C'est le genre de critique que je déteste écrire. Celle qui concerne le dernier épisode d'une série que j'ai adorée de bout en bout, par deux auteurs que j'admire et dont j'ignore s'ils retravailleront ensemble, et si oui quand. C'est le douzième et dernier épisode de The Human Target.
Il n'y aura qu'une image pour illustrer cette critique car cette image, une splash-page au début de l'épisode, résume tout, absolument tout. Le propos de l'épisode et mon état d'esprit. Je suis triste, triste que ce soit fini. On devrait tous être triste comme ça quand une série qu'on adore se termine.
Alors bien entendu, c'était écrit, c'était prévu : The Human Target ne durerait que douze épisodes (plus un hors-série Tales of the Human Target, sorti pendant la pause effectuée par les auteurs après le n°6). Je croyais être préparé, être prêt. Mais en vérité, je me racontais des histoires. On n'est jamais prêt à quitter une telle histoire. Pas plus que Ice n'était prête à laisser partir Christopher Chance.
Ce sera le seul spoiler de cette critique : Christopher Chance meurt dans ce douzième épisode, comme c'était montré au tout début du premier. Tom King n'a pas sauvé son héros, et il a eu raison, même s'il nous brise le coeur. Le fan était pourtant prêt à accepter un rebondissement de dernière minute : Dr. Midnight aurait trouvé un antidote, Captain Atom aurait purgé le poison de l'organisme de Chance, Booster Gold aurait remonté le temps ou serait parti dans le futur pour trouver un remède, etc. Mais non, ça n'aura pas eu lieu.
Tom King n'est pas un sentimental et comme il l'a auparavant prouvé, il privilégie la logique implacable de son récit à une happy end qui console. Il ne raconte pas de conte de féé, mais ici, en l'occurrence, une série noire. Il ne fait pas ça par cruauté mais par honnêteté, pour ne tromper personne sur ce qu'il raconte. Et c'est ce que, généralement, n'aiment pas ou ne comprennent pas ses détracteurs.
Ainsi, j'ai, ici et là, des commentaires négatifs tout au long de la publication de cette série de la part de lecteurs qui n'avaient pas compris que The Human Target, comme tous les titres que King a publiés sous la bannière du DC Black Label, étaient hors continuité. On lui reprochait ainsi de caractériser Guy Gardner comme un amoureux toxique vis-à-vis de Ice alors que c'était juste un abruti rigolo dans Justice League International. Sauf que le Guy Gardner de The Human Targer n'est pas celui de JLI, écrit par Keith Giffen et J.M. DeMatteis et dessiné par Kevin Maguire, c'est une version alternative, malsaine, qui s'inscrit dans l'histoire racontée par Tom King.
Tom King n'est pas un sentimental. Et pourtant, comme pour Mister Miracle ou Strange Adventures, voire Rorschach et même Supergirl : Woman of Tomorrow, sans parler de son run sur Batman, The Human Target est avant tout une histoire d'amour, l'histoire d'un couple, dont les sentiments sont éprouvés par une dramatique échéance.
A un moment, dans un flashback, Ice et Chance devisent sur la durée de leur relation : ils se seront connus onze jours, c'est dérisoire pour Chance, c'est énorme pour Ice. Peut-on tomber amoureux fou de quelqu'un en onze jours ? La question est biaisée par le fait que dans The Human Target, Ice a involontairement empoisonné Chance et que Chance le découvre. C'est le jeu tragique de Eros et Thanatos, comme ça l'était déjà pour Scott Free et Barda, Adam et Alanna Strange, Wil Myerson et la gamine, Kara et Ruthyie, Bat et Cat.
Cette question, le lecteur peut se la poser vis-à-vis de la série elle-même : peut-on tomber follement amoureux d'une histoire en douze épisodes ? Douze épisodes, c'est pas grand-chose, et c'est beaucoup pourtant, parce qu'en vérité la publication de The Human Target s'est étalée sur plus de 18 mois. Tom King a dévoilé qu'il a fallu trois ans de travail pour boucler ces 12 numéros.
Mais la réponse, dans le deux cas, est simple, étonnamment facile : oui, on peut tomber fou d'amour pour quelqu'un et pour une BD en si peu de temps. Pas seulement parce qu'on éprouve des remords à avoir précipité la fin d'un homme en l'empoisonnant par erreur, ou parce que le livre est beau et bien écrit. Mais tout simplement parce que cela procède de cette curieuse alchimie qui se produit entre deux personnes, une femme et un homme, un lecteur et un livre. C'est inexplicable, miraculeux, incongru, mais c'est aussi évident. La magie opère, c'est la bonne personne/le bon livre au bon moment, au bon endroit. Et voilà.
