J'ignore encore où on pourra regarder Poker Face en France, mais nul doute qu'un diffuseur la proposera bientôt car le succès critique et public de sa saison 1 devrait motiver les décideurs. Et je vous encourage en tout cas à surveiller ça de près car c'est une sacrée bonne série, qui mérite le concert de louanges dont elle a bénéficié.
Plutôt que de vous résumer chaque épisode, je vous propose un passage en revue de ceux-ci avec mon commentaire critique. Poker Face, c'est quoi au juste ? C'est d'abord l'histoire de Charlie Cale, une femme qui possède un don curieux : elle sait quand quelqu'un ment délibérement (elle ne peut alors s'empêcher de dire "Bullshit !", parfois à voix haute, le plus souvent à voix basse). Ce pouvoir, elle l'a utilisé pour jouer aux cartes jusqu'à ce que Sterling Frost Sr. la remarque et l'emploie dans son casino pour la faire payer. Aujourd'hui Sterling Jr. a pris la relève de son père et quand il tue la meilleure amie de Charlie, femme de ménage, il ignore encore qu'il court à sa perte.
Sterling Jr. se suicide pour ne pas affronter la déception et la punition de son père mais celui-ci envoie alors aux troussess de Charlie, accusée du meurtre, son meilleur chasseur, Cliff Legrand. Mais Charlie a de la ressource : elle sillonne les Etats-Unis et trouve des petits boulots pour subsister en veillant à ne pas attirer l'attention. Ce qui n'est pas évident car elle a le chic pour sympathiser avec les mauvaises personnes, comme la petite amie d'un cuistot tué par un garagiste jaloux de leur romance.
Parfois, si elle ne va pas au-devant des ennuis, ceux-ci viennent littéralement chercher Charlie, de manière rocambolesque, à l'image de ce chien témoin du meurtre d'un roi du barbecue dont la femme se débarrasse avec la complicité de son propre frère. Un peu tiré par les cheveux mais très drôle. Les épisodes ne sont pas tous excellents, mais s'amusent avec des intrigues retorses sur le principe de Columbo.
Car Charlie Cale, si elle n'est pas flic, est un peu la cousine du célèbre lieutenant immortalisé par Peter Falk et Poker Face emprunte à cette illustre série son procédé narratif : dès le début on sait qui a tué qui et pourquoi, mais Charlie confondra-t-elle le(s) coupable(s) et comment. Ainsi, recrutée comme chauffeuse par un groupe de rock sur le retour en même temps qu'un jeune batteur qui a composé, sans le savoir un tube en puissance, elle devra trouver des preuves matérielles accablant les deux autres musiciens et la chanteuse qui n'ont pas voulu partager les droits d'auteur.
La série nous balade dans tous les coins possibles de l'Amérique du Nord. A chaque job que décroche Charlie, on change de décor et on fait la connaissance de personnages hauts en couleurs, comme Irene et Joyce, deux retraités et anciennes activistes qui ont zigouillé leur ancien amant et leader qui les avait dénoncées à la police des années plus tôt. Charlie dispose à chaque fois de peu de temps pour confondre les coupables, car elle se sait traquée et ne peut donc se permettre de s'attarder dans un endroit. Elle prend aussi de gros risques car elle ne peut compter sur la police qui, elle aussi, la recherche. Et dans le cas de Irene et Joyce, elle manque d'y passer.
On ne s'ennuie donc pas en suivant cette enquêtrice malgré elle et la plupart des affaires sont aussi tordues qu'irrésistbles, ménageant des rebondissements vraiment imprévisibles, comme ceux qui parsèment l'épisode 6 (mais pas de spoilers). Rian Johnson, le créateur de la série, qui s'était fait remarquer avec Star Wars VIII : Les Derniers Jedi (l'opus le plus discuté de la saga) et surtout avec Knives Out (A couteaux Tirés) 1 et 2 (produits par Netflix), a su convaincre des acteurs fameux de venir, le temps d'un épisode pimenter ses crime stories.
On a ainsi le plaisir dès le début d'avoir Adrien Brody, puis ensuite Chloë Sevigny (ép. 4), Judith Light et S. Epatha Merkerson (ép. 5), Ellen Barkin et Jameela Jamil (ép. 6), Tim Blake Nelson (ép. 7), l'immense et trop rare Nick Nolte (ép. 8), Joseph Gordon-Levitt (ép. 9) et enfin Ron Perlman (dans le final). Du beau monde pour des scénarii très écrits, et des réalisations chiadées, Johnson signant les épisodes 1, 2 et 10, et Natasha Lyonne le 8.
Dans ce fameux huitième épisode, la star du show, Natasha Lyonne, que j'avais adoré dans les deux saisons de Poupée Russe (sur Netflix) donne donc la réplique à Nick Nolte en le dirigeant. L'acteur impressionne sans avoir besoin d'en rajouter dans le rôle d'un avatar de Ray Harryhausen, le célèbre spécialiste des effets spéciaux, dont les talents servent, à son insu, à effacer les traces d'un crime qui a gâché sa carrière comme metteur en scène et commis par une partenaire. C'est peut-être le joyau de la couronne de cette première saison car on peut suivre cette histoire comme une savoureuse mise en abyme de tout le principe de la série où il s'agit de recourir à d'anciennes techniques pour compromettre les plans machiavéliques de meurtriers.
A l'occasion, Poker Face aime aussi s'amuser avec des exercices de style, comme dans l'épisode 9, qui est un quasi-huis clos, dans un chalet coupé du monde par une tempête de neige, où Charlie échoue, blessée. Et là, si Tarantino tombe sur ce chapitre, il aura droit à une leçon de mise en scène car ces 45' sont plus réussies que les 3 h. de son plus mauvais film (Les 8 salopards). Jusqu'à la dernière scène qui annonce la fin de la saison, comme on boucle une boucle.
On avait commencé Poker Face avec Sterling Frost Jr. et on la termine avec Sterling Frost Sr., incarné par l'imposant Ron Perlman. C'est aussi, avec l'épisode 1 celui où on profite le plus de Benjamin Bratt alias Cliff Legrand, qui aura donc passé une année à courir après Charlie Cale. Evidemment les retrouvailles ne vont pas se passer du tout comme prévu et disons, sans en dire trop, que Rian Johnson trouve un moyen jubilatoire de justifier la reprise de la cavale de son héroïne.
Comme je l'ai déjà écrit plus haut, tout n'est pas d'un niveau égal dans ces dix épisodes, mais rien n'est jamais médiocre. Même quand une intrigue est moins captivante, on est tout de même curieux de savoir comment elle va être résolue. La gouaille de Natasha Lyonne, son cigarillo aux lèvres, y est pour beaucoup et elle rafraîchit sacrément la figure de Columbo, avec une malice et une détermination imparables. Jamais les guest-stars du show ne réussissent à éclipser sa prestation, car les invités cabotinent juste ce qu'il faut pour qu'on garde en mémoire leur personnage mais sans parasiter la série.
Même dans les conditions où j'ai suivi ces dix enquêtes (les sous-titres bourrés de fautes d'orthographe et de traductions approximatives), mon plaisir n'a jamais été entamé. Cela faisait un bail que je n'avais pas autant savouré un show policier. Et savoir qu'il a été d'ores et déjà renouvelé me comble. Rian Johnson a subi les trolls intégristes du fandom Star Wars pour avoir osé bousculé leur saga mais désormais il est devenu un auteur qui compte avec Knives Out et Poker Face. Qu'il soit protégé et béni.
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