Jean revient en Bourgogne après que Juliette, sa soeur cadette, l'a prévenu que leur père est sur le point de mourir. Avec leur benjamin, Jérémie, ils doivent décider de ce qu'ils vont faire du domaine viticole dont ils vont hériter. Pour Jean, le choix est d'autant plus épineux que son retour provoque des sentiments exacerbés chez son frère et sa soeur, qu'il a quittés cinq ans auparavant, pour refaire sa vie en Australie où sa compagne, Alicia, et leur fils, Ben, cinq ans, l'attendent...
Jérémie, Jean et Juliette (François Civil, Pio Marmaï et Ana Girardot)
J'ai toujours apprécié le cinéma de Klapisch, un des rares cinéastes français qui sait conjuguer des ambitions d'auteur avec le souci de produire une oeuvre populaire. Quand on examine sa filmographie, il y a vraiment de quoi faire, aucun mauvais film (aucun film honteux). Il a su développer une saga générationnelle avec Romain Duris et leur trilogie (L'auberge espagnole, Poupées russes et Casse-tête chinois), et varier les plaisirs entre chaque épisode avec des histoires humanistes, à la fois légères et graves.
Jean, Juliette et Jérémie
Il prouve encore une fois son savoir-faire de conteur avec ce récit dont le tournage s'est étalé sur une année, au fil des quatre saisons, pour mieux saisir l'évolution des paysages de la Bourgogne et de ses vignes. Cet investissement étonnant a été partagé par ses comédiens dont on reconnaît facilement qu'ils ont appris la geste de leurs rôles et dont la complicité irradie.
Le scénario use parfois de facilités narratives (la scène avec la lettre du père), mais Klapisch a le bon goût de ne pas en abuser et surtout il rattrape cette maladresse par la justesse et la bienveillance de son regard : il ne s'agit pas simplement de dresser la chronique d'une famille où les parents ne sont plus là, mais aussi d'évoquer les difficultés d'une succession, d'explorer les affres de la paternité, de l'affirmation de soi.
Visuellement, le film est vraiment splendide, et tous ceux qui ont participé à des vendanges, qui même ont eu des parents ou grands-parents ayant cultivé la vigne (comme ça a été mon cas), savoureront cet aspect-là.
Pio Marmaï, Ana Girardot (love) et François Civil sont formidables - et pour eux aussi, il faut souhaiter que le film rencontre le succès car leur talent mérite d'être reconnu.
Enfin, restez bien jusqu'à la fin du générique : pas pour une scène cachée, mais pour écoutez la chanson écrite et interprétée par la voix sublime de Camélia Jordana - une mélodie qui vous raccompagne avec douceur et émotion.
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Suite à la publication de cette critique sur Buzzcomics, un échange avec d'autres forumeurs est né, qu'il me semble instructif de retranscrire ici. Ne vous étonnez pas des drôles de noms des intervenants puisque, sur les forums en général, tout le monde aime se rebaptiser avec des pseudos bizarres (moi-même, je sévis sous un nom de code, Wildcard). Pour la lisibilité de l'échange, je mets en italique les propos tenus par mes interlocuteurs.
Arrowsmith :
- Je suis partagé sur ce film.
D'un côté la joie de retrouver l'ambiance à la Klapisch avec sa bonne humeur, son humanisme et son humour pas lourdingue (les deux scènes où les frères interprètent les paroles d'autres personnages sont tordantes). On en ressort avec le sourire et en se disant que l'on a eu ce que l'on était venu chercher.
De l'autre déception car le scénario ne va pas assez loin et ne fait qu'effleurer le sujet de la succession dans une situation où (et malheureusement je peux en témoigner) non, tout ne peut pas aller si bien (une engueulade et c'est terminé). Trop long également, l'équilibre entre la comédie et les scènes dans la nature (les vignes) n'étant pas forcément très bien équilibrées. La gestion d'un domaine viticole aurait mérité également un plus de développement même si le choix du réalisateur de se focaliser sur le gout et les arômes du vin est assez juste.
