Plutôt que de revenir sur la polémique provoquée par ce projet (Alan Moore désapprouvant toute suite à la série qu'il a écrite et co-créée en 1986, avec le dessinateur Dave Gibbons
; le marché de dupes entre l'éditeur et l'auteur sur la cession des
droits des personnages ; la pertinence même de ces anté-épisodes avec
sept mini-séries, un double-shot et une one-shot...), et vous expliquer
mes sentiments ambivalents dès le départ pour cette entreprise (d'un
côté, le respect vis-à-vis de Moore, auteur que j'adore ; de l'autre, la
curiosité vis-à-vis du prestige des équipes artistiques impliquées dans
ce "prequel"), je tente une approche originale pour critiquer BEFORE WATCHMEN : MINUTEMEN / SILK SPECTRE, les deux productions qui m'attiraient le plus et que DC Comics a réuni dans un bel album HC.
Le principe : une planche pour résumer chaque mini-série.
Le principe : une planche pour résumer chaque mini-série.
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Le recueil comporte les six épisodes de MINUTEMEN, écrits et dessinés par Darwyn Cooke (THE NEW FRONTIER, la série des Richard Stark's PARKER), et les quatre épisodes de SILK SPECTRE, co-écrits par Cooke et Amanda Conner,
qui signe aussi les dessins. Plus quelques beaux bonus (galerie de
variant covers, characters designs de Cooke, postface et rough d'une
planche de Conner).
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Pour MINUTEMEN, prenons cette splash-page, au tout début du #1 : c'est une image qui fait office de transition dans le récit narré par Hollis Mason, le premier Nite Owl. Il tient une image représentant les Minutemen, le premier groupe de justiciers masqués des Etats-Unis (dans la réalité de WATCHMEN), datant du début des années 40. C'est souvenir lointain car nous sommes plus de vingt ans après (une dédicace à la Alexandre Dumas ?), et en même temps c'est un résumé de ce qu'étaient les Minutemen, un groupe pathétique, artificiel, monté pour profiter de la mode pour les "Mystery Men", par Larry Schexnayder, le mari et impresario de Sally Jupiter/Silk Spectre (la blonde plantureuse à droite de l'image).
Dans cette équipe, peu de "vrais" héros, au sens noble du terme, en
vérité : à part Hollis Mason, modeste flic dans le civil, et la
Silhouette (la brune à gauche de l'image), réfugiée d'Europe de l'Est,
traumatisée par les mauvais traitements infligés aux enfants et
lesbienne condamnée à vivre son amour en secret, les autres sont des
vigilants d'opérette (comme Captain Metropolis, Dollar Bill, Silk
Spectre), des névrosés (Mothman), ou des psychopathes travestis
(Comedian, Hooded Justice).
Tout cela, ce qu'il y a derrière le masque, la série le dévoile, sans complaisance, sans trahir ce que suggérait Alan Moore
(via des extraits des Mémoires précitées). C'est ce que promet
d'ailleurs le titre de l'épisode ("La minute de vérité"). En
choisissant de raconter son récit au moyen de longs flash-backs, Darwyn Cooke
ne s'inscrit pas seulement dans la continuité d'une narration élaborée,
à la manière de Moore, il lui confère un aspect légendaire et lucide à
la fois. C'était une sorte de "bon vieux temps", mais en même temps une
époque, des personnages, des comportements, des secrets, peu glorieux,
cruels, poignants, tragiques, pathétiques, et balayés par l'Histoire
(celle-ci avec un grand "H"), le temps qui passe.
La mise en couleur par Phil Noto de l'image/planche, privilégiant
les tons mats et sépia, souligne le côté crépusculaire et nostalgique
du récit d'Hollis Mason, figeant un bonheur de façade, fabriqué, qui
volera en éclats, aussi artificiel, voire incongru, que les costumes
kitsch des personnages, qui se déguisaient et se masquaient parfois
aussi pour l'adrénaline, préserver leur anonymat, cacher leurs démons,
ou jouer un personnage spectaculaire, publicitaire, attrayant.
Une image montre, elle suggère. Un récit peut aussi souligner, révéler :
sur ces points, Darwyn Cooke manque parfois de finesse, dépassant ce
qu'Alan Moore ne faisait que suggérer ou nous laissait imaginer. Ainsi,
le lesbianisme de la Silhouette, son traumatisme de jeunesse, comme
l'homosexualité de Captain Metropolis sont désormais explicites. Aussi,
l'auteur n'a pas résisté à la tentation de "résoudre l'affaire" Hooded
Justice, et la solution qu'il donne n'est qu'à moitié convaincante : il
lie ses actions au passé de la Silhouette - ça, c'est bien - puis
maquille ensuite un dénouement avec des manoeuvres du Comedian - ça,
c'est moins bon.
Moore, qui avait songé en 1986 écrire l'histoire des Minutemen, aurait
sans doute emprunté des voies semblables à celles de Cooke, mais aurait
aussi certainement été ailleurs parfois, en étant assurément plus
équivoque, plus subtil, plus trouble - Cooke n'est pas aussi habile, son
style narratif et graphique est plus brut, plus direct (même s'il
réussit souvent, en une image, à diffuser une émotion très forte).
La mini-série est donc bien résumée par cette image : c'est un récit évocateur, nostalgique, mais douloureux, qui éclaire vraiment sur qui furent les Minutemen, même si certaines idées sont un peu moins heureuses. C'est aussi le tribut d'un grand auteur (Cooke) à un autre (Moore), une rencontre que seule un tel projet, avec les réserves qu'il peut provoquer, pouvait produire.
