mercredi 27 mai 2009

Critique 50 : LA LIGUE DES GENTLEMEN EXTRAORDINAIRES, Vol. 2, d'Alan Moore et Kevin O'Neill

(Ci-dessus : Mina Harker, vue par Adam Hughes.)

Voici le deuxième volume des aventures de La Ligue des Gentlemen Extraordinaires, d'Alan Moore et Kevin O'Neill. Cette suite est-elle à la hauteur ? Cette version explosive de La Guerre des Mondes, d'H.G. Wells, supporte, à mon sens, tout à fait la comparaison.
Mais, voyons d'abord de quoi cela parle plus précisèment. Comme pour le précédent story-arc, celui-là compte également 6 épisodes.
*
- Chapitre I : "Phases de Deimos". L'histoire démarre sur Mars, où John Carter et le Lieutenant Gullivar Jones ont formé une alliance incluant les Martiens Verts pour vaincre les extraterrestres qui ont assailli les natifs de la planète rouge. Ces envahisseurs (tout droit issus de La Guerre des Mondes, de H. G. Wells) ont espionné la Terre et vont l'attaquer.
- Chapitre II : "Peuples venus d'ailleurs". Lorsque ces aliens atterrisent sur la Terre, la Ligue des Gentlemen Extraordinaires est aussitôt envoyée sur place, là où l'o.v.n.i. a creusé un profond cratère. Un des premiers Martiens apparaît alors après qu'un observateur ait chuté dans cette fosse.
Un groupe d'hommes s'avance en signe de paix mais ils sont désintégrés par un rayon. Némo,
ayant pressenti l'attaque, pousse ses acolytes face contre terre, mais le Dr Jekyll se transforme alors en Mr. Hyde et menace de mort les agresseurs venus de l'espace.
Réalisant qu'ils ne pourront vaincre ces créatures seuls, les membres de la Ligue se retirent jusqu'à une auberge voisine (La "Bleak House
" - qui se trouvait vraiment non loin de la commune d'Horsell), où ils rencontrent une division militaire dirigée par le Major Blimp, envoyée là pour défendre la zone.
Tandis que Hyde s'entretient avec Mina Murray
, Griffin (sous sa forme invisible) s'éclipse pour proposer aux envahisseurs une alliance.
- Chapitre III : "Et l'aube se lève tel le tonnerre". Le lendemain matin, la Ligue réalise que l'unité de Blimp est réduite en cendres par les rayons d'energie des Martiens. Encore une fois, nos héros choisissent de battre en retraite avant d'être tués à leur tour.
Un véhicule, conduit par William Samson Sr
arrive pour conduire le groupe jusqu'à leur quartier général au Bristish Museum, où ils reçoivent de nouveaux ordres de Mycroft Holmes : Murray doit rester sur place pour s'informer sur Mars et elle apprend également où se situe la réserve d'armes. Hyde et Quatermain retournent au cratère. Griffin profite que Mina soit seule pour l'agresser violemment avant de lui voler les plans de l'armée et de rejoindre les Martiens.
Durant leur mission de reconnaissance, Nemo, Quatermain et Hyde s'approchent d'un tripode Martien, une énorme machine montée sur trois échasses métalliques dans laquelle se déplace l'envahisseur. Ceci fait, ils regagnent immédiatement Londres.
De retour au musée, Hyde trouve Mina gisant sur le sol, blessée, et en déduit ce qui s'est passé. Peu après, Mycroft Holmes
envoie pourtant Murray et Quatermain en mission tout en ne leur donnant que peu d'informations sur ce qu'ils doivent faire.- Chapitre IV : "Promenons-nous dans les bois...". Pendant ce temps, à bord du Nautilus, Nemo et Hyde patrouillent dans Londres. Pour le capitaine, la technologie Martienne est une source d'inspiration pour l'avenir même si, pour l'heure, il faut d'abord trouver le moyen de stopper la progression des envahisseurs.
Traversant la campagne anglaise, Murray et Quatermain rencontrent un homme nommé Teddy Prendrick. C'est un individu mentalement malade mais qui leur fournit des renseignements sur un mystérieux docteur qui vit, retiré, plus loin dans la forêt.
Les recherches de Murray et Quatermain n'aboutissent cependant pas et ils gagnent une auberge pour y passer la nuit. La jeune femme attire le vieil aventurier dans son lit où ils font l'amour. Quatermain découvre avec effroi des traces de morsures et des cicatrices dans le cou de son amante - souvenirs de sa liaison avec le Comte Dracula.
Griffin suggère à ses alliés Martiens de s'en prendre à l'eau des rivières pour parfaire leur domination sur les humains...

- Chapitre V : "Rouge sang sur griffes et dents". Le lendemain, Nemo et Hyde découvre que les Martiens ont transformé la Tamise en une substance visqueuse rouge sang, qui immobilise le Nautilus.
Cependant, ayant repris leur marche dans la forêt, Quatermain jure à Mina qu'il n'est pas dégoûté par ses cicatrices : sa seconde femme en portait de semblables et il trouvait que cela lui conférait une étrange distinction. Ils s'étreignent à nouveau lorsqu'ils sont surpris par une des créatures, mi-homme, mi-ours, du Dr Moreau auprès duquel ils sont conduits (le bestiaire monstrueux du savant convoque plusieurs personnages de la littérature enfantine, comme Tiger Tim, Jumbo l'Eléphant, M. Rat, M. Taupe...).
Hyde revient au British Museum où il trouve Griffin : il lui révèle qu'il peut le voir grâce à sa vision thermique (détail rapidement mentionné dans le Volume I). L'alter ego de Jekyll brutalise alors l'Homme Invisible et va même jusqu'à le violer pour venger Mina Murray. Puis il abandonne Griffin à son agonie.
Mina et Allan font la connaissance du Dr. Moreau qui leur remet une caisse contenant un mystérieux produit du nom d'H-142, commandé par le MI 5
.
Lors d'un dîner au musée avec Hyde, Nemo découvre que son compère a tué Griffin. Mais William Samson calme la colère du capitaine en lui rappelant que la force de Hyde leur sera utile contre les Martiens.


