
La variété des décors est toujours spectaculaire et leur rendu saisissant : en remerciant le propriétaire d'une casse, par exemple, on comprend comment il réussit si bien à représenter celle de Max. La scène de la cimenterie est aussi sensationnelle, fruit d'un repérage minutieux, mais aussi de recherches sur les ombres et lumières, les silhouettes, d'une grande élégance.
Quand il met en scène une filature, comme je le soulignai déjà plus haut, son découpage est vraiment épatant : il use de "gaufriers" entre 8 et 10 cases avec une fluidité impressionnante, et le soin toujours aussi minutieux qu'il met à reproduire les rues et ruelles de Paris sont dignes d'une visite guidée (ici dans le Xème arrondissement). Un autre "morceau de bravoure" se situe au moment où Jérôme est la cible de tirs de fusil dans son bureau : on le voit ramper jusque dans sa cuisine, revenir dans la première pièce après avoir, avec une paire de jumelles, localisé le tireur, descendre les escaliers de son immeuble, traverser une petite cour, atteindre l'immeuble voisin, monter à l'étage, surgir dans l'endroit où se trouvait le tireur (parti entretemps), revenir chez lui, y entendre des bruits suspects et surprendre Rose et Zelda faisant le ménage après s'être inquiétées du bruit - tout ça en 4 pages et une trentaine de plans.
C'est ce qui frappe peut-être le plus à ce stade de la série : la densité de la mise en page alliée à cette fluidité dans la lecture.
Le trait clair, rond, précis, de Dodier fait le reste, en traitant les personnages, récurrents ou épisodiques, avec la même attention, soignant l'expressivité de leurs visages comme celle de leurs attitudes. C'est très fort.
Retour gagnant donc, et doublement car l'ambition du récit et la maîtrise du résultat enthousiasment. Jérôme K. Jérôme Bloche est vraiment une sacrée série, réalisée par un sacré auteur, combinant le divertissement et le suspense, avec des histoires et des dessins imparables.
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