dimanche 31 mai 2009

Critique 53 : FANTASTIC FOUR - LA FIN, d'Alan Davis


Fantastic Four: The End est une mini-série écrite et dessinée par Alan Davis.
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Pour tout lecteur des FF, c'est une surprise de voir le nom de ce grand artiste aux commandes de ce projet puisqu'il n'a que peu animé ces personnages. Mais, gens de talent, Alan Davis et Mark Farmer ont su prendre en consideration ce qui fait la spécificité des FF pour en livrer une version "ultime", certes, mais surtout fidèle. Ainsi, cette histoire "finale" s'intéresse autant à une intrigue spectaculaire qu'à la dynamique familiale qui distingue cette équipe de héros.
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Dans un futur éloigné, les planètes sont gardées par des super-héros dont la durée de vie a été considérablement rallongée grâce au progrés de la science et le génie de Red Richards/Mr Fantastic. A la faveur des inventions du leader des FF, l'univers est en paix.
Mais à quel prix ! Le célèbre quatuor de justiciers-explorateurs s'est dissous après une énième et tragique bataille contre leur adversaire, le Dr Fatalis, qui a tué Franklin et Valeria Richards. Red s'est depuis retiré sur un satellite pour y poursuivre ses recherches. Johnny Storm (la Torche humaine) a intégré les rangs des Vengeurs, devenus les gendarmes de la galaxie. Ben Grimm (la Chose) vit sur Mars avec son épouse et leurs enfants parmi les Inhumains. De son côté, enfin, Jane Richards (la Femme Invisible) accomplit une mission archéologique dans les profondeurs des océans de la Terre.
Red suit une psychothérapie avec l'aide de Miss Hulk
mais concentre surtout ses efforts à l'amélioration d'un système de téléportation, en collaboration avec Wyatt Wingfoot et Thundra. Ce qu'il ignore, c'est que le Super-Skrull a pris l'apparence de She-Hulk et piraté ses défenses pour gagner la Zone Négative où il rencontre Annihilus à qui il livre Mr Fantastic.
Johnny et les Vengeurs affrontent de mystérieux clones de super-vilains dans l'espace, clones qui mutent à l'état liquide après leur défaite : il s'agit en fait d'une manipulation dûe à Diablo
et le Penseur.
Ben et les Inhumains joignent alors Johnny et les Vengeurs pour les informer d'une communication illégale provenant d'une zone de quarantaine avant d'aller à la recontre d'une sentinelle Kree qu'ils doivent affronter. Mais ce n'était qu'une diversion pour permettre à un vaisseau ennemi de pénétrer dans le système solaire, comme s'en aperçoit le Surfeur d'Argent.
Jane poursuit son exploration sous-marine au cours de laquelle elle rencontre évidemment Namor
. Il l'aide à décrypter une inscription en Kree gravée sur un temple abandonné. C'est alors que surgit Attuma qui les attaque, mais il est rapidement mis en échec par la Femme Invisible (dont les pouvoirs sont devenus plus puissants). Après ce combat, elle quitte abruptement Namor pour se glisser dans un dangereux conduit volcanique. La vaisseau de Jane est pris par l'Homme-Taupe dont elle devient la prisonnière : il sait qu'elle veut trouver l'Orbe de Gnomon. Mais elle parvient à lui échapper en sautant dans un lac de lave en fusion, protégée par un champ de force invisible. Durant cette immersion au centre de la Terre, elle se souvient d'un message en Kree projeté dans l'air par sa filleValeria juste avant sa mort.
Jane récupère l'Orbe et l'apporte au Dr Stephen Strange. Utilisant des sortilèges, le sorcier suprême et sa fille, Clea, se téléportent avec Jane jusqu'à la base de Red, où a lieu une terrible bataille entre les héros de la Terre, les soldats Krees et la Garde Impériale Shi'ar.
En utilisant l'Orbe, Strange et Clea ramènent Franklin et Valeria dans le présent mais aussi le Dr Fatalis. Le dernier affrontement entre les FF et leur adversaire se répété mais lorsque ce dernier réalise qu'il ne pourra vaincre le quatuor, il s'évade en empruntant le portail communiquant avec la Zone Négative - portail qui s'auto-détruit alors.
Les Krees et la Garde Impériale Shi'ar battent aussi en retraite lorsqu'apparaît Galactus que Uatu, le Gardien, a convaincu d'intervenir.
Les Fantastic Four sont enfin réunis avec leurs enfants, entourés des autres héros. Valeria révèle qu'elle savait comment allait se terminer cette histoire, qu'elle avait prévenu son frère Franklin et qu'elle souhaite devenir avec lui les 5ème et 6ème membres de l'équipe - sans oublier les enfants de Ben... Et au moins les sept futurs enfants qu'auront ensemble Johnny et Crystal !
Le récit s'achève sur Fatalis qui a tué Annihilus et lui a succédé comme maître de la Zone Négative.

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Dès lors, on pourra être légitimement partagé au terme de cette lecture qui, si elle se dévore, n'en reste pas moins "too much". Qui trop embrasse, mal étreint ? C'est effectivement le reproche qu'on pourrait adresser au scénariste Davis, qui manie tellement d'éléments de la mythologie des Fantastic Four et d'autres héros de la Maison des Idées qu'on est un peu submergé. Il faut plusieurs lectures pour apprécier cette BD davantage conçue pour les gourmands que pour les gourmets, et même en faisant cet effort, on peut ne pas y être sensible.Le résumé ci-dessus rend mal la complexité et la densité extrème de la trame des 6 épisodes de cette saga qui, plus en fait que la "dernière histoire des FF", convoque tout l'univers Marvel dans une suite d'évènements trépidante et rocambolesque.
J'ai, pour ma part, plutôt apprécié l'ambition et la folie du projet, mais sans crier non plus au chef-d'oeuvre : un peu de retenue n'aurait pas été désagréable...
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Mon indulgence est aussi motivée par les fabuleuses illustrations que nous offrent Davis et Farmer, cette énergie formidable qui émane de leurs planches. Il y a une sorte d'émerveillement dans le dessin qui est incroyablement revigorante à une époque où tant de comics nous présentent des histoires dénués d'espoir mais non de bavardages.
Cette prime à l'action, quitte à verser dans une certaine surenchère visuelle et narrative, nous rappelle que les comics sont aussi des ouvrages de divertissement, où rien n'est vraisemblable, et que montrer des super-héros vieux, usés, névrosés, n'en fait pas forcèment des créatures plus réalistes et que cela ne représente pas un moyen idéal pour que le lecteur soit heureux de vieillir.
Placer les FF dans un avenir utopique où tout le monde est beau et en bonne santé alors même qu'ils ne sont toujours pas remis d'un terrible drame donne un relief sentimental à cette histoire, et j'ai aimé cette option.
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Fantastic Four: La fin est une bonne mini-série. Peut-être pas incontournable et exempte de défauts, mais distrayante à souhait. Elle nous prouve que la plus célèbre famille des comics sait surmonter sa peine pour lutter à nouveau ensemble lorsqu'un grand danger menace l'humanité. D'aucuns trouveront cela naïf, mais cela n'empêche pas des auteurs de talent d'aborder ainsi des thèmes profonds comme la responsabilité, l'héroïsme, la solidarité. Et même sans aller aussi loin, si on reste sur une lecture au premier degré, FF : la fin est une réjouissante pièce de science-fiction futuriste, un pur divertissement super-héroïque.

Critique 52 : IMMORTAL IRON FIST 2 : THE SEVEN CAPITAL CITIES OF HEAVEN, d'Ed Brubaker, Matt Fraction et David Aja

Ce nouveau receuil de la série Immortal Iron Fist est la suite directe du premier, intitulé The Last Iron Fist Story : The Seven Capital Cities Of Heaven prolonge l'histoire tout en bouclant l'intrigue amorcée précédemment. On a également droit au premier "Annual", dont la lecture sans être indispensable, apporte quand même quelques éclaircissements sur un des protagonistes apparus dans le premier tome.
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Après avoir successivement appris que le titre d'Iron Fist était un legs attribué au champion de K'un Lun (une des Sept Capitales du Paradis) une fois par génération et qu'il y avait déjà eu 66 précédents porteurs du nom, Orson Randall a rencontré son successeur désigné en la personne de Daniel Rand et lui avoué avoir renoncé à cet héritage après la Première Guerre Mondiale.
Mais aujourd'hui, Randall était traqué par les agents du Steel Serpent (au service de Crane Mother, ennemie de K'un L'un) et l'organisation terroriste HYDRA. Orson donna à Daniel le Livre d'Iron Fist, contenant tous les secrets de cet ordre, et qui devait le préparer au prochain tournoi des champions des Sept Capitales du paradis.
Steel Serpent, dont les pouvoirs étaient augmentés par la magie de Crane Mother, retrouva Randall et le tua en combat singulier. Avant de mourir, ce dernier transmit son Chi à Danny, censé lui donner ainsi assez de puissance pour vaincre leur ennemi commun.
Sur ces entrefaîtes, Rand fut convoqué par son maître, Lei Kung (père du Steel Serpent), au dît tournoi qui allait décider de l'accès d'une des Capitales du Paradis avec la Terre.
Ce que nous apprenons d'abord, c'est que les leaders des Sept Capitales ont fait construire en secret une passerelle entre la Terre et chacune de leurs cités, à l'insu de leurs peuples. La corruption de ces chefs convainc Iron Fist, son entraîneur Lei Kung the Thunderer, la fille d'Orson Randall, et John Aman, le Prince des Orphelins, à élaborer une révolution.
Simultanèment, Iron Fist découvre que Crane Mother et Xao, un des patrons de l'HYDRA, ont orchestré un plan pour détruire K'un Lun en utilisant un portail interdimensionnel bâti par le père d'Orson Randall. Steel Serpent ignore apparemment tout de ce projet et lorsqu'il l'apprend, il s'allie avec Danny et les autres champions pour le faire échouer.
Rand stoppe Xao en pulvérisant le train avec lequel il comptait dévaster K'un Lun (et aussi les autres Cités du Paradis). La révolution menée par Lei Kung et la fille d'Orson Randall oblige Nu-an, alias Yu-Ti chef de K'un Lun à s'enfuir.
Face à Danny, Xao préfére le suicide à la reddition mais avant de mourir, il lui révèle l'existence d'une Huitième Cité.
Steel Serpent se repent auprès de son père et de Danny, qui avant de retourner sur Terre avec Luke Cage, Misty Knight, Coleen Wing (venus l'aider à combattre l'HYDRA) , et les autres champions, Danny suggère à Lei Kung d'être le successeur de Yu-Ti avec la fille d'Orson Randall
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Cet album est en tout point remarquable et digne du premier volume, peut-être même supérieur. L'histoire développée par Ed Brubaker et Matt Fraction prend une ampleur exaltante, dévoilant une richesse et une efficacité admirables.
Après avoir exploré le thème de l'héritage dans les 6 premiers épisodes, à travers la passation de pouvoir entre Orson Randall et Danny Rand (et tous ceux qui les ont précédés en tant qu'Iron Fist), c'est ici la question du pouvoir et de son usage qui est puissamment traitée.
Tout comme l'entreprise du héros richissime a été piégée par l'HYDRA, le royaume de K'un Lun a lui aussi été contaminé de l'intérieur par la corruption de son chef. Il faudra une prise de conscience et une riposte d'envergure pour rendre à ce territoire son intégrité.
Cette réhabilitation est en marche alors qu'un tournoi oppose sept guerriers de cités différentes pour décider laquelle communiquera avec la Terre. C'est l'occasion pour les deux scénaristes d'épicer leur intrigue avec une série de duels spectaculaires dont les acteurs rivalisent d'originalité et d'agressivité : moments de violence, mais jamais complaisants, et qui ponctuent le récit avec une habilité jubilatoire.
Chacune des "Armes Immortelles" des Sept Capitales est vraiment singulière et il faut saluer le talent avec lequel Brubaker et Fraction ont su caractériser ces personnages au charisme immédiat. L'issue de chacun des combats est indécise et cela produit un authentique suspense, surtout lorsqu'on voit comment finit la première des joutes (entre Iron Fist et Fat Cobra). C'est un vrai régal que d'être ainsi surpris dans ce genre de comics tellement codifiés narrativement.
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Lorsqu'au terme du chapitre 9, l'album est comme prématurèment coupé en deux par l' "Annual" de la série, on est désarçonné. Ce n'est pas tant que ce qu'on nous propose alors soit dénué d'intérêt, mais cela vient briser le beau tempo de l'ensemble.
Surtout que, visuellement, cela n'a plus rien à voir : il faut alors supporter les illustrations épouvantables d'Howard Chaykin et les planches peintes de Dan Brereton et Jelena Kevic Djurdjevic...
Les quelques infos qu'on y gagne sur le passé d'Orson Randall confirment le caractère iconoclaste du personnage et lèvent le voile sur des péripéties commises avec une équipe d'aventuriers, dont fit partie Wendell Rand, le père de Danny. Mais, in fine, cela reste anecdotique et dispensable.
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Heureusement, David Aja est toujours là pour la (quasi) totalité des graphismes. Il nous offre encore une fois des planches magnifiques où éclate son art du découpage, son sens de la lumière et des ambiances. On songe souvent à Mazzucchelli dans cette façon d'en faire mieux que beaucoup avec peu d'effets, mais si judicieusement disposés : il restera comme LA grande révèlation de cette entreprise.
Comme pour le volume 1, les flash-backs sont illustrés par d'autres artistes : Roy Allan Martinez, Scott Koblish, et surtout Kano s'en acquittent fort bien - même si aucun ne fait oublier la contribution de Derek Fridolfs.
Mais aux 13ème et 14ème épisodes, c'est un débutant, Tonci Zonjic, qui (avec Javier Pulido et Clay Mann en soutiens discrets) prend les commandes et impose des pages d'une sobriété et d'une efficacité prometteuses. Assurèment, un nom à retenir.
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Bref, l'essai est totalement transformé. Ne passez surtout pas à côté !

