mardi 1 juillet 2014

Critique 472 : JERÔME K. JERÔME BLOCHE - INTEGRALE 2 (TOMES 4-5-6), de Dodier et Makyo


JERÔME K. JERÔME BLOCHE : INTEGRALE 2 rassemble les tomes 4 à 6 de la série, dessinés par Dodier, publiés en 1986, 1987 et 1989 par Dupuis.
PASSE RECOMPOSE (tome 4) et ZELDA (tome 6) sont écrits par Dodier ; LE JEU DE TROIS est écrit par Pierre Makyo.
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PASSE RECOMPOSE est le 4ème tome de la série, écrit et dessiné par Dodier, publié en 1986 par Dupuis.
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La pêche constitue l'activité dominante sur l'île Saint-Mathieu, située en face de Brest. L'endroit est le fief de Charles Le Goff, surnommé "l'amiral", qui possède plusieurs péniches et l'entreprise qu'il a hérité de son beau-père. L'homme est un patron autoritaire, qui est plus craint que respecté par ses employés.
Mais "l'amiral" a un secret et un "corbeau" se charge de le lui rappeler : que s'est-il vraiment passé quand, durant la 2nde Guerre Mondiale, il réussit à s'échapper du camp de travail où il était prisonnier avec son ami François Moulin, qui aurait été tué par des gardes-frontière ? Le malheur a profité à Le Goff qui a épousé la promise de son ami, Hélène, et est devenu l'homme de confiance puis le successeur du père de celle-ci.
"L'amiral" décide de se payer les services de Jérôme Bloche pour démasquer le maître-chanteur et éviter que ce qu'il sait soit révélé. Mais l'enquête s'avère aussi brumeuse que le temps maussade qui s'abat la nuit sur le port de l'île...
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LE JEU DE TROIS est le tome 4 de la série, écrit par Pierre Makyo et dessiné par Dodier, publié en 1987 par Dupuis.
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Jérôme est confronté à un évènement inédit : lui, détective privé, est l'objet d'une enquête par un homologue, un anglais répondant au nom de Poke, engagé par un notable, Richard Pebbletown. Le jeune homme découvre alors ses origines lorsque sa mère, Marie Bloche, a été victime d'un amusement entre étudiants, le "jeu de trois" qui consistait à séduire la fille dont un camarade tombait amoureux pour tester ses sentiments. C'est ainsi qu'elle s'éprit du jeune et riche John Harrington qui, quand il apprit la grossesse de la femme de chambre, n'assuma pas ses responsabilités.
Aujourd'hui, Harrington est un vieillard dont abuse son neveu, Peter, dans lequel Pebbletown n'a aucune confiance et c'est pour cela qu'il veut organiser les retrouvailles de Jérôme avec son père biologique. Mais en se rendant en Angleterre, le détective va devoir non seulement affronter Peter, son frère (une brute épaisse), et choisir s'il accepte ou non de revoir son géniteur...
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ZELDA est le 6ème tome de la série, écrit et dessiné par Dodier, publié en 1989 par Dupuis.
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Dans l'immeuble où il habite, Jérôme a, parmi ses voisines, une vieille dame prénommée Zelda (mais qui s'appelle en vérité Carole), pratiquant l'activité de voyante. Pour assurer ses prédictions, il lui arrive de solliciter l'aide du détective qui enquête sur ses clients.
Dans les années 50, Zelda fut actrice, mais sa carrière fut météorique, même si elle la conduisit jusqu'à Hollywood où elle eut comme amant Rudi Valente, le playboy de l'époque.
Ce que ne voit pas Zelda dans sa boule de cristal, et que va tâcher d'éviter Jérôme, c'est qu'un homme assassine plusieurs autres anciennes comédiennes de ses amies et qu'elle est sa prochaine cible. Mais qui lui en veut ? Et pourquoi ?

Cette deuxième Intégrale en couleurs regroupe donc les tomes 4 à 6 de la série créée par Alain Dodier, publiés entre 1986 et 89 par Dupuis. Ces trois histoires constituent vraiment le passage à un niveau supérieur pour le titre, avec des intrigues plus élaborés, un ton plus affirmé (celui d'une comédie policière sans effets humoristiques trop appuyés), et surtout à terme la prise en main complète par son dessinateur.

Commençons par Passé Recomposé : Dodier y fait ses premiers pas comme scénariste avec une enquête qui se déroule en Bretagne, dans un décor très photogénique de port de pêche et une affaire de "corbeau" qui renvoie à un thème classique de la série noire mais aussi à une période troublée de l'Histoire.
Pierre Makyo n'est plus là mais son influence est quand même sensible car Dodier privilégie les ambiances à l'originalité de l'intrigue. L'enquête de Jérôme est efficace mais mené sur un rythme un peu paresseux, le scénario s'appuie beaucoup sur le personnage spectaculaire de Charles Le Goff, qu'on croirait extrait d'un roman de Simenon. Par contraste, le héros a du mal à exister, en dehors de son attitude gauche, signe que Jérôme n'est pas encore assez développé pour exister autant que des seconds rôles aussi imposants.
Il semble évident que Dodier a dû réfléchir ensuite aux faiblesses de son script pour améliorer ses futures partitions car dès qu'il reprendra son poste de scénariste, il veillera scrupuleusement à ce que Jérôme ne soit plus jamais éclipsé par son client ou son adversaire, aussi charismatique soit-il. Comme son héros, l'auteur est encore en apprentissage.