- Chapitre VI : "La valse brune des chevaliers de la Lune...". Le matin suivant, Murray et Quatermain sont de retour à Londres avec le H-142. L'agent Bond les attend avec des gardes équipés de masques à gaz. Ils se dirigent vers les quais où se trouvent déjà Nemo et Hyde.
Bond leur affirme que le H-142, mis au point par Moreau et embarqué sur un cargo, va anéantir l'ennemi. La Ligue, arrivée sur le London bridge, voit que les Martiens ont détruit les dernières lignes de défense de la ville et s'apprêtent à lancer l'assaut sur l'autre côté de la capitale.
Notant que rien ne semble pouvoir stopper la progression de l'envahisseur, Hyde fait ses adieux à Mina avant d'aller attaquer le tripodes Martien. La machine envoie son rayon d'énergie sur lui et le brûle gravement, mais il y survit et charge à nouveau et déséqulibre l'appareil qui tombe. Hyde extrait de l'engin un alien et commence à le dévorer. Mais un autre tripode achève le héros en le désintégrant pour de bon.
Bond révèle à Nemo Quatermain que le H-142 est une bactérie hybride, mélange d'anthrax et de streptocoque : cette solution radicale a effectivement raison des extraterrestres mais provoque l'ire du capitaine qui se retire à bord du Nautilus en prévenant les autorités britanniques qu'il ne collaborera plus à ce genre d'opération.
Un mois plus tard, Murray et Quatermain traversent Serpentine Park : Mina explique à son amant qu'elle se retire en Ecosse, bouleversée par toutes les aventures qu'elle vient de vivre et abandonnant là Allan, désespéré.
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Ce deuxième volume ne déçoit pas, même est différent du précédent : l'intrigue y est plus linéaire et l'action prime. Cette option a pu désorienter les lecteurs, après l'histoire à tiroirs du premier story-arc. Alan Moore a clairement choisi une direction plus facile, plus spectaculaire, et cette simplicité étonne de la part d'un auteur passé maître dans l'art de nous balader dans des narrations complexes.
Tout ici est explicitement lié à une seule oeuvre majeure, La Guerre des Mondes, et l'écrivain H.G. Wells, également cité avec L'Île du Dr Moreau : comme dans les ouvrages du romancier, une angoisse intense nous étreint et ne nous lâche plus. Les héros sont face à une menace qui les dépasse, face à des créatures monstrueuses (venues d'ailleurs ou créées par l'homme), et le monde risque de basculer dans l'abîme.
Cette situation et cet entourage extrèmes révèlent la part d'ombre de chacun : Griffin trahit rapidement la Ligue, Quatermain et Murray se réfugient dans une relation sexuelle, Hyde a supplanté Jekyll et se livre aux pires abominations (brutalisant, violant, dévorant tout ce qui se dresse contre lui), Nemo se retire d'un monde qui n'a plus rien de civilisé et qu'il méprise définitivement...
Au terme de cette aventure apocalyptique, le bilan est lourd : Griffin et Hyde sont morts, Mina se sépare de Quatermain, Nemo prévient qu'on nee devra plus compter sur lui - la Ligue a vécu, du moins dans cette configuration car on a remarqué (en étant attentif) que d'autres équipes ont déjà été assemblées sous ce titre par le passé... Et qu'on devine que cette formation renaîtra avec d'autres éléments dans le futur.
Ainsi, après la légèreté du Volume I, Moore a inscrit le destin de ses nouveaux héros dans une logique qui lui est familière : comme les Watchmen, la notion d'équipe est relative. Si ces personnages ont agi ensemble, ils l'ont fait pour résoudre des problèmes que seuls ils n'auraient pu solutionner mais leur association n'a pas résisté aux tourments qui les rongeaient individuellement (la misanthropie de Nemo, la bestialité de Hyde, la felonie de Griffin, le traumatisme de Mina, la vieillesse de Quatermain). La morale de Moore est limpide : l'union fait la force mais ne suffit pas à justifier durablement l'existence d'un groupe. L'individualisme a toujours raison de la notion de collectif.
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Esthétiquement, on a pu reprocher à Kevin O'Neill un travail moins abouti que dans la série précédente. Ce n'est pas totalement faux : parfois, effectivement, le trait est plus relâché, les finitions moins précises, le découpage moins rigoureux.
Néanmoins, il serait injuste de dévaluer les planches de ce deuxième volume qui offrent encore des images mémorables, comme celles de ce prologue totalement déroutant, exotique et fascinant sur Mars, décrite comme un désert écarlate, balayé par des tempêtes, et où des soldats ressemblant à des guerriers africains parlementent.
Le style baroque d'O'Neill désorientera les amateurs de dessins classiques tels qu'on en voit dans des comics traditionnels. Mais il évoque aussi le graphisme des artistes de la fin du XIXème-début XXème siècle dans sa radicalité, son expressionnisme, sa puissance visuelle.
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Mais, malgré une relative baisse de régime, cet ouvrage est tout à fait recommandable et ne dépareille pas à côté d'autres classiques du scénariste, dont l'oeuvre, comme en témoigne ce nouvel exemple, reste une des plus riches et passionnantes de la bande dessinée.

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