jeudi 28 mai 2009

Critique 51 : DAREDEVIL - BORN AGAIN par FRANK MILLER et DAVID MAZZUCCHELLI

Daredevil : Born Again
(vol.1, #227-233 ; Février-Août 1986)

Daredevil : Born Again (Renaissance en vf) est un story-arc en 7 épisodes (n° 227 à 233), datant de 1986, écrit par Frank Miller et et dessiné par David Mazzucchelli.
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Karen Page, l'ancienne secrétaire du cabinet juridique Nelson & Murdock et maîtresse de ce dernier, a voulu changer de vie en tentant sa chance comme actrice à Hollywood. Elle a fini par échouer dans des productions pornographiques et la toxicomanie. Cette addiction à l'héroïne la conduit à vendre contre une dose le secret de l'identité de Matt Murdock.
Cette information remonte jusqu'au Caïd, qui durant les six mois suivants va user de toutes ses influences pour ruiner méthodiquement l'existence de l'avocat-justicier qui lui a causé tant de tracas.
Traqué par le fisc et la magistrature, Murdock est ruiné et radié du barreau. Même son ami policier, le lieutenant Nick Manolis, l'accable auprès des autorités. Il ignore qui tire les ficelles jusqu'à ce que sa maison explose : cet attentat est à l'évidence signé par le Caïd. Démoli psychologiquement, il commence à délirer, s'enfonçant de plus en plus profondèment dans la dépression et la paranoia, pensant que même ses proches amis ont participé à sa chute - comme lorsqu'il découvre que son ex-petite amie, Glorianna O'Breen, entretient désormais une relation avec son associé Foggy Nelson.
Cependant, Ben Urich, reporter au "Daily Bugle", s'interroge lui aussi sur la déchéance brutale de Murdock et mène l'enquête jusqu'à avoir l'intime conviction que le Caïd est derrière toute l'affaire. Ce dernier apprend les soupçons du journaliste et fait tuer tous ses informateurs puis intimide suffisamment l'importun pour qu'il cesse de fouiner.
Désespéré, confus, Murdock décide d'affronter le Caïd pour l'obliger à lui rendre sa vie. Leur face-à-face verra la victoire du malfrat. Sévèrement blessé, l'ancien avocat est jeté dans un taxi au fond de l'East River. Mais quand le véhicule est repêché, on n'y trouve pas son corps... Pour Wilson Fisk, la nouvelle est inquiétante : désormais sans espoir, l'homme qu'il a patiemment détruit est aussi devenu littéralement un homme qui n'a plus rien à perdre, un homme sans peur.
Murdock est recueilli dans un refuge pour sans-abri tenu par des religieuses dans le quartier de Hell's Kitchen, où il se rétablit lentement mais sûrement. Il y retrouve sa mère, sans pour autant qu'elle ne le lui avoue.
A la même époque, Karen Page – à présent pourchassée par les sbires du Caïd comme un témoin compromettant - arrive à New York, accompagné par son nouvel amant, un dealer nommé Paulo Scorcese : la jeune femme n'a qu'un espoir, retrouver Murdock et réparer le tort qu'elle lui fait. Pour le localiser, elle rencontre Foggy Nelson, qui l'invite à se réfugier chez lui pour la protéger de Paulo.
Ben Urich décide, lui, de braver les menaces du Caïd en reprenant ses investigations et en alertant les autorités de la situation.
Wilson Fisk devient obsédé par l'idée de retrouver Murdock. Il s'arrange pour faire libérer de l'asile un dangereux déséquilibré afin qu'il endosse le costume de Daredevil et supprime Nelson et Page pour que Matt resurgisse.
La vie d'Urich et de sa femme est à nouveau mise en danger et c'est en stoppant le déséquilibré qui se fait passer pou Daredevil et en sauvant son ami reporter que Murdock choisit de refaire surface. Matt retrouve ainsi Karen et l'emmène avec lui.
Murdock réapparu, le Caïd utilise ses relations dans l'armée pour recruter le super-soldat Nuke, qu'il envoie attaquer le quartier d'Hell's Kitchen pour mieux affronter Daredevil. Le raid a l'effet escompté, mais au prix de la vie de plusieurs civils innocents . Les Vengeurs arrivent sur les lieux du drame et embarquent Nuke.
Captain America va chercher à en savoir plus sur Nuke et les raisons de son action : il découvre qu'il a subi une expérience similaire à celle qui a fait de lui un surhomme, mais aussi que des officiers ont sûrement été corrompus pour laisser s'accomplir le massacre d'Hell's Kitchen.
Furieux de la manière dont les médias parlent de lui et rendu incontrôlable par les drogues qu'on lui administre, Nuke s'évade et entreprend d'attaquer le "Daily Bugle"
. Il est stoppé par Captain America puis blessé par des militaires lancés à sa poursuite. Daredevil intervient pour couvrir Cap et emmener Nuke jusqu'à un hôpital. Mais ce dernier meurt avant d'y arriver et le justicier aveugle choisit alors de transporter son corps dans la salle de rédaction du Daily Bugle comme la preuve irréfutable des manigances du Caïd.
Le Caïd est devenu le gibier, persécuté, après avoir été l'impitoyable chasseur, à son tour il est l'objet de poursuites judiciaires et abandonné par le Milieu, tandis que Matt Murdock reprend une vie normale au bras de Karen Page, sans rien regretter apparemment et prêt à affronter l'avenir.
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Daredevil: Born Again joue avec une variété de thèmes qui tranchait avec les comics de l'époque et qui lui conserve une place à part dans la mémoire des lecteurs. Mais si on devait en retenir un, ce serait la préservation de l'intégrité - physique comme morale - dans l'adversité : un motif qui hante l'oeuvre de Frank Miller, et qui sera à nouveau exploré dans Batman : year one.
Murdock est décrit comme un homme honnête qui doit traverser de terribles difficultés mais ces épreuves vont lui permettre de se purifier, tel un véritable héros de la mythologie. Ce refus des compromissions est à l'évidence pour Miller ce qui définit la qualité d'un individu au sein du système, et, dans cette histoire, il l'illustre avec une force rare.
Le Caïd dévaste la vie de son ennemi avec une efficacité qui n'a d'égale que sa cruauté : là encore, cela est transcrit avec une puissance saisissante. DD : born again est autant le portrait de la victime (Murdock) que celui de son bourreau, obsédé par sa vengeance jusqu'à la folie, quitte à se mettre à dos ses partenaires dans l'empire du crime.
Ce motif est également exploré à travers le personnage de Ben Urich, qui refuse, malgré la menace du Caïd, de céder, d'abandonner Murdock et choisit de confondre Wilson Fisk, à la fois par conscience professionnelle, citoyenne et par amitié.
En multipliant les narrateurs, les points de vue, Miller confère à son récit une intensité prodigieuse, un climat oppressant et un rythme haletant.
On le voit, il y a également dans DD : Born Again un propos politique, qui sous-tend le récit d'une rédemption.
Ainsi, la présence de Captain America est symbolique : il est représenté comme celui qui domine les débats, ou plutôt celui qui est au-delà, le pur "esprit de l'Amérique". A l'oppposé, Nuke évoque Rambo : un guerrier fou, drogué, influençable et fanatique, qui n'hésite pas à sacrifier des civils pour rempllir la mission qu'on lui a confié - au nom d'un patriotisme aveugle, méprisant les libertés de la presse et du citoyen.
Publié durant la présidence de Ronald Reagan, alors que le traumatisme de la guerre du Vietnam et de ses vétérans minaient les Etats-Unis, DD : Born Again fait oeuvre de témoignage sur cette époque troublée - pas toujours avec finesse, certes (défaut qui marquera d'autres oeuvres de Miller par la suite), mais avec une indéniable efficacité. Ce que nous dit l'auteur des années 80 révèle la fin du "rêve américain", mort dans un conflit qui a inspiré moults cinéastes, romanciers et chanteurs. C'en est bien fini du temps de l'innocence et ce pessimisme teinté d'un cynisme mordant porte la marque du scénariste.
La façon dont Miller traite aussi les Vengeurs, qui apparaît à la fin de cette saga, surprend. La briéveté de son apparition rend précisèment son passage mémorable, après la bataille dévastatrice qui a vu Daredevil affronter Nuke dans Hell's Kitchen à feu et à sang. L'équipe de héros prend rapidement le contrôle de la situation, surgissant telle des dieux réglant les affaires des simples mortels : Thor apparaît comme une silhouette impersonnelle, dominant la scène du combat et éteignant un incendie causé par la bataille, Iron Man n'est plus qu'un homme dans une armure, à peine mieux qu'une machine capable de désintégrer Daredevil et lui réclamant sans diplomatie Nuke, et enfin Captain America figure le soldat ultime, l'incarnation de l'âme de la nationt.
Cette image tranche avec celle qu'on donnait des super-héros dans les années 80 et préfigure the Authority ou les Ultimates. En comparaison, Daredevil semble bien vulnérable - d'ailleurs, Murdock apparaît plus souvent en civil qu'en costume tout au long du récit, soulignant ce contraste entre le simple justicier qu'il est et les surhommes que sont les Vengeurs.
On peut encore voir comme un autre geste politique la dédicace de Miller et Mazzucchelli dans le chapitre final à Jack Kirby. La légende des comics était en effet à cette époque engagé dans une âpre lutte pour la propriété de ses créations avec l'éditeur de la saga, Marvel Comics.
Frank Miller l’avait déclaré : "Born again sera sombre". En vérité, c'est bien plus que ça : c'est une épopée pesante, étouffante, épuisante même - dont aucun des personnages et des lecteurs ne sort indemne. Le scénariste s'interroge sur ce qui fait un héros : son costume ? Son environnement ? Son attitude ? Est-on conditionné pour devenir un héros ou porte-t-on ça en soi, est-ce une vocation ? Et enfin, un héros ne se définit-il pas par sa capacité à rebondir après avoir subi le pire ?
L'histoire n'est pas exceptionnelle en elle-même, d'autres auteurs se sont posés les mêmes questions et on peut trouver le résultat un peu grossier. Non, ce qui distingue DD : Born again, c'est la manière dont le récit est traité, avec sa narration polyphonique, sa radicalité, son jusqu'au-boutisme. C'est un chemin de croix, et le vocabulaire religieux utilisé par Miller en atteste comme en témoignent les titres des chapitres : Apocalypse, Purgatoire, Paria, Renaissance, Sauvé, Dieu et patrie et Armageddon.
C'est la relation d'une lutte sans fin à laquelle en tous lieux et toutes circonstances deux hommes s’adonneront. Encore aujourd'hui, les auteurs de Daredevil sont influencés par cette vision des deux personnages.
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Mais ce qui rend l'ouvrage encore plus remarquable peut-être, c'est qu'on y assiste en quelque sorte à la (re)naissance d'un artiste, un de ceux qui allait marquer une génération de lecteurs et influencer plus d'un dessinateur : le très grand David Mazzuchelli se charge ici des crayonnés et de leur encrage.
Lorsqu'on examine l'évolution de son graphisme tout au long de ces sept chapitres, c'est tout à fait stupéfiant de constater comment il est passé d'un style classique, conventionnel même, à une expression esthétique beaucoup plus singulière - et qui trouvera son aboutissement avec Batman : year one, avant de subir encore bien des transformations dans Cité de verre et ses travaux ultérieurs.
Daredevil : Born again, c'est la révèlation de "Mazz' ". Notez comment il traite Ben Urich qui, lorsqu'il devient menacé de mort par le Caïd, est dessiné tout en angles, en arêtes : trouvaille superbe pour figurer la détresse du personnage.
Tout le talent de l'artiste explose dans l'expressivité qu'il sait donner aux visages, aux postures, rendant à chaque protagoniste sa pleine mesure : le tourment puis la sagesse acquise au terme des épreuves chez Murdock, l'énormité impressionnante du Caïd tel un Bouddha malfaisant, la fragilité désespérée de Karen, la bonhommie inquiète de Foggy, l'hystérie de Nuke...
Son art du découpage est également impressionnant : il suggère des travellings arrière pour nous montrer Murdock couché dans une ruelle dans une position foetale tout en ayant parallèlemennt joué avec des vignettes horizontales où le noir profond et des contre-jours élégantissimes rappellent la dernière rencontre entre le jeune Matt just après l'accident qui lui a coûté la vue et sa mère.
Il imprime au récit un rythme tout en ruptures de ton, qui est encore une véritable leçon de storytelling presqu'un quart de siècle après. Il sait nous crisper tout en laissant un souffle épique traverser l'histoire, toujours au service de celle-ci tout en la sublimant.
Quant à l'exercice obligé des scènes d’action, il leur donne une énergie qui va à l'essentiel, sacrifiant parfois le décor au profit d'un effet de lumière ou d'un angle de vue plus évocateur : il y a là une autorité digne des maîtres les plus rompus au genre.
Aucune planche ne se ressemble et pourtant tout est d'une cohérence fabuleuse, jamais le lecteur n'est perdu malgré la densité du propos.

