JERÔME K. JERÔME BLOCHE : UN FAUVE EN CAGE est le 14ème tome de la série, écrit et dessiné par Dodier, publié en 2000 par Dupuis.
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Un soir qu'il se rend chez Burhan, l'épicier de son quartier pour y acheter du lait, Jérôme tombe nez à nez avec deux hommes casqués qui braquent le commerçant et tiennent en respect la seule cliente présente. Quand elle refuse de leur donner son sac à main, l'un des voleurs la frappe et Jérôme réagit en bondissant sur l'agresseur avant d'être à son tour brutalisé. Burhan provoque la fuite des voyous en faisant croire que la jeune femme est morte.
Conduite à l'hôpital, celle-ci revient à elle, amnésique. Jérôme décide de l'héberger chez lui en attendant que la mémoire lui revienne, comptant sur un rétablissement rapide. Pendant ce temps, les deux voleurs se rendent chez elle dans l'espoir d'y gonfler leur butin, mais ils vont tomber sur un obstacle inattendu.
Le lendemain, Babette revient d'un de ses voyages et surprend l'inconnue amnésique dans le lit de Jérôme. Croyant qu'il l'a trompée, elle rompt brutalement avec son fiancé qui revient à l'instant chez lui. Le détective entreprend alors d'identifier la jeune femme en affichant sa photo dans le quartier...
Deux ans après la publication du Pacte, Alain Dodier livre ce 14ème tome qui a droit à un bonus : un cahier de 16 pages récapitulant les précédents épisodes et une préface d'Alain De Kuyssche (ancien rédacteur en chef de "Spirou"). Cela permet à tous ceux qui découvrent la série d'en apprendre plus, à ceux qui la connaissent déjà de faire le point, et aussi de montrer que Jérôme K. Jérôme Bloche est désormais un titre important pour son éditeur après 15 années de publication.
L'album lui-même est un très bon cru : comme souvent, Dodier ouvre son récit avec une situation qui va déboucher sur une succession de rebondissements étonnants. Ici, il s'agit d'un braquage commis chez l'épicier Burhan par deux voyous, dont on ne connaîtra jamais l'identité ni le visage : ces méchants de passage vont pourtant devenir à leur tour des victimes à cause de leur avidité et révéler un élément déterminant pour la suite de l'aventure.
A partir de là, l'histoire se divise en deux :
- d'un côté, pour la majeure partie de l'épisode, nous suivons les efforts de Jérôme pour identifier la belle amnésique qu'il a recueillie, et cela aboutit à un quiproquo important quand Babette croit que son fiancé l'a trompée et lui inflige une crise de jalousie durable - cette crise bouscule la tranquillité d'un couple jusqu'à présent plutôt ménagé (si l'on excepte la disparition de Jérôme dans le tome 9, L'absent, et la menace du tueur dans le tome 11, Le coeur à droite) mais permet aussi de lui donner plus de consistance (un effort que Dodier veut visiblement souligner après que, dans le tome 12, Le gabion, il les ait montrés en vacances) ;
- de l'autre, il y a le "fauve en cage" du titre, qui n'est autre que celui avec lequel habite l'amnésique, et dont le lien avec elle et l'état mental sont habilement dissimulés pendant un long moment au profit d'un suspense intense jusqu'au climax de l'album, spectaculaire. Dodier se sert de ce personnage aussi comme un adversaire physique contre Jérôme et l'instrument qui permettra la réconciliation entre son héros et sa fiancée.
Le dénouement du récit, dans lequel Jérôme dévoile le fin mot de l'affaire à Babette dans une salle de cinéma qui projette Titanic de James Cameron, offre à l'auteur une pirouette amusante en jouant sur l'émotion de l'hôtesse de l'air, visiblement plus émue par le sort de Leonardo Di Caprio que par celui de Jérôme.
Tout ça est encore une fois formidablement bien mené, huilé : Dodier articule son histoire avec une telle facilité que, comme le remarque De Kuyssche dans sa préface, on peut la relire sans risquer de s'ennuyer mais bien pour en apprécier la rigueur.
Les dessins sont également excellents : De Kuyscche parle pour Dodier d'artiste adepte de la "ligne juste". La formule est joliment trouvée et tout à fait vraie : le travail graphique raconte ici une histoire non pas en plus du texte ou en appuyant ses effets mais "à égalité".
La preuve de cette efficacité, c'est que Dodier n'a pas besoin de passer par des artifices narratifs pour guider le lecteur : on sait toujours où on est, quand, la composition de ses images est toujours claire, le flux de lecture toujours fluide.
Pourtant, cela ne l'empêche pas d'apporter un soin particulier aux détails, aux décors, aux expressions, de choisir le bon angle de vue pour dramatiser ou alléger une situation, de disposer les ombres et lumières afin de bonifier les ambiances - tout ça n'a l'air de rien comme ça, c'est même l'évidence, ce que tout dessinateur de bd devrait faire, mais parvenir à cette simplicité si élaborée indique qu'on a là un artiste en pleine possession de ses moyens, qui sait utiliser intelligemment les ressources de son art, toujours au service de ce qu'il veut raconter.
Fort de ces avantages, Dodier enchaînera avec un ambitieux récit en deux parties : La comtesse et La lettre, un autre signe qu'il ose désormais développer sa série au-delà des standards.
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