La mini-série est donc bien résumée par cette image : c'est un récit évocateur, nostalgique, mais douloureux, qui éclaire vraiment sur qui furent les Minutemen, même si certaines idées sont un peu moins heureuses. C'est aussi le tribut d'un grand auteur (Cooke) à un autre (Moore), une rencontre que seule un tel projet, avec les réserves qu'il peut provoquer, pouvait produire.
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Pour SILK SPECTRE, le procédé est encore plus lisible : c'est
encore une planche issue du premier épisode de la mni-série (qui en
compte 4, après les 6 de MINUTEMEN).
Formellement, d'abord, la page est découpée "à la manière de" WATCHMEN,
avec un gaufrier (9 cases d'égale valeur). Ce genre de découpage est
d'une fausse simplicité : les cases doivent se suivre, l'action
s'enchaîner avec fluidité, et produisent un effet de mouvement
séquentiel évoquant le cinéma (un effet de mise en scène qu'a théorisé Will Eisner, mais qui existe depuis plus longtemps, comme en témoignent les "illustrés" de Rodolphe Töpfer ou Winsor McCay).
Ce que contient chaque case doit être minutieux, pas le droit aux faux
raccords, de la précision dans les détails (décors, vêtements,
lumières). Parfois même, cette continuité séquentielle est soulignée par
deux cases successives avec le même angle, le même point de vue (ici,
les cases 2-3 des première et dernière bandes).
Le gaufrier et la suite d'images en plan fixe évoquent aussi la
mécanique des comics strips et du gag : cette page est d'ailleurs une
séquence humoristique où l'on voit Laurie, la fille de Sally
Jupiter/Silk Spectre I, essayer le costume de justicière dessinée par sa
mère, en observant dépitée sa petite poitrine, puis en descendant de sa
chambre au salon pour regarder la télé dans le canapé. Cette touche
légère précède une autre séquence plus mouvementée, dont le sens révèle
une supercherie, mais préfigure aussi toute la thématique de la
mini-série : comment un rôle qu'on refuse d'endosser, une autorité qu'on
ne veut plus subir, vous rattrape.
En même temps, ce décalage entre l'humour quasiment parodique, accentué par le dessin volontiers burlesque d'Amanda Conner,
et le propos, sur la vocation, l'héritage, le passage de l'adolescence à
l'âge adulte, la perte des illusions, est à l'origine du sentiment
mitigé que produit cette mini-série.
Darwyn Cooke et Amanda Conner sont chacun de grands artistes,
mais la somme de leurs talents n'aboutit pas à un résultat si
convaincant, on dirait deux solistes virtuoses qui ont chacun leur
vision de l'histoire. Cooke est très à son aise, évidemment, dans la
reconstitution de l'époque (l'émergence du mouvement hippie à la fin des
années 60), tandis que Conner excelle dans la représentation des
émotions, avec des apartés carrément parodiques (lorsque Laurie rêvasse
romantiquement sur ses amours ou ses actions héroïques).
Mais du coup, on ne sait jamais sur quel pied danser : d'abord, ce récit
initiatique est plutôt sommaire et se complaît dans des clichés vus et
revus, culminant avec l'inévitable séquence du trip hallucinatoire sous
acide, qui est là pour déclencher le rire et la révolte de l'héroïne ;
ensuite, il n'est pas évident que Cooke et Conner aient le même objectif
(le premier semble avoir, comme pour MINUTEMEN, voulu expliquer
ce qui a décidé Laurie à être Silk Spectre II ; la deuxième semble avoir
voulu raconter la fugue dérisoire et passablement ridicule d'une gamine
capricieuse avec sur sa route des méchants pathétiques).
Cela aboutit à un résultat, qui, sans être indigne ni ennuyeux, paraît
bien anecdotique et en deçà des talents conjugués de Cooke et Conner.
Cooke a, indéniablement, moins de choses à raconter sur la jeune femme
qu'avec les Minutemen. Conner préfère le sarcasme. On n'apprend pas
grand'chose d'intéressant, en tout cas rien de décisif, de crucial par
rapport au personnage tel que l'écrivit Alan Moore dans WATCHMEN.
Pire : la facilité l'emporte sur l'ironie quand d'authentiques
célébrités de l'époque servent de modèles à des figurants (plusieurs
musiciens croqués lors de la réunion de Gurustein - pseudo déjà peu
inspiré pour le complice du vrai méchant) ou des seconds rôles (Frank Sinatra
prêtant ses traits au bad guy) - autant d'éléments qui parasitent la
lecture sans y ajouter quoi que ce soit, même quelque chose de drôle.
SILK SPECTRE résume en fin de compte le danger du projet BEFORE WATCHMEN, où, si les auteurs n'ont rien de véritablement important à ajouter, le concept est vain.
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Si le rapport qualité/quantité/prix est excellent, un simple tpb MINUTEMEN aurait cependant suffi. Mais les fanas de Darwyn Cooke (surtout) et les amateurs d'Amanda Conner ne feront pas la fine bouche.
Quant à la polémique autour de cette entreprise, elle s'est naturellement atténuée. En vérité, BEFORE WATCHMEN n'abîme pas WATCHMEN, chef d'oeuvre imparable. Comme l'estime Dave Gibbons,
on peut toujours se contenter de considérer ces "prequels" comme des
variations, des histoires parallèles, des "What if...?", existant non
pas en complément mais à côté de la série originale.
Et pour Alan Moore, il restera à attendre ses prochaines créations.
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