Seul bémol : la colorisation, d’époque, a vieilli, avec ses trames et ses contrastes parfois pâlots, parfois criards. Dommage que cela n'ait pas été "remastérisé", même si au fond cela participe aussi au charme du livre.
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Que dire de plus ? L'expérience est inoubliable : dynamique et intimiste, angoissante et pleine d'espoir, violente et salvatrice. Passer à côté serait un sacrilège !

mercredi 27 mai 2009

Critique 50 : LA LIGUE DES GENTLEMEN EXTRAORDINAIRES, Vol. 2, d'Alan Moore et Kevin O'Neill

(Ci-dessus : Mina Harker, vue par Adam Hughes.)

Voici le deuxième volume des aventures de La Ligue des Gentlemen Extraordinaires, d'Alan Moore et Kevin O'Neill. Cette suite est-elle à la hauteur ? Cette version explosive de La Guerre des Mondes, d'H.G. Wells, supporte, à mon sens, tout à fait la comparaison.
Mais, voyons d'abord de quoi cela parle plus précisèment. Comme pour le précédent story-arc, celui-là compte également 6 épisodes.
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- Chapitre I : "Phases de Deimos". L'histoire démarre sur Mars, où John Carter et le Lieutenant Gullivar Jones ont formé une alliance incluant les Martiens Verts pour vaincre les extraterrestres qui ont assailli les natifs de la planète rouge. Ces envahisseurs (tout droit issus de La Guerre des Mondes, de H. G. Wells) ont espionné la Terre et vont l'attaquer.
- Chapitre II : "Peuples venus d'ailleurs". Lorsque ces aliens atterrisent sur la Terre, la Ligue des Gentlemen Extraordinaires est aussitôt envoyée sur place, là où l'o.v.n.i. a creusé un profond cratère. Un des premiers Martiens apparaît alors après qu'un observateur ait chuté dans cette fosse.
Un groupe d'hommes s'avance en signe de paix mais ils sont désintégrés par un rayon. Némo,
ayant pressenti l'attaque, pousse ses acolytes face contre terre, mais le Dr Jekyll se transforme alors en Mr. Hyde et menace de mort les agresseurs venus de l'espace.
Réalisant qu'ils ne pourront vaincre ces créatures seuls, les membres de la Ligue se retirent jusqu'à une auberge voisine (La "Bleak House
" - qui se trouvait vraiment non loin de la commune d'Horsell), où ils rencontrent une division militaire dirigée par le Major Blimp, envoyée là pour défendre la zone.
Tandis que Hyde s'entretient avec Mina Murray
, Griffin (sous sa forme invisible) s'éclipse pour proposer aux envahisseurs une alliance.
- Chapitre III : "Et l'aube se lève tel le tonnerre". Le lendemain matin, la Ligue réalise que l'unité de Blimp est réduite en cendres par les rayons d'energie des Martiens. Encore une fois, nos héros choisissent de battre en retraite avant d'être tués à leur tour.
Un véhicule, conduit par William Samson Sr
arrive pour conduire le groupe jusqu'à leur quartier général au Bristish Museum, où ils reçoivent de nouveaux ordres de Mycroft Holmes : Murray doit rester sur place pour s'informer sur Mars et elle apprend également où se situe la réserve d'armes. Hyde et Quatermain retournent au cratère. Griffin profite que Mina soit seule pour l'agresser violemment avant de lui voler les plans de l'armée et de rejoindre les Martiens.
Durant leur mission de reconnaissance, Nemo, Quatermain et Hyde s'approchent d'un tripode Martien, une énorme machine montée sur trois échasses métalliques dans laquelle se déplace l'envahisseur. Ceci fait, ils regagnent immédiatement Londres.
De retour au musée, Hyde trouve Mina gisant sur le sol, blessée, et en déduit ce qui s'est passé. Peu après, Mycroft Holmes
envoie pourtant Murray et Quatermain en mission tout en ne leur donnant que peu d'informations sur ce qu'ils doivent faire.- Chapitre IV : "Promenons-nous dans les bois...". Pendant ce temps, à bord du Nautilus, Nemo et Hyde patrouillent dans Londres. Pour le capitaine, la technologie Martienne est une source d'inspiration pour l'avenir même si, pour l'heure, il faut d'abord trouver le moyen de stopper la progression des envahisseurs.
Traversant la campagne anglaise, Murray et Quatermain rencontrent un homme nommé Teddy Prendrick. C'est un individu mentalement malade mais qui leur fournit des renseignements sur un mystérieux docteur qui vit, retiré, plus loin dans la forêt.
Les recherches de Murray et Quatermain n'aboutissent cependant pas et ils gagnent une auberge pour y passer la nuit. La jeune femme attire le vieil aventurier dans son lit où ils font l'amour. Quatermain découvre avec effroi des traces de morsures et des cicatrices dans le cou de son amante - souvenirs de sa liaison avec le Comte Dracula.
Griffin suggère à ses alliés Martiens de s'en prendre à l'eau des rivières pour parfaire leur domination sur les humains...

- Chapitre V : "Rouge sang sur griffes et dents". Le lendemain, Nemo et Hyde découvre que les Martiens ont transformé la Tamise en une substance visqueuse rouge sang, qui immobilise le Nautilus.
Cependant, ayant repris leur marche dans la forêt, Quatermain jure à Mina qu'il n'est pas dégoûté par ses cicatrices : sa seconde femme en portait de semblables et il trouvait que cela lui conférait une étrange distinction. Ils s'étreignent à nouveau lorsqu'ils sont surpris par une des créatures, mi-homme, mi-ours, du Dr Moreau auprès duquel ils sont conduits (le bestiaire monstrueux du savant convoque plusieurs personnages de la littérature enfantine, comme Tiger Tim, Jumbo l'Eléphant, M. Rat, M. Taupe...).
Hyde revient au British Museum où il trouve Griffin : il lui révèle qu'il peut le voir grâce à sa vision thermique (détail rapidement mentionné dans le Volume I). L'alter ego de Jekyll brutalise alors l'Homme Invisible et va même jusqu'à le violer pour venger Mina Murray. Puis il abandonne Griffin à son agonie.
Mina et Allan font la connaissance du Dr. Moreau qui leur remet une caisse contenant un mystérieux produit du nom d'H-142, commandé par le MI 5
.
Lors d'un dîner au musée avec Hyde, Nemo découvre que son compère a tué Griffin. Mais William Samson calme la colère du capitaine en lui rappelant que la force de Hyde leur sera utile contre les Martiens.