Un film bancal qui hésite à enfoncer le clou là où cela risque de faire mal (peur de perdre sa façon de faire ? ce qui fait son cinéma ?). Les premiers films de Klapisch était plus pertinent et grinçant avec un regard finalement plus juste (Riens du tout, Le Péril jeune et Chacun cherche son chat). J'aurais aimé voir le Klapisch des années 90 réaliser Ce qui nous lie.
Je te rejoins sur les acteurs (toujours très bon chez Klapisch). Je voulais voir également ce qu'allait donner Pio Marmaï chez Klapisch (comme une évidence que ces deux là se rencontrent, tant Pio Marmaï me fait penser à Romain Duris dans sa trajectoire)
Moi :
- Je crois que, moins qu'une "peur de perdre sa façon de faire", de "ce qui fait son cinéma", Ce qui nous lie est un film-test pour Klapisch. De ce que j'ai lu sur sa conception, d'après les propos même du cinéaste, il a voulu sortir de sa zone de confort en abordant des thèmes plus adultes (puisque son cinéma est quand même très associé à la jeunesse, à cause/grâce à la trilogie avec Duris et depuis Le péril jeune), d'où la paternité, le deuil, l'héritage (familial mais aussi affectif) - expériences que Klapisch a vécues ces dernières années.
Le résultat n'est pas parfait : on sent effectivement des inégalités dans le rythme, parfois une frustration dans certains passages (notamment quand ça se tend entre les deux frères et la soeur sur la propriété). Mais je crois que ces déséquilibres étaient inévitables parce que c'est un peu nouveau pour Klapisch. Au moins peut-on le créditer de ne pas se reposer sur ce qu'il sait bien faire.
Par ailleurs, c'est vrai qu'il était plus grinçant à ses débuts, y compris dans la comédie, mais ça correspondait à une certaine insolence juvénile, traduite par ses héros et ses sujets - par exemple, est-ce un hasard s'il n'a jamais refait de polar (avec une critique sur les médias) après l'échec de Ni pour, ni contre (bien au contraire) ? Ou si, à part Riens du tout et Ma part du gâteau, il a abandonné le cinéma social ? Je crois tout simplement qu'il ne s'y sent pas (plus ?) à l'aise. Sa démarche fait penser à celle de Sautet : il se débarrasse de plus en plus des éléments d'époque (qui datent les films) pour se focaliser sur les personnages, leurs relations, leurs tourments.
Reste à voir comment il va creuser ça maintenant : en épurant encore plus, vers une sorte de comédie intimiste ? Ou en situant ses histoires dans un milieu, un décor particulier, propices à l'expression de certains rapports humains ?
En tout cas, avec Pio Marmaï, le cinéaste a peut-être trouver le remplaçant de Duris. Marmaï a quelque chose de "Dewaerien" dans son jeu, une sorte de tonicité un peu lunaire, qui créé de l'inattendu. Duris et Klapisch sont devenus aussi indissociables que Léaud-Truffaut, on les attend trop ensemble dans un certain registre : s'ils s'éloignent un moment l'un de l'autre, quand ils se retrouveront, ça redeviendra frais.
J'ai été bref sur Civil, mais il est excellent (la scène où il "s'explique" avec son beau-père, sans oser lui dire "va chier", comme le suggérait Alicia, est irrésistible). Et Ana Girardot : magnifique vraiment, toute fine, fragile, mais en fait très forte (j'ai adoré, à la fin, qu'elle revendique son "élégance" en alignant les gros mots). Dans ces moments-là, Klapisch est très fort parce que ça semble improvisé, très naturel, et en même temps très écrit, très dosé, très placé.
Arrowsmith :
- A juger donc au prochain Klapish pour voir si Ce qui nous lie est un film de transition vers de nouveaux horizons où bien le début (et je mettais Casse tête chinois avec) le début d'une longue liste de films décevants.
Puis, un troisième larron s'est mêlé à la discussion et jugez de la suite, en ayant bien à l'esprit que ce sire n'avait pas vu le film (ce qui ne l'empêchait pas d'avoir un avis - selon le bon mot de Coluche : "il avait un avis sur tout. Enfin... Il avait surtout un avis.").