Réfléchissez au nombre de personnes et de livres que vous rencontrez ainsi dans une vie de lecteur et qui vous retourne complètement, dont vous savez qu'il y aura un avant et un après. Il n'y en a pas beaucoup mais vous les situez tout de suite en les cherchant dans votre entourage ou dans votre bibliothèque. C'est un peu comme jouer à quel objet j'emporterai si ma maison était en feu. Pas forcément un bibelot essentiel, mais quelque chose d'intimement précieux. Ou alors se demander pour qui vous seriez prêt à faire une folie. Un truc qu'on ne vous soupçonnerez pas de faire mais que vous oseriez pour une personne aimée.
Parfois les histoires d'amour, d'amitié, finissent, brutalement. C'est toujours brutal, même quand on sent que c'est la fin depuis un moment. On n'en fait jamais le deuil, jamais complètement. C'est quelque chose qui vosu reste dans un coin de la tête et du coeur. Parce que ça fait partie de vous, de ce qui vous construit, de ce qui vous définit. C'est l'expérience que fait Ice - et qu'a fait Christopher Chance dans The Human Target. Ice n'oubliera jamais Chance et nosu non plus. On n'oubliera d'autant moins que la fin de ce douzième et dernier épisode est vraiment, mais vraiment magistrale. Diabolique. D'ailleurs je pense ne pas me tromper en affirmant que, que l'on aime ou pas cette série, sa dernière page soufflera tout le monde.
Sur Twitter, aujourd'hui, Greg Smallwood remercie Tom King, le lettreur Clayton Cowles et toute l'équipe éditoriale qui a rendu possible cette série. King auparavant avait salué son dessinateur pour le brio de son travail, la manière dont il avait sublimé son script, la qualité de leur collaboration. Moi, j'ai remercié Greg Smallwood aussi. Et Tom King. Parce qu'ils m'ont rappelé ce que je ne veux jamais oublier ni trahir : qu'une BD se fait à deux (au moins), qu'il n'y a pas un scénariste, puis un dessinateur, mais un scénariste ET un dessinateur et que c'est ensemble que c'est possible, que jamais, jamais on ne devrait l'oublier, ni au moment de parler de la BD, ni au moment pour l'éditeur d'inscrire sur une couverture les noms des créateurs. Ce n'est pas The Human Target by Tom King ou by Greg Smallwood, c'est The Human Target by Tom King & Greg Smallwood.
N'oubliez jamais de glisser un mot, même un seul pour l'artiste. Ne faîtes pas comme tous ces pseudo-fans et experts des comics qui oublient l'artiste quand ils signent un article ou comme les mauvais éditeurs qui préfèrent mettre en avant le scénariste en négligeant la contribution, essentielle, du dessinateur. Si vous aimez la BD et ceux qui la font, alors respectez ceux qui la font, faîtes l'effort, minime, de citer et l'un et l'autre des auteurs. Tom King ne serait rien ici sans Greg Smallwood et Smallwood n'aurait pas brillé autant sans King. The Human Target ne serait pas ce qu'il est sans King et Smallwood.
Je disais que ça allait me manquer de ne plus attendre de nouvel épisode, de vous en parler, d'espérer vous convaincre de la qualité de cette histoire. Mais en même temps sa qualité réside aussi dans son format. J'ai souvent loué la politique de DC et de son Black Label avec ses mini-séries limitées. Il y a un vrai savoir-faire et le Black Label est devenu un gage de qualité, en tout cas pour moi. Je suis curieux, attentif à ce qui sort sous cette bannière, dont King est, sans jeu de mots, devenu le roi. C'est plaisant de lire des histoires sans avoir besoin de suivre tout l'historique des personnages, et c'est agréable de savoir dans quoi on s'embarque, pour quelle durée. Parfois, ça fonctionne, parfois moins, parfois pas du tout, mais c'est une expérience provisoire, intense quand elle est réussie. Je regrette que Marvel n'ait pas l'équivalent d'un Black Label, même si on trouve régulièrement des mini-séries (mais qui sont toutes attachées à une franchise, à la continuité)., un espace de création qui permet à des artistes de proposer autre chose, quelque chose de différent.
The Human Target synthétise le meilleur de cette formule puisque son intrigue reposait sur la mort programmée de son héros et invitait le lecteur à partager les douze épisodes avec passion. Aujourd'hui, c'est donc fini, la série se termine avec la mort annoncée de son héros, la boucle est bouclée. C'est émouvant, malin, beau, audacieux.
Alors merci aux auteurs, à DC, au Black Label. Espérons que ça dure, qu'on lise encore d'aussi bons bouquins. Des livres qu'on n'a pas envie de voir finir. Mais qu'on finit, comblé.
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