- Chapitre VI : "La valse brune des chevaliers de la Lune...". Le matin suivant, Murray et Quatermain sont de retour à Londres avec le H-142. L'agent Bond les attend avec des gardes équipés de masques à gaz. Ils se dirigent vers les quais où se trouvent déjà Nemo et Hyde.
Bond leur affirme que le H-142, mis au point par Moreau et embarqué sur un cargo, va anéantir l'ennemi. La Ligue, arrivée sur le London bridge, voit que les Martiens ont détruit les dernières lignes de défense de la ville et s'apprêtent à lancer l'assaut sur l'autre côté de la capitale.
Notant que rien ne semble pouvoir stopper la progression de l'envahisseur, Hyde fait ses adieux à Mina avant d'aller attaquer le tripodes Martien. La machine envoie son rayon d'énergie sur lui et le brûle gravement, mais il y survit et charge à nouveau et déséqulibre l'appareil qui tombe. Hyde extrait de l'engin un alien et commence à le dévorer. Mais un autre tripode achève le héros en le désintégrant pour de bon.
Bond révèle à Nemo Quatermain que le H-142 est une bactérie hybride, mélange d'anthrax et de streptocoque : cette solution radicale a effectivement raison des extraterrestres mais provoque l'ire du capitaine qui se retire à bord du Nautilus en prévenant les autorités britanniques qu'il ne collaborera plus à ce genre d'opération.
Un mois plus tard, Murray et Quatermain traversent Serpentine Park : Mina explique à son amant qu'elle se retire en Ecosse, bouleversée par toutes les aventures qu'elle vient de vivre et abandonnant là Allan, désespéré.
*
Ce deuxième volume ne déçoit pas, même est différent du précédent : l'intrigue y est plus linéaire et l'action prime. Cette option a pu désorienter les lecteurs, après l'histoire à tiroirs du premier story-arc. Alan Moore a clairement choisi une direction plus facile, plus spectaculaire, et cette simplicité étonne de la part d'un auteur passé maître dans l'art de nous balader dans des narrations complexes.
Tout ici est explicitement lié à une seule oeuvre majeure, La Guerre des Mondes, et l'écrivain H.G. Wells, également cité avec L'Île du Dr Moreau : comme dans les ouvrages du romancier, une angoisse intense nous étreint et ne nous lâche plus. Les héros sont face à une menace qui les dépasse, face à des créatures monstrueuses (venues d'ailleurs ou créées par l'homme), et le monde risque de basculer dans l'abîme.
Cette situation et cet entourage extrèmes révèlent la part d'ombre de chacun : Griffin trahit rapidement la Ligue, Quatermain et Murray se réfugient dans une relation sexuelle, Hyde a supplanté Jekyll et se livre aux pires abominations (brutalisant, violant, dévorant tout ce qui se dresse contre lui), Nemo se retire d'un monde qui n'a plus rien de civilisé et qu'il méprise définitivement...
Au terme de cette aventure apocalyptique, le bilan est lourd : Griffin et Hyde sont morts, Mina se sépare de Quatermain, Nemo prévient qu'on nee devra plus compter sur lui - la Ligue a vécu, du moins dans cette configuration car on a remarqué (en étant attentif) que d'autres équipes ont déjà été assemblées sous ce titre par le passé... Et qu'on devine que cette formation renaîtra avec d'autres éléments dans le futur.
Ainsi, après la légèreté du Volume I, Moore a inscrit le destin de ses nouveaux héros dans une logique qui lui est familière : comme les Watchmen, la notion d'équipe est relative. Si ces personnages ont agi ensemble, ils l'ont fait pour résoudre des problèmes que seuls ils n'auraient pu solutionner mais leur association n'a pas résisté aux tourments qui les rongeaient individuellement (la misanthropie de Nemo, la bestialité de Hyde, la felonie de Griffin, le traumatisme de Mina, la vieillesse de Quatermain). La morale de Moore est limpide : l'union fait la force mais ne suffit pas à justifier durablement l'existence d'un groupe. L'individualisme a toujours raison de la notion de collectif.
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Esthétiquement, on a pu reprocher à Kevin O'Neill un travail moins abouti que dans la série précédente. Ce n'est pas totalement faux : parfois, effectivement, le trait est plus relâché, les finitions moins précises, le découpage moins rigoureux.
Néanmoins, il serait injuste de dévaluer les planches de ce deuxième volume qui offrent encore des images mémorables, comme celles de ce prologue totalement déroutant, exotique et fascinant sur Mars, décrite comme un désert écarlate, balayé par des tempêtes, et où des soldats ressemblant à des guerriers africains parlementent.
Le style baroque d'O'Neill désorientera les amateurs de dessins classiques tels qu'on en voit dans des comics traditionnels. Mais il évoque aussi le graphisme des artistes de la fin du XIXème-début XXème siècle dans sa radicalité, son expressionnisme, sa puissance visuelle.
*
Mais, malgré une relative baisse de régime, cet ouvrage est tout à fait recommandable et ne dépareille pas à côté d'autres classiques du scénariste, dont l'oeuvre, comme en témoigne ce nouvel exemple, reste une des plus riches et passionnantes de la bande dessinée.

dimanche 24 mai 2009

Critique 49 : LA LIGUE DES GENTLEMEN EXTRAORDINAIRES, Vol. 1, d'Alan Moore et Kevin O'Neill


La Ligue des Gentlemen Extraordinaires (The League of Extraordinary Gentlemen, en vo), est une nouvelle production écrite par Alan Moore et dessinée par Kevin O'Neill, publiée par le label America's Best Comics de DC Comics.
Ce premier volume contient une histoire complète en 6 épisodes, tout en annonçant dans sa conclusion l'argument de sa suite.
*
Ce récit se déroule en 1898 et tous ses protagonistes proviennent de classiques de la littérature de cette époque, partant du principe qu'ils appartiennent à un univers romanesque partagé par leurs auteurs.
Cependant, il est clair que l'action prend place dans un monde plus avancé technologiquement qu'à la fin de "notre" XIXème siècle. Mais ces anachronismes participent au charme singulier de cette oeuvre et il faut les accepter comme des conventions narratives au même titre que la structure feuilletonnesque et le genre (fantastique) qui la caractérisent.
*
- Chapitre I : "Rêves d'Empire". Mina Murray est recrutée par Campion Bond pour former une équipe. Mina part pour l'Egypte avec le Capitaine Némo afin de trouver, au Caire, l'aventurier Allan Quatermain, devenu un minable opiumane. Mina et Quatermain doivent se frayer un passage sur les docks alors qu'ils sont poursuivis par des Arabes qui veulent violer la jeune femme mais Nemo émerge avec son Nautilus et les embarque juste à temps.
Ils se dirigent ensuite vers Paris où les attend Auguste Dupin
pour les aider à capturer une créature mi-homme, mi-bête, qui n'est autre que le Dr Jekyll/Mr Hyde. Ce dernier se cache dans la capitale française après avoir fait croire à son suicide.
- Chapitre II : "Fantômes et miracles". Après avoir mis la main et raisonné Jekyll/Hyde, Nemo, Quatermain et Murray visitent une école pour filles à Edmonton, administrée par Miss Rosa Coote. La rumeur court que plusieurs élèves de l'établissement sont tombées enceintes après avoir été possédées par un esprit malin. Une seule nuit d'enquête suffit au trio de visiteurs pour démasquer le responsable : il s'agit d'Hawley Griffin, l'Homme Invisible, qui s'est caché ici après avoir simulé sa propre mort et qui a abusé sexuellement les jeunes filles de l'école - il est d'ailleurs pris en flagrant délit !

- Chapitre III : "Les Mystères de l'Orient". La Ligue maintenant au complet découvre son quartier général dans une annexe secrète du British Museum et leur mission : récupérer un échantillon de cavorite en possession de Fu Manchu (le méchant n'est pas explicitement nommé mais il n'y a aucun doute sur son identité - le nom n'a pu être utilisé par Moore en raison de problèmes juridiques et il rebaptisé "le Docteur" pour cette raison).
Sous la direction du Pr Selwyn Cavor
, la Grande Bretagne prépare en effet un voyage sur la Lune grâce à ce minerai qui annule la gravité, comme le révèle Bond à ses agents. Mais Fu Manchu, lui, compterait s'en servir pour attaquer l'Empire.
Nemo emmène à bord de son sous-marin l'équipe, direction : Limehouse
, le quartier du "Docteur". Murray et Griffin y apprennent par un informateur du nom de Quong Lee que Fu Manchu prépare une opération d'envergure depuis les sous-sols de cette partie de la ville "où dormirait un dragon". Griffin se montre sceptique mais Murray en déduit que Manchu est du côté de Rotherhithe Bridge.
Pendant ce temps, Quatermain et Jekyll mènent leurs investigations dans la fumerie de Shangaï Charlie, mais sur le point d'être arrêtés par les Chinois, ils battent discrètement en retraite.
De retour à bord du Nautilus, la Ligue fait le point et Murray convainc ses partenaires que Manchu est installé dans un tunnel du côté de Rotherhithe Bridge, un endroit parfait pour abriter une machine de guerre aérienne. Tandis que Nemo reste à bord de son vaisseau, les quatre autres partent inflitrer le repaire présumé du "Docteur" pour y récupérer la cavorite.

- Chapitre IV : "Dieux de l'Annihilation". Quatermain et Murray sont les premiers à se glisser dans l'antre du "Docteur", où ils découvrent éffectivement un gigantesque aéroplane, lourdement armé avec des mitraillettes et des canons, évoquant le "dragon" mentionné par Quong Lee. Mais alors qu'ils sont surpris par un garde, Griffin, sous sa forme invisible, tue ce dernier et sauve la vie de ses acolytes. Quatermain revêt l'uniforme du Chinois pour gagner l'intérieur du "Dragon" et y voler la cavorite.
Griffin rejoint Jekyll et l'insulte jusqu'à ce qu'il se transforme en Hyde et aille massacrer les sbires de Manchu pour faire diversion.
La cavorite en leur possession, Murray et Quatermain retrouvent Hyde et Griffin dans un tunnel où ils réalisent qu'ils sont piègés. Pour s'en tirer, Murray active la cavorite, ce qui propulse le groupe dans le ciel de Londres. La base de Manchu est inondée par les eaux de la Tamise, le "Dragon" est détruit, et la Ligue ré-embarque dans le Nautilus.
Bond félicite le groupe et se retire avec la cavorite pour la remettre à son supérieur, M,
Griffin décide de le suivre à son insu, sans prévenir les membres de la Ligue, et découvre ainsi que M est en vérité le Pr Moriarty, l'ennemi de Sherlock Holmes !

