jeudi 3 juillet 2014

Critique 474 : JERÔME K. JERÔME BLOCHE, TOME 10 - UN BEBE EN CAVALE, de Dodier (avec Makyo)


JERÔME K. JERÔME BLOCHE : UN BEBE EN CAVALE est le 10ème tome de la série, écrit (avec la collaboration de Pierre Makyo) et dessiné par Dodier, publié en 1995 par Dupuis.
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Alors qu'il prépare son dîner d'anniversaire en attendant sa fiancée Babette, Jérôme doit aller en catastrophe acheter une bouteille de gaz chez Burhan, l'épicier arabe de son quartier. Les deux hommes sont parrains d'une association qui vient en aide à des enfants abandonnés, "les enfants de là-bas", qui doit élire son nouveau président dans trois jours.
De retour à son appartement, Jérôme y trouve un des amis, Martin, qui lui confie un bébé, celui qu'il a eu, dit-il, avec sa femme, assassinée, après qu'il a enquêté sur un certain Omar Khattab, impliqué dans du blanchiment d'argent. Le journaliste est aujourd'hui traqué par deux tueurs jumeaux et a besoin d'un peu de temps pour réunir des preuves qui accableront son ennemi.
C'est ce qu'explique Jérôme à Babette quand elle arrive et le surprend avec Charlotte, le nourrisson.
Peu après, le détective reçoit un message de Martin qui lui donne des instructions précises pour lui rendre sa fille dans un cimetière. Mais Jérôme tombe dans un piège et entame alors une longue course-poursuite nocturne dans Paris, avec les deux tueurs aux trousses. 
Le fin mot de l'histoire réservera pourtant une surprise pour tous les protagonistes car Martin n'a pas dit la vérité sur sa situation...

Tout d'abord, il faut dire un mot sur les crédits pour le moins déroutants de cet album dont la couverture n'indique que le nom de Dodier comme auteur complet alors que la page de garde ajoute que Pierre Makyo a participé au scénario. Dans quelle mesure ce dernier a-t-il aidé ? On peut supposer que que c'est léger, peut-être un coup de main pour la structure de l'histoire, mais guère plus car on ne peut pas dire que l'ambiance du récit, ses dialogues, les situations ou la caractérisation ressemblent à ce qu'on connaît de Makyo (surtout en comparant avec les scripts qu'il avait déjà écrits pour la série auparavant, la dernière fois remontant à 8 ans pour Le jeu de trois).

Ce 10ème tome est un des plus légers à tout point de vue : l'intrigue tient en peu de choses, se résumant à une longue cavale nocturne dans la capitale, et s'appuyant sur deux ressorts comiques principaux - Jérôme jouant les baby-sitters fugitifs, et les deux tueurs frères jumeaux et stupides. Dodier a apparemment voulu entraîner son héros dans un registre purement humoristique et n'a pas été des plus inspirés. On ne doute en effet pas une minute que Jérôme se tirera de ce mauvais pas, la succession de situations qu'il traverse occasionnant plus de désordre que de suspense, et la résolution de l'affaire se jouant même dans le plus pur style burlesque.
Les méchants manquent cruellement de saveur et d'épaisseur, avec ces deux tueurs dont la crétine rivalité empêche qu'on les considère comme vraiment menaçant. Quant à la veulerie de Martin, révélée à la fin de l'aventure, elle peine à étonner tant, dès le départ, on doute des justifications qu'il fournit à Jérôme pour expliquer pourquoi il doit se cacher et lui confier sa fille.
Tout le problème de cet album tient donc dans son échec à nous concerner avec son histoire : on ne frémit pas pour le héros, le récit ne se déroule que sur un prétexte qui n'est ni très drôle ni très palpitant.
Seul le traitement des personnage secondaires mérite l'indulgence : c'est dans cet album qu'on fait réellement la connaissance de Burhan Seif El Din, l'épicier arabe, qui va réapparaître régulièrement ; et Babette participe aussi activement. Il y a aussi quelques moments savoureux (comme lorsque Jérôme ne réussit pas à reconnaître l'enfant qu'il a parrainé ou qu'il atterrit dans les loges d'une troupe de danseuses affriolantes dans un cabaret ou quand il doit affronter Martin sur un ring pour un match de boxe mal engagé pour lui). Mais le sentiment de déception subsiste, sans qu'on puisse penser que cette histoire aurait pu être mieux développée car elle est trop anecdotique.

Les dessins de Dodier restent le meilleur atout de la série quand elle ne parvient pas comme ici à proposer une intrigue à la hauteur. Le dispositif narratif de la cavale permet en effet à l'artiste de nous faire profiter de tout son talent pour représenter les décors et il tire pleinement parti de ses effets en nous entraînant sur les toits, dans un cimetière, un cabaret, des ruelles. Chaque détail, avec des jeux d'ombres et de lumière très soignés, est peaufiné : les voitures, les toitures, les costumes, les figurants (très nombreux parfois, comme dans la séquence du cabaret avec une troupe de judokas japonais en virée touristique).
Le physique des personnages est plus inégal : je trouve que les tueurs jumeaux, en plus d'être de parfaits abrutis, ne sont pas assez intimidants (la faute à leur longue chevelure rousse et à leur visage osseux trop irréalistes ?) ; de même que Martin ne s'impose pas comme un caractère très mémorable. C'est dommage car, à côté de cela, Dodier anime parfaitement Jérôme, dessine à la perfection le bébé (un exercice difficile), donne à Burhan une bonne tête immédiatement sympathique, et fait de Babette toujours cette belle fille dynamique ne sombrant jamais dans les clichés féminins de tant de bd.

Un coup de moins bien donc, un des rares de la série, mais Dodier a montré qu'il savait rebondir comme en témoigne le tome suivant (Le coeur à droite).

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