Visuellement, en revanche, Dodier tire bien parti des possibilités que lui offre le cadre de son récit en réussissant particulièrement les scènes nocturnes (une de ses spécialités) dont il vielle toujours à les rendre lisibles et évocatrices. Quand l'épais brouillard tombe sur le port de Saint-Mathieu, il se dégage des pages une atmosphère inspirée.
La représentation des personnages a aussi gagné en efficacité et, en fait, on se rend compte qu'une des influences (avérée ou subjective ?) de Dodier serait Albert Uderzo (dont il ne faut pas oublier qu'il n'est pas que le dessinateur d'Astérix, mais qu'il a aussi oeuvré dans un registre réaliste classique avec notamment Tanguy et Laverdure), avec lequel il partage la rondeur du trait, le souci de l'expressivité, le sens de la composition, une justesse narrative. C'est une référence exigeante mais dont il saura être un héritier digne tout en l'adaptant à sa propre technique.

Puis c'est au tour du Jeu de Trois : Pierre Makyo fait son retour pour ce qui sera son ultime collaboration au titre. On peut deviner que s'il a participé à ce tome, c'est certainement plus pour une mise en forme que pour l'histoire elle-même puisqu'il s'agit de raconter les origines de Jérôme Bloche (qu'on imagine mal inventées par quelqu'un d'autre que son créateur, Dodier).
L'intrigue est remarquable, très dense, et malgré quelques touches d'humour bon enfant, se distingue par son humeur très mélancolique et émouvante. On savait depuis le tome 3 (A la vie, à la mort) que le héros avait été élevé par son oncle, sa tante et sa grand-mère, sans connaître son père et ayant perdu très tôt sa mère. On apprend ici pourquoi et l'explication révèle des aspects poignants, étonnamment complexes pour une série jusqu'à présent assez superficielle et réservé à un jeune public.
La narration n'est pas exempte de défauts, parfois d'une maladresse curieuse, comme lorsqu'un maître yogi indien aide Jérôme et y laisse la vie rapidement, sans que cela n'émeuve bien longtemps le héros (je ne veux pas être sévère avec Makyo mais je pense que ce rebondissement porte sa marque, et la manière dont il le place puis enchaîne est assez cavalière). En revanche, le fin mot de l'histoire et son dénouement, à la toute dernière page, sont finement joués (et, qui sait, si un jour Dodier ne réutilisera pas l'ascendance anglaise de Jérôme...).

Le dessin a encore un encrage un peu épais, mais en simplifiant progressivement son trait, Dodier est parvenu à rendre cette finition tout à fait acceptable. De manière générale, c'est son application à représenter les personnages qui s'est le plus améliorée, désormais il a posé ses protagonistes comme ses seconds rôles, et il est aussi habile quand il s'agit d'animer des figures masculines (dominant en nombre dans ses productions) que féminines (avec l'affirmation grandissante de Babette, la fiancée du héros, qui est à la fois séduisante sans être une bimbo, avec un vrai caractère, et qui forme un couple plausible avec Jérôme).
Le découpage témoigne aussi de la densité de la narration avec des planches de plus de dix cases en moyenne, des angles de vue variés, une bonne utilisation des ombres et lumières, un flux de lecture très fluide.

Enfin, dans Zelda, on assiste à une autre évolution notable de la série : outre le fait que Dodier reprend l'écriture (et ne la lâchera plus), il va commencer à développer la galerie des personnages dans l'entourage immédiat de son héros et recentrer les intrigues à Paris (même si Jérôme continuera parfois à exercer en province).

Mme Zelda va devenir une figure récurrente de la série au même titre que Mme Rose, la concierge de l'immeuble où habite Jérôme, ou Babette, sa fiancée. C'est d'abord une réussite graphique où Dodier montre un talent particulier pour camper des mamies attendrissantes (et de manière générale des personnages âgés) en évitant tous les clichés, préférant les contrepieds - en effet, qui penserait en voyant cette petite dame bien apprêtée qu'elle a été une ravissante jeune première à Hollywood et maintenant une pseudo-voyante grugeant malicieusement ses clients (même s'il faudra attendre le tome 9, L'Absent, pour qu'elle reconnaisse n'avoir aucun don extralucide) ?
Les victimes du tueur et l'assassin lui-même sont également le fruit d'un beau travail où Dodier a su doser ses effets sur le plan visuel. Quand on découvre l'affliction physique du criminel, c'est une référence au giallo italiens très efficace, et ça reste un des meilleurs méchants de la série.

Scénaristiquement parlant, cet album demeure lui aussi un des plus aboutis, et assurément celui qui va définir les canons de la série : une intrigue bien bâtie, une caractérisation bien équilibrée, un suspense parfaitement entretenu, une résolution à la hauteur, quelques touches d'humour subtil, un ton qui marie avec équilibre la légèreté et la tension. C'est comme si Dodier avait alors trouvé la bonne recette, les bons ingrédients, et la bonne préparation - et cela explique peut-être pourquoi, après avoir livré 5 albums en deux ans (!), Zelda est sorti lui deux ans après Le Jeu de Trois, au terme d'une gestation plus difficile mais décisive...

En tout cas, cette deuxième Intégrale offre un bien meilleur lot d'albums que la précédente. La suite des aventures de JKJB ne démentira pas la qualité grandissante de la série et celle de son auteur, qui livrera son 23ème tome le 22 Août prochain.  

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