- Chapitre V : "Apparences et manipulations...". Moriarty révèle qu'il a fait construire sa propre forteresse volante, qu'il va pouvoir faire fonctionner à présent qu'il détient la cavorite.
Griffin retourne au Nautilus et informe le groupe de ses découvertes. Nemo pense que M/Moriarty a planifié le bombardement de l'East End de Londres pour y détruire ce qui reste de l'empire criminel de Manchu.
La Ligue embarque à bord du Victoria, une montgolfière cachée dans le navire de Nemo
et aborde le vaisseau de Moriarty.
- Chapitre VI : Le Jour du Firmament". Hyde et Nemo attaquent l'équipage de Moriarty, tandis que Murray et Quatermain retrouvent leur adversaire (Griffin est lâchement resté dans le ballon). Quatermain abat les gardes de Moriarty avant que celui-ci ne le désarme et ne s'apprête à l'exécuter. Mais Murray brise le tube contenant la cavorite et Moriarty s'envole dans la ciel étoilé de la nuit londonienne.
L'équipe quitte l'engin de Moriarty pour s'éloigner à bord de leur montgolfière et regagner le Nautilus, piloté cette fois-ci par le matelot de nemo, Ishmael.
Mycroft Holmes congratule la Ligue tout en comptant sur elle pour l'avenir. Mais déjà, dans les cieux, d'étranges vaisseaux martiens se dirigent sur la Terre...

*

C'est une fantastique récréation que s'est autorisé Alan Moore en créant cette Ligue des Gentlemen Extraordinaires, une échappée belle d'une érudition élégante car jamais elle n'oublie le lecteur en route : c'est la plus belle preuve d'intelligence que celle de nous instruire sans jamais nous prendre de haut, mieux de le faire en nous amusant.
Ainsi, les rappels abondants à des oeuvres littéraires, plus ou moins connues, du XIXème siècle ne pèsent jamais sur le déroulement palpitant et d'une virtuose fludité du récit : c'est peut-être là qu'on mesure l'exceptionnelle qualité narrative et rédactionnelle d'un auteur comme Moore, à cette manière sans égale de jouer avec des figures qu'il n'a pas inventées mais qu'il s'approprie si aisèment et qu'il nous présente comme si c'étaient de vieilles connaissances.
Les titres de chaque chapitre peuvent également servir de guides tout au long de la lecture tant ils sont programmatiques, tout en jouant sur les clichés de la littérature de cette époque. Le plus remarquable, le plus symbolique reste peut-être celui du cinquième volet - "Apparences et manipulations..." (et les points de suspension comptent autant que les mots en l'occurrence !) - : il semble résumer à lui seul la "griffe" de Moore où rien n'est jamais ce qu'il semble être et où on est ravi de s'être fait posséder.
Le plaisir que semble avoir pris le scénariste à composer ce récit, à en articuler les péripéties, à en manipuler les acteurs, est évident. On pourrait presqu'affirmer que la Ligue... serait un manifeste de la part de Moore, que beaucoup réduisent encore à celui qui désacralisa le genre super-héroïque avec les Watchmen, parangons des justiciers désenchantés évoluant dans un monde où ils ne sont plus que des pantins ridiculement costumés aux prises avec des problèmes qui les dépassent.
Ici, au contraire, préside une forme de jubilation à s'amuser avec les codes du feuilleton, les invraisemblances, les archétypes héroïques ou malfaisants. C'est une représentation permanente qui aboutit à un feu d'artifices dans le ciel de Londres, peuplée d'aventuriers décatis qui renaissent dans le feu de l'action, de monstres supposés morts, de scientifiques déjantés, de criminels sadiques à l'imagination tordue, de fausses ingénues... Il est difficile de résister à ce spectacle si bien mis en scène, où tous les ingrédients sont là pour nous faire passer un grand et bon moment.
La façon dont Moore croque ces personnages du patrimoine romanesque est souvent savoureuse et parfois politiquement incorrecte, il les malmène, mais avec amour et humour, comme pour les régénérer et pimenter l'ensemble. Le choix de faire d'une femme, Mina Murray, est significative de cet esprit irrévérencieux quand on voit à quelle époque (sous le régime victorien où tout était si corseté, au propre comme au figuré) ecla se déroule : d'ailleurs, dans la (dispensable) adaptation cinématographique qui sera tiré du comic-book (par Stephen Norrington, avec Sean Connery), cela sera vite corrigé... L'auteur avait pourtant composé un personnage farouchement indépendant, ne s'en laissant pas conter, d'un relief bien supérieur à beaucoup d'héroïnes.
Le traitement infligé à l'Homme Invisible est par contre plus corrosif : c'est un violeur, dissimulateur et couard. L'animalité de Hyde est saisissante, tout comme la misanthropie hautaine de Nemo. Et le noble Quatermain est lui aussi "corrigé" de façon croustillante.
Irrespectueux ? Plutôt décapant ! Et elles en avaient bien besoin, ces créatures d'autrefois...
*
Comme souvent, Moore a su aussi trouver le graphiste apte à donner un vrai "plus" à ce qu'il a conçu : en la personne de Kevin O'Neill, j'ai découvert un artiste aussi original qu'enthousiasmant.
Son style est radical : il ne cherche pas le réalisme, son trait ne flatte pas ses personnages, mais pourtant il s'en dégage une vérité, une vitalité, tout à fait magistrale. Bien que l'on sente l'empreinte très forte du scénariste dans le travail sur les cadres et le découpage, O'Neill parvient à s'y exprimer pleinement, en excellant dans les ambiances, la valorisation de chaque plan, la lisibilité des planches, et l'alternance rythmique entre des séquences dialoguées richement et d'autres où l'action éclate.
Sur ce dernier point, le dessinateur nous donne à voir des "splash-pages" de toute beauté, et ce dès le début, avec l'apparition d'un magnifique Nautilus dans le port du Caire, puis ensuite cette vue sur le quartier de Limehouse dans le ciel duquel se forme le visage inquiètant de Fu Manchu, jusqu'au survol de Londres par le vaisseau volant cauchemardesque de Moriarty. Autant de "morceaux de bravoure" qui vous éblouissent durablement.
*
La fin ouverte suggère explicitement une suite - sans la dévoiler tout de suite, on peut déjà déclarer qu'elle sera digne de ce premier volume, qui fait office d'incontournables pour les fans de Moore, mais aussi pour tous les amateurs de bandes dessinées qui sortent du lot !

vendredi 22 mai 2009

Critique 48 : THE AUTHORITY, de Warren Ellis et Bryan Hitch



(Ci-dessus : l'équipe de The Authority -
avec de gauche à droite : Apollo, Swift, Le Docteur,
L'ingénieur, Jenny Sparks, Jack Hawksmoor
et The Midnighter, par Bryan Hitch.)

The Authority est une série dérivée de Stormwatch, qui racontait les aventures d'une une organisation patronnée par l'O.N.U. et composée de plusieurs groupes de surhommes, d'origines diverses, basée dans une station orbitale et menée par le Weatherman. Mais Stormwatch a dû être dissoute après la destruction de sa station spatiale et suite à plusieurs scandales, résultat de leur trop grand interventionnisme politique.

Sur les cendres encore chaudes de Stormwatch, en 1999, le scénariste Warren Ellis et le dessinateur Bryan Hitch bâtirent the Authority, une nouvelle formation de super-héros qui entreprend de veiller à la sécurité du monde contre tout ce qui peut le menacer, et ce par tous les moyens nécessaires.

Cette équipe est formée de :
- Jenny Sparks, incarnation de "l'esprit du XXème siècle" aux pouvoirs électriques ;
- Jack Hawksmoor, qui fusionne avec les villes ;
- Swift, une guerrière tibétaine aîlée ;
- Apollo, un méta-humain tirant ses facultés de l'énergie solaire (et une version gay de Superman) ;
- The Midnighter, l'amant d'Apollo dôté d'une force et d'une rapidité supérieures à la moyenne (pastiche de Batman) ;
- L'ingénieur, une scientifique qui a remplacé son sang par des particules de nano-technologie ;
- et enfin Le Docteur, un junkie habitée par les pouvoirs magiques des cent shamans qui l'ont précédé dans ce rôle.
*
Le run d' Ellis et Hitch sur The Authority compte 3 actes de 4 épisodes chacun : le premier s'intitule Le Cercle, le deuxième Perfidie et le dernier Crépuscule.

- Le Cercle : The Authority fait sa première apparition publique pour affronter Kaizen Gamorra, un vieil ennemi de Stormwatch, qui veut profiter de la dissolution de cette organisation pour se venger en prenant le contrôle du monde.
Pour parvenir à ses fins, ils envoient des kamikazes génétiquement modifiés pour détruire d'abord Moscou puis Londres - la ville natale de Jenny Sparks - avant de préparer un ultime assaut contre Los Angeles.
The Authority s'emploie à contrarier l'attaque contre la capitale britannique. Mais The Midnighter utilise le vaisseau de l'équipe, le gigantesque Porteur (capable de se déplacer dans toutes les dimensions) pour détruire à son tour la fabrique de clones surhumains de l'île de Gamorra.

- Perfidie : The Authority doit ensuite stopper une invasion émanant d'une Terre parallèle appelée Albion. Ce monde n'est pas inconnu de Jenny Sparks qui en a déjà affronté les occupants en 1920 : Albion est une planète où vivent ensemble des extraterrestres et des humains depuis le XVIème siècle et régie par un régime impérialiste similaire à l'Empire britannique victorien.
Après avoir repoussé une première vague d'attaques, the Authority à l'initiative de Jenny se déplace dans l'univers d'Albion où le Docteur efface littéralement de la carte l'équivalent de l'Italie, où résidaient ses dirigeants.
S'adressant aux habitants de la planète, Jenny leur conseille de profiter de la chance qui s'offre à eux d'établir un monde meilleur. Mais elle les met aussi en garde en promettant des représailles s'ils tentent une nouvelle invasion.
C'est également durant cette aventure que la relation homosexuelle entre Apollo et The Midnighter est explicitement dévoilée, alors qu'elle n'était que suggérée auparavant.


- Crépuscule : A la fin de l'année 1999, des créatures extraterrestres ravagent simultanèment l'Afrique et la Lune. Ses prédécesseurs avertissent le Docteur que le créateur originel de la Terre, communèment appelé Dieu, est de retour pour purifier la planète dont il pense que la civilisation l'a littéralement empoisonnée.
"Dieu" se manifeste bientôt à la vue de The Authority sous la forme d'une immense pyramide dans l'espace et son entreprise de "nettoyage" s'étend encore sans que nos héros ne puissent plus la contrarier (encore moins la stopper).
L'Ingénieur convainc le Porteur de quitter l'orbite terrestre et de pénétrer à l'intérieur de Dieu pour se diriger vers son cerveau. Le système immunitaire de l'entité se défend contre ces intrus mais sans arriver à les arrêter.
Dans les dernières minutes du 31 Décembre 1999, Jenny Sparks accomplit son ultime geste comme "Esprit du XXème siècle" en électrocutant le cerveau de la créature. Elle agonise ensuite dans les bras de Jack Hawksmoor. Sa mort coïncide avec la naissance d'un bébé et d'un nouveau siècle...
*
Comme en témoignent ses résumés, à chaque fois, les héros de The Authority doivent affronter un ennemi de plus en plus puissant. Celui-ci représente successivement un archétype des méchants les plus courants des comics : un terroriste international, une invasion provenant d'une Terre parallèle, et rien moins que Dieu.
Ce travail sur les codes du genre est typique de Warren Ellis, qui sans apprécier les super-héros et leur folklore s'amuse à en détourner, à en pasticher les figures les plus familères. Avec The Authority, il brutalise cet univers en en surlignant les aspects les plus spectaculaires ou les plus racoleurs.
De ce strict point de vue, c'est une série qui procure un plaisir énorme car on en prend effectivement plein la vue. Mais ce n'est jamais gratuit car l'auteur traite ces aventures rocambolesques, remplies de clichés, volontiers régressives, avec une ironie mordante, une verve sarcastique et subversive.
A cette escalade dans la violence et la destruction répond, correspond une narration qu'on a baptisé la "décompression" pour symboliser une dilatation dramatique de l'histoire. Evidemment, depuis, ce procédé a depuis fait des petits, et en comparaison les récits d'Ellis ici paraissent très nerveux.
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Néanmoins, les bases de cette écriture sont clairement à l'oeuvre dans ces 12 épisodes : elles sont traduites visuellement par de vastes vignettes panoramiques permettant d'exposer l'action dans le moindre détail, mais qui ralentissent du même coup le ryhtme inhérent de la lecture (puisqu'on s'extasie longuement sur chaque plan).
Sur ce plan, Bryan Hitch s'est révélé comme un des graphistes les plus puissants de sa génération en livrant des planches d'une envergure reenversante : au début, on sent encore chez l'artiste anglais l'influence manifeste du maître Alan Davis, puis au fur et à mesure des épisodes, son style s'affirme tout en conservant un dynamisme, une ampleur, tout à fait remarquables.
La présence à ses côtés d'un des encreurs de Davis, Paul Neary, n'y est pas étrangère. Et les magnifiques couleurs de Laura Martin achèvent de magnifier la partie esthétique.
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Le déroulement même de l'intrigue en est altéré puisque l'ensemble de l'oeuvre est enrichi par des éléments disséminés au fil des chapitres : ainsi on apprend progressivement que The Authority a été formé à partir de Stormwatch, que Jenny Sparks est âgée de cent ans, qu'Apollo et The Midnighter sont amants, que le Docteur est l'héritier de plusieurs shamans tout comme la technologie de l'Ingénieur lui vient d'un inventeur mort avant la formation de l'équipe...
Politiquement, Ellis laisse aux lecteurs le soin de juger de la légitimité des actions de ses personnages. Cela changera nettement lorsque le titre sera repris par Mark Millar et Frank Quitely (successeurs approuvés par les scénariste et Bryan Hitch), qui feront de The Authority une série beaucoup plus radicale, avec des héros de plus en plus interventionnistes, défiant les autorités humaines.
Le titre s'impose comme une sorte de trait d'union entre les justiciers névrosés imaginés par Alan Moore dans Watchmen et Les Vengeurs revisités comme les gendarmes du monde dans Ultimates par Millar et Hitch. Cette position suffit à l'imposer comme une oeuvre indispensable.

lundi 18 mai 2009

Critique 47 : FROM HELL, d'Alan Moore et Eddie Campbell

L'Everest d'Alan Moore !
Ce n'est pas sans appréhension qu'on attaque la lecture de cet imposant ouvrage, ce pavé de plus de 500 pages au sujet difficile, d'une ambition folle, qui a pris dix années à être réalisé, et qui nécessite plusieurs heures de lecture... Et encore plusieurs heures pour "digérer" cette lecture, qui vous hante puissamment.
Donc attention : cet ouvrage n'est pas à mettre entre toutes les mains et même des lecteurs aguerris n'en sortent pas indemnes. Mais pour qui choisit quand même de tenter l'aventure, c'est un voyage inoubliable, une véritable expérience, qui confirme le génie exceptionnel de son auteur.
*
From Hell est un essai sur l'une des plus grandes énigmes criminelles de l'Histoire puisqu'il traite de l'identité et du mobile de Jack l'éventreur, mais il dépeint aussi la société anglaise à l'épqoue victorienne et réfléchit à la condition féminine.
Le titre ("De l'enfer") provient d'une lettre envoyée à la police en 1888 par l'assassin présumé, qui n'a jamais été arrêté.
A l'origine, From Hell fut édité en 12 livrets, en noir et blanc, avant d'être rassemblé en un seul volume relié de 512 pages : le prix de la critique au festival d'Angoulême le récompensa en 2001.
*
La structure de l'oeuvre emprunte au feuilleton (procédé familier à Moore depuis Watchmen) : on compte quatorze chapitres (plus ou moins longs), encadrés par un prologue et un épilogue, plus deux appendices (qui font partie intégrante du récit) - le 1er est constitué d'une quarantaine de pages d'annotations, le 2nd est un épisode supplémentaire de 24 pages, Le Bal des chasseurs de mouettes, concluant l'histoire de manière ironique les nombreuses tentatives d'explications des meurtres de Jack l'Éventreur en donnant finalement le point de vue de Moore sur l'affaire.

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En Angleterre, à l'époque victorienne, le Duc de Clarence, petit-fils de la Reine Victoria, a une liaison amoureuse clandestine avec Annie Crook, une vendeuse de l'East End à Londres. Ils se marient en secret et ont un enfant. La reine Victoria y met un terme en éloignant le duc de la capitale et en faisant interner Annie Crook dans un asile d'aliénés après avoir subi une lobotomie.
Malheureusement, plusieurs prostituées, amies d'Annie, essaient de profiter de la situation pour obtenir de l'argent qu'une bande de racketteurs de leur quartier leur réclame. Alertée de cette tentative de chantage, la reine Victoria demande alors au médecin royal, Sir William Gull, de se débarrasser de ces personnes pour éviter un scandale.
Le Docteur Gull est un déséquilibré, hanté par des visions mystiques, qu'il confie à son cocher, Nettley, au cours d'une longue traversée de Londres où il visite et commente de nombreux symboles architecturaux de la ville. Selon Gull, l'histoire de l'humanité est une lutte permanente entre les hommes pour dépouiller les femmes du pouvoir qu'elles détenaient dans les sociétés préhistoriques. Il appuie son argumentaire avec de nombreuses évocations mythiques, symboliques et scientifiques, et c'est ainsi qu'il remplit la mission dont l'a chargé la reine Victoria. Supprimer des prostituées est pour lui un acte de "magie sociale" destiné à raffermir l'ascendance de l'homme sur la femme dans la société.
Face à la reine, Gull justifie ses terribles méthodes en expliquant qu'il s'agit d'avertissements franc-maçonnique contre les Illuminati
qui mettraient en péril la couronne.
L'inspecteur Frederic Abberline est chargé d'enquêter sur ces meurtres : plusieurs suspects sont envisagés, mais ses investigations sont un échec.
La situation empire quand un journaliste rédige une lettre où il prétend être le tueur : ainsi qu'apparaît le nom de Jack l'éventreur pour désigner le maniaque.
Le délire de Gull culmine lorsqu'il élimine Mary Jane Kelly : Londres lui apparaît un siècle dans le futur. Devenu à son tour une menace pour la reine, il est livré au jugement d'un tribunal franc-maçon secret, qui décide de l'incarcérer après l'avoir fait lobotomiser.
Montague John Druitt, un jeune enseignant et avocat, accusé d'homosexualité, servira de bouc émissaire pour calmer la population : il est "suicidé" après qu'on l'ait forcé à écrire une lettre d'aveu.
Avant de mourir, une ultime vision assaille Gull : il quitte son enveloppe charnelle et entame un voyage dans le temps au cours duquel il va inspirer d'autres assassins fameux comme Peter Sutcliffe ou Ian Brady mais aussi l'auteur William Blake.

*
Pour bâtir ce monument, Alan Moore s'est inspiré d'une thèse polémiquée émise par Stephen Knight : il est question d'un complot franc-maçonnique à l'origine des meurtres de Jack l'éventreur pour cacher l'existence d'un bâtard dans la famille royale, fils du prince Albert Victor, duc de Clarence. Par la suite, Moore a expliqué qu'il ne soutenait pas cette théorie mais qu'il la considérait comme une base pour son travail.
Qouiqu'il en soit, même si From Hell est et reste une fiction, Moore et Eddie Campbell ont effectué des recherches considérables pour rendre leur histoire la plus crédible possible, comme en témoigne les abondantes notes et références, indiquant les scènes purement imaginaires et les faits avérés.
Le récit est aussi une analyse très poussée sur le personnage de sir William Gull : sa personnalité complexe, sa philosophie existentielle, ses motivations et son double rôle de médecin royal et de serial-killer sont explorés avec force détails. C'est un "héros" qu'on n'oublie plus jamais après avoir lu From Hell, que l'on croit ou non qu'il ait été Jack l'éventreur.
Il se trouve que l'authentique William Gull a eu une attaque cardiaque et Moore s'en sert comme prétexte pour justifier ses délires - comme lorsqu'il "voit" une apparition de Jahbulon, une figure mystique de la franc-maçonnerie, événement qui va le voir sombrer définitivement dans la folie.
Au début de l'histoire, on accompagne également Gull et son cocher dans une étrange virée au coeur de Londres : les principaux monuments de la capitale anglaise cacheraient une signification mystique ayant disparu avec le monde moderne. Moore a raconté avoir imaginé ce passage après avoir lu Ian Sinclair.
D'autres célébrités de l'époque sont évoquées telles qu'Oscar Wilde, Aleister Crowley, William Butler Yeats, Joseph Merrick (le fameux Elephant Man).
Et puis que Moore adhère ou on à la théorie de la conspiration "royalo-maçonnique" dans cette affaire, à vrai dire peu importe ! On peut parler de "béquille scénaristique" dans la mesure où il s'en sert avant tout pour critiquer la société anglaise de la fin du XIXème siècle : la charge est d'ailleurs implacable contre les inégalités sociales de l'époque et du pays. La comparaison entre le style de vie des nantis (comme Gull justement) et celui des plus misérables est accablante, d'une grande cruauté, d'une vérité sans concession et, à ce sujet, Moore a exprimé son regret que le Royaume-Uni n'ait pas connu une Révolution comparable à celle de la France en 1789.
Le discours profondément féministe qui parcourt l'œuvre, avec ces meurtres clairement présentés comme des actes symboliques voulant réaffirmer l'ascendance du mâle, participe du même mouvement politique.
L’intérêt de ce "graphic novel" est moins de découvrir qui est Jack l'éventreur (son identité nous est rapidement révélée) que de découvrir pourquoi et comment il l’est devenu. Mais les curieux pourront, comme ce fut mon cas, s'intéresser aux sociétés secrètes à partir du rôle que Moore prête aux francs-maçons.
*
L'important travail de documentation est aussi palpable dans les dessins d'Eddie Campbell. D'un trait de plume acérée, il nous montre un Londres noir, sale, cru, profondément humain, saisissant dans sa représentation qui emprunte au gothique et à l'expressionnisme. Il émane de ses planches une atmosphère lugubre, insensée, effrayante, traversée par des visages spectraux. Son trait hachuré, sombre, produit un effet proche de la sidération.
*
Que From Hell soit étudié dans certaines universités ou qu'il ait été interdit en Australie nous prouvent encore son importance : en effet, il est avéré que la censure condamne souvent les grandes œuvres. Et cette bande dessinée qui dépasse les standards du genre est une oeuvre aussi immense qu'unique.

vendredi 15 mai 2009

Critique 46 : JLA CLASSIFIED - NEW MAPS OF HELL, de Warren Ellis et Jackson "Butch" Guice



En 2004, DC Comics inaugura une nouvelle collection intitulée JLA: Classified. Le principe était de produire des récits complets, écrits et dessinés par des équipes créatives différentes à chaque fois, mettant en scène la Justice League of America. Ces histoires s'inscrivaient dans la continuité officielle et dévoilaient des pans du passé du groupe.
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Des profondeurs de l'espace-temps surgit une entité artificielle, "Dieu de la Terreur" auto-baptisé Z, et à l'origine de la décimation du peuple martien - dont le dernier survivant est J'onn J'onnz, le Martian Manhunter de la JLA.
L'un après l'autre, les membres de la formation sont témoins d'incroyables actes de destruction et entreprennent d'en découvrir le responsable. Leurs investigations les conduisent à suspecter la Lexcorp, l'entreprise de Lex Luthor (qui, à l'époque des faits, est le président des Etats-Unis - comme dans JLA : Vice et vertu, de Geoff Johns, David Goyer et Carlos Pacheco).
Leur indice majeur est un ancien manuscrit connu sous le nom du Tharsis qui raconte l'histoire de civilsations "testées" par une puissante force qui a fini par les détruire après les avoir considérées comme trop faibles pour existert. Mais ce texte contient aussi un virus qui, une fois décrypté, possède lui-même le pouvoir de détruire les mondes.
Quand Z s'attaque à la Terre, la JLA est donc mise à son tour à l'épreuve pour déterminer si la planète est digne de survivre...
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L'écriture de Warren Ellis suscite toujours la curiosité lorsqu'elle s'exerce sur les héros les plus icôniques des deux majors companies que sont Marvel et, ici, DC. Je me demandai donc à quel sauce il allait cuisiner la JLA, dont il s'était largement inspiré pour en livrer une version épicée avec The Authority.
On reconnaît rapidement la marque de l'auteur dès l'ouverture de cette histoire et dans son développement : l'intrigue est à la fois sombre et musclée, le ton ironique, le rythme enlevé. Le récit souligne ce que les comics avec une bande de super-justiciers offre de mieux puisqu'on y voit ses membres obligés de se battre en véritable équipe une menace qu'aucun d'eux, seul, ne pourrait vaincre : C'est une donnée toute simple, mais un groupe de super-héros n'est pas qu'une addition de personnages, c'est un ensemble de combattants aux talents complémentaires dont l'union fait la vraie force. Et ça, Ellis l'a bien compris.
Le scénariste n'a pas à forcer son talent pour nous entraîner dans cette aventure : on sent tout de suite qu'il connaît bien son casting, qu'il n'a pas choisi les acteurs au hasard, et il sait leur donner du caractère. Sur ce dernier point, Ellis a l'intelligence de ne pas négliger les seconds rôles : les échanges entre Clark Kent et Loïs Lane sont dignes de ceux d'un couple de "screwball comedy", façon Cary Grant-Irene Dunne, et du coup lorsque Superman part en mission, c'est comme s'il recouvrait sa virilité après avoir été piqué au vif par sa partenaire dans la vie civile.
Batman, lui, est dépeint comme un enquêteur qui va à l'essentiel, au raisonnement aussi affûté et précis que ses actions. Wonder Woman préfére qu'on l'appelle Diana comme si elle voulait marquer sa féminité avant son héroïsme. Flash (version Wally West ici) est un pur feu follet qui devra son salut à sa capacité à réfléchir, donc à se calmer. Green Lantern semble s'amuser de sa puissance et de l'adversité mais on devine ses appréhensions derrière cette attitude. Et enfin J'onn J'onzz fait figure de sage dans cette configuration, le lien entre ses membres.
C'est donc avec un véritable plaisir qu'on est embarqué dans ce grand huit où tout est écrit avec tempérament et originalité, malgré la notoriété des protagonistes.
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Jackson "Butch" Guice livre, quant à lui, de superbes illustrations, à la hauteur des spectaculaires enjeux de l'histoire et de ses héros. Les morceaux de bravoure ne manquent pas pour lui permettre de nous en mettre plein la vue : la scène d'ouverture, l'explosion de Paradise Island, Las Vegas ravagée... C'est tout à fait magistral.
Pour ajouter à ce bonheur visuel, le dessinateur s'encre lui-même et on ne peut que s'en réjouir. Même si le trait nerveux et anguleux évoque Joe Kubert, certaines ambiances rappellent le meilleur de ce que firent ensemble Frank Miller et Klaus Janson dans leurs meilleurs épisodes de Daredevil, mais on pense en vérité surtout à l'immense Neal Adams - comparaison écrasante pour beaucoup d'artistes mais dont Guice se tire admirablement.
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On pourra regretter un dénouement un peu expéditif, sans véritable épilogue, qui envoie à l'ultime page, la bataille à peine achevée, la JLA déjà sur un nouveau front. Cette précipitation souligne trop le fait que ce que nous venons de lire n'est qu'une parenthèse passée dans la carrière du groupe.
Et puis il y a ces affreuses couvertures, reproduites en fin de volume, signées Michael Stribling, exécutées (c'est le cas de le dire...) en couleur directe.
Mais si on passe sur ça, l'ouvrage est tout à fait conseillé. Les connaisseurs d'Ellis y trouveront même des références à ses autres oeuvres (comme Global Frequency, via le rôle qu'il donne à Oracle). Et c'est jubilatoire de lire des répliques, certes attendues mais toujours efficaces comme : "We’re the Justice League. We’ve beaten up real gods and made them cry. You are nothing to us".
Après ça, Warren Ellis peut bien affirmer qu'en vérité il n'adore pas les super-héros, il réussit quand même à leur donner des histoires palpitantes, aussi bien pour le néophyte que pour le fan…

lundi 11 mai 2009

Critique 45 : WANTED, de Mark Millar et J.G. Jones

Wanted est une série en 6 chapitres, écrite en 2003 par Mark Millar et dessinée par J.G. Jones (plus le vétéran Dick Giordano pour quelques planches d'une séquence en flashback, publiée par Image Comics.
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Comme pour un autre de ses livres, Superman : Red Son, Millar a raconté que l'idée lui en était venue après s'être rappelé d'une anecdote survenue dans son adolescence : son frère aîné lui aurait raconté que les super-héros auraient disparu à la suite d'une gigantesque bataille contre leurs ennemis. Auteur chez DC Comics, Millar développe une histoire sur cette base en y intégrant la Socièté Secrète des Super-Vilains, mais l'éditeur refuse cette proposition - ce qui ne l'empêchera pas ensuite de produire des séries sur ce modèles (comme Villains United par exemple).
L'autre référence de Wanted est du côté du cinéma : les personnages s'inspirent physiquement clairement de vedettes comme le rappeur Eminem (pour Wesley) et les acteurs Halle Berry (pour The Fox), Tommy Lee Jones (pour The Killer), Steve Buscemi (pour Johnny-deux-bites) ou Christopher Lloyd (pour le Professeur Seltzer).
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En 1986, les super-vilains du monde entier décident de s'allier pour décimer les super-héros et imposer leur loi. Ils réécrivent ensuite les souvenirs de la population, effaçant toute trace de la situation qui précéda leur règne.
Le jeune Wesley Gibson
découvre que son père, qu'il n'a jamais connu, a été récemment assassiné et que celui-ci était reconnu comme le plus grand criminel sous le pseudonyme sans équivoque de "The Killer". Wesley apprend rapidement qu'il a hérité des dons paternels, une aptitude naturelle et hors du commun pour tuer et manier les armes, qui doivent en faire un successeur indiscutable.
Ces révèlations bouleversent l'existence de ce jeune homme jusqu'alors timoré, vivant avec une compagne infidèle, sous les ordres d'un patron qui le méprise. Entraîné par the Fox, une criminelle qui fut la maîtresse de son père, Wesley abandonne son existence minable pour accomplir son destin au sein de la Fraternité, l'organisation des plus grands malfrats de la terre. Il devient le nouveau Killer et le garde du corps officiel du savant professeur Solomon Seltzer, un des Cinq maîtres du monde.
Un autre de ces démoniaques leaders est Mister Rictus, qui souhaite que la Fraternité puisse agir en pleine lumière et qui aspire à diriger cet empire du mal. Lorsque ses requêtes sont rejetées, il déclenche alors une guerre des gangs en extrminant les troupes de ses acolytes, à commencer par celles de son rival déclaré, le Pr Seltzer.
Wesley et The Fox ripostent tout aussi violemment jusqu'à ce que Mr Rictus et ses complices soient tous éliminés. C'est alors que resurgit le père du jeune homme, en vie et en parfaite santé !
Il explique à son fils qu'il a tout manigancé en mettant en scène sa disparition, afin que Wesley intègre la Fraternité et devienne un homme. Ayant grandi avec une mère qui l'a surprotégé, il a fini par devenir un lâche et un cocu alors qu'il était programmé pour être un tueur redouté. Mais pour s'imposer définitivement dans son nouveau milieu, il doit s'acquitter d'une ultime épreuve : tuer son propre géniteur, qui ne supporte pas l'idée d'être un jour supprimé par un adversaire sans valeur.
Wesley abat son père et retourne avec The Fox au quartier général de feu le Pr Seltzer, dont il prend la place. L'épilogue est provocateur : le nouveau Killer s'adresse directement aux lecteurs, en se moquant de leurs petites vies pathétiques dont ils ne sortiront jamais par manque d'audace.

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Wanted se distingue d'abord par une extraordinaire galerie de personnages qui se référe explicitement à des figures connues des comics. Ainsi Wesley Gibson/The Killer est une synthèse de Deadshot et Bullseye ; The Fox s'inspire ouvertement de Catwoman ; Solomon Seltzer est un mélange du Dr Sivana et Lex Luhor ; Mr Rictus évoque le Joker et Crâne Rouge ; Futur à Kang et Per Degaton ; L'Empereur à Ra's al Ghul et Fu Manchu ; Adam-One à Vandal Savage.
C'est un petit jeu amusant pour le fan d'identifier le modèle d'untel ou d'untel, mais cela n'empêchera pas le profane d'apprécier chaque personnage - et peut même l'encourager à faire des recherches pour parfaire ses connaissances.
Il y a une évidente dimension ludique dans Wanted, même si pour l'apprécier, il faut goûter à un humour très noir, salace et sans retenue.
Car l'autre caractéristique de ce comic-book est la violence outrancière avec laquelle Mark Millar a écrit son scénario, développant des situations paroxystiques et un langage volontiers ordurier. Pourtant ces exagérations permettent une effet de recul : la brutalité des séquences d'actions, les excès verbaux, deviennent ouvertement une parodie du genre, soulignant les dérives des comics des années 90 pour mieux les ridiculiser. On n'est pas si loin de ce qu'a fait subir au genre quelqu'un comme Warren Ellis avec Nextwave...
En terminant son récit sur une apostrophe de Wesley Gibson directement au lecteur, Millar casse aussi la convention narrative dîte du "4ème mur" : ce procédé a pour but de faciliter l'identification du lecteur au personnage principal, dont la passivité est assimilée à celle (supposée) du lecteur. Ici, le revirement psychologoque profond de Wesley et la manière dont elle se traduit, par un déferlement de violence, sont ainsi cautionnés. Cette pirouette finale nous invite à utiliser cette lecture comme une catharsis... Ou à passer à l'acte en imitant le Killer !
C'est dans ce mélange de distanciation et de crudité que se distingue Wanted : d'un côté, la série prétend rendre réaliste les super-héros, dont la preuve de l'existence a été effacée de nos mémoires ; mais d'un autre côté, Millar se moque ouvertement de cet univers grotesque en violentant ses codes.
Le ton est ouvertement satirique comme en témoigne une scène mémorable où Mr Rictus tue un couple dans une rue et laisse en vie leur enfant : lorsqu'un comparse lui demande pourquoi il l'a épargné, il répond qu' "en grandissant, il sera tellement obsédé par le fait de me retrouver et de se venger, qu'il deviendra peut-être quelqu'un d'intéressant ». La citation à l'origine de Batman est croustillante.
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Visuellement, J.G. Jones, qui s'est notamment illustré depuis en signant toutes les (superbes) couvertures de la série Infinite Crisis : 52, nous offre des planches magnifiques. Ses efforts pour donner aux protagonistes les visages de célébrités sont admirables. Mais son sens du découpage est également excellent : le récit se déroule avec beaucoup de fluidité, avec des vignettes fourmillant de détails eux aussi plus vrais que nature, et un soin exemplaire apporté à la lumière, aux décors, aux designs de cette foultitude de personnages. Il impose un véritable univers auto-suffisant, d'une prodigieuse richesse et d'un esthétisme reenversant.
Pour évoquer le passé du Killer lors d'une séquence, Jones cède sa place à Dick Giordano, une légende des comics (il a entre autres encré George Pérez sur les Teen Titans et supervisé la publication des Watchmen) : le changement de style au cours de ce bref passage est une vraie madeleine de Proust pour ceux qui ont apprécié le travail de ce monsieur par le passé. C'est aussi une élégante astuce pour démarquer cette étape du récit du reste.
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Alors, Wanted est-il une grande BD ? Ou un exercice de style grossier et complaisant ? Pour ma part, je dirai que c'est surtout un comic-book extrèmement efficace, dont la lecture laisse un sentiment vivace. C'est indiscutablement une expérience, et rien que pour cela, un livre qui compte.

samedi 9 mai 2009

Critique 44 : LES CINQ CONTEURS DE BAGDAD, de Fabien Vehlmann et Frantz Duchazeau

 Le calife de Bagdad, amateur de bonnes histoires pour se distraire, organise une grande compétition de contes. Pas moins de mille et un conteurs devront présenter un récit devant le souverain et son public, ils disposent de trois années pour imaginer la meilleure des histoires en parfaisant leur technique narrative.
L’enjeu est à la mesure du tournoi : le gagnant aura gloire et richesse, le perdant subira le supplice du pal ! Comme il est bien connu que l’union fait la force, cinq personnages vont se rassembler pour se préparer à cette épreuve : Ahmed, le propre fils du Calife, propose à quatre conteurs de voyage autour du monde pour y écouter les plus incroyables histoires et en tirer un seul récit qu'ils écriront ensemble !
Le quintette se compose de :
-Nazim, un aimable colosse, maraîcher, qui passionne les foules sur les marchés ;
- Tarek, un séducteur, roublard mais talentueux ;
- Anouar, son vieux mentor, que la compétition ne passionne guère ;
- et enfin Wahid (ou plutôt Wahida, une jeune femme déguisée en homme), réputé pour ses récits originaux.
Avant leur départ, ils consultent une voyante qui résume le périple qui les attend. Elle prophétise que Nazim assassinera Anouar de treize coups de couteaux et que Wahida épousera Tarek…
Ces prédictions se confirmeront-elles ? En tous cas, les tribulations de nos héros resteront épiques et palpitantes, à la fois drôles, étranges, troublantes... Et leur issue réserve bien des surprises.
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Le scénario brillantissime de Vehlmann est une déclaration d'amour à l'art de raconter les histoires. Il surprend constamment le lecteur dans son déroulement d'une redoutable efficacité, ses dialogues ciselés, son rythme impeccable, et sa chute jubilatoire - jusque dans un ultime appendice, qui révèlent des épisodes cachés du voyage des cinq conteurs, en apparence anecdotiques ou décalés mais révélateurs.
Ce récit est riche en rebondissements et nous entraîne souvent là on ne s'y attend pas, s'amusant à déjouer (tout en les confirmant) les prédictions de la voyante. C'est jubilatoire de se faire ainsi balader !
D'excellentes idées sont intelligemment exploitées : le mélange de personnages très différents permet de traiter une vaste gamme d'ambiances, d'actions, d'émotions. Et une séquence comme celle de l’arbre aux oiseaux est un vraie merveille.
Surtout, l'histoire illustre parfaitement l'idée que le voyage compte finalement plus que la destination : on ne saura rien du contenu du conte qui séduira le plus le calife, mais qu'importe ! Le destin des cinq héros, leur odyssée est sûrement le récit le plus passionnnant.
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Le dessin du Duchazeau est en tout point à la hauteur de ce formidable scénario : des traits fins, des hachures, l’emploi du noir et blanc surtout dans les premières (et dernières) pages, la focalisation sur l’expression des visages, la spontanéité qui s'en dégage installent d'emblée une atmosphère prenante.
La mise en couleurs ajoutent encore à cette réussite esthétique : elles évoquent magistralement les décors fantasmatiques de l'Orient, dignes des Mille et une Nuits. Des scènes comme celles dans le désert et l'apparition des Djinns surrgissant du sable ou du feu d’artifice sont éblouissantes.
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Cet album hautement recommandable ne se limite pas à un exercice de style sur comment raconter une histoire : il nous invite à réfléchir sur l’art de les trouver, de les dire, de les écrire - bref, de les transmettre.

lundi 4 mai 2009

Critique 43 : JOHNNY CASH : UNE VIE (1932-2003), de Reinhard Kleist


Johnny Cash – Une vie (1932 – 2003) : le titre fait office de programme, le chanteur, sa vie, son œuvre, son destin. Mais un sacré destin pour un sacré bonhomme et un artiste hors du commun. Cash était LA voix de l’Amérique profonde et il incarnait littéralement sa musique la plus populaire, la country-music.
C'est le récit de cette voix des réprouvés, des marginaux, des "hobos" (des vagabonds), des miséreux, et des taulards - puisque Cash fut célèbre pour son concert dans le pénitencier de Folsom (qui fut enregistré), et auquel une large part est consacrée.
Issu d'un milieu très modeste, ayant grandi dans des conditions difficiles, notre héros a pourtant rapidement conscience que sa voix sera son billet de sortie, que la chanson est sa vocation. On le suit depuis ses premiers concerts jusqu'à la gloire, sans occulter les épisodes les plus glauques de son existence (marié et père de famille, il vivra une idylle avec la chanteuse June Carter ; il devient toxicomane en consommant des amphétamines...).
A la fin de sa vie, sa rencontre avec le producteur Rick Rubin lui permet d'enregistrer ses derniers disques, des oeuvres fortes, testamentaires, comme le bilan de tout ce qu'il a traversé. Car le Johnny Cash qui est ici décrit est un voyageur permanent, toujours sur les routes, et dont le répertoire prend parfois vie au cours de séquences quasi-fantastiques, riches en symboles sur l'homme et son pays.
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C'est un livre à la fois étonnant, atypique et poignant, qui témoigne de la passion sincère et profonde de l’auteur pour son sujet. Reinhard Kleist retrace le parcours chaotique, tourmenté, de ce chanteur de country, de rock et de folk, sans rien occulter.
Le respect dont il fait preuve pour l'artiste ne l'empêche jamais de rester intégre dans la relation qu'il fait de l'existence de l'homme, et de ce simple point de vue, c'est une grande réussite, une oeuvre d'une belle exigence - quoique toujours accessible, qu'on connaisse et aime ou pas Cash et sa musique.
Les figurations de Sam Phillips – qui découvrit également Elvis Presley – , Bob Dylan et Rick Rubin permettent aussi à Kleist d'évoquer tout un (large) pan de la culture musicale populaire américaine de la seconde moitié du XXe siècle. On mesure à quel point ces hommes ont su parler vrai de leur pays, de leur époque, de l'Histoire de leurs concitoyens (surtout les plus modestes), et combien, encore aujourd'hui, leur répertoire a nourri notre regard sur l'Amérique.
C'est une entreprise épique dans laquelle s'est lancé l'auteur, en s'appuyant sur une solide documentation (précisée à la fin de l'ouvrage), mais ces plus de 200 pages se lisent d'une traite, avec un art épatant du rythme.
Reinhard Kleist déroule chronologiquement le fil de l’existence tortueuse de Johnny Cash, en ponctuant son histoire avec les paroles de ses chansons et en employant un graphisme contrasté, expressionniste, en noir et blanc rehaussé de gris qui restitue à merveille les faits et l'ambiance.
Kleist est né en 1970 en Allemagne, près de Cologne. Il a étudié le design puis l'illustration puis a commencé à être publié 1994, en adaptant Lovecraft. En 98, il part pour New York où il signe l’album Amerika.
Succès public et critique, Cash – I see a darkness a été élu meilleur album au Festival de Berlin ainsi qu’à la Foire du livre de Francfort. Découvrez-le, vous ne le regretterez pas... Et vous n'aurez plus qu'une envie ensuite : écouter Johnny Cash !