Zen Arcade :
- Comme d'habitude, un vague truc tiédasse.
Ni bon, ni mauvais. Juste quelconque.
Du Klapisch, quoi.
Plus on est de fous... Un 4ème a quelque chose à déclaré (sans avoir vu le film lui non plus !).
Gilles C. :
- Je crois que Riens du tout est le seul vraiment bon Klapisch.
La preuve, son titre était en avance de plus de 25 ans!
Et puis un 5ème invité frappe à la porte (toujours sans avoir vu le film !).
Hannah :
- Non, c' est Chacun cherche son chat.
Arrowsmith :
- Je l'ai cité. De ses 3 premiers films c'est le Péril Jeune qui a ma préférence (et ne pas oublier qu'il a été réalisé au départ pour une exploitation à la télévision).
Chacun cherche son chat est également spontanée dans son approche et tournage. C'est sa force (j'aime beaucoup également, je le mets en 2).
M'étant entre-temps absenté, je lis ces commentaires avec perplexité : beaucoup de monde ont un mot à dire (et un mot peu flatteur) sur un film qu'ils n'ont pas vu (à part Arrowsmith). Je rebondis plus spécialement sur le propos de Zen Arcade et sa manière définitive de qualifier le cinéma de Klapisch - il m'arrive aussi d'être péremptoire à l'occasion, mais je me soigne, et donc quand je remarque ça chez un autre, je m'échauffe vite. Les commentateurs aux avis définitifs m'ont toujours fâché.
Moi :
- Ce genre d'avis expéditif ["Comme d'habitude, un vague truc tièdasse"] me fait penser à ces gars qui ne jurent que par les sensations fortes, comme s'ils buvaient un verre de gnôle le matin au petit-déjeuner et des plats super-épicés à chaque repas.
Bon, remarque, je veux bien qu'on ne cherche au cinoche que de l'extrême, des productions limites, qui vous retournent comme si on était dans le tambour d'une machine à laver au moment de l'essorage. Mais, alors il n'y aurait pas de "films du milieu", des films tout simplement bien faits, agréables, faciles à regarder sans être bassement produits. On est dans un espace estimable du cinéma français tiraillé entre sa tradition "auteuriste" et son formatage pour le prime-time télé à base de comédies bas du plafond (faciles à identifier avec leurs titres en un seul mot...).
Klapisch n'est peut-être pas un "grand" cinéaste et sa filmo n'est peut-être pas digne d'être cité dans des des guides de longs métrages incontournables, mais il n'y a rien de honteux ni de malhonnête dans ce qu'il fait. Il raconte ses histoires avec habileté, des histoires aimables et pas bêtes, bien écrites, réalisées, jouées - tout ça mérite le respect, à défaut de l'adhésion.
Mais, évidemment, ça ne plait pas à Zen Arcade que je lui réponde un peu sèchement et il entend bien avoir le dernier mot : c'est un garçon intelligent, mais objectivement élitiste (qu'il s'agisse de BD, ciné, musique), et ce qu'il écrit ensuite le prouve.
Zen Arcade :
- Ben ouais, désolé, je suis du genre à découvrir le jazz par le free, la musique classique par du contemporain atonal, les comics par atchmen...
J'aime pas les trucs tiédasses, c'est comme ça.
Ouais, c'est certainement estimable mais je trouve ce type de cinéma sans intérêt.
Ces films "tout simplement bien faits, agréables, faciles à regarder sans être bassement produits" me donnent juste l'impression de perdre mon temps.
Mais tant mieux pour ceux qui comme toi y trouvent leur compte.
Entre la tradition "auteuriste" et le formatage pour le prime-time télé, ce qui manque à mon sens dans le cinéma français, c'est pas les films tiédasses à la Klapisch, c'est bien plutôt une vraie tradition du film de genre.
Lassé, comprenant que le dialogue est dans une impasse, j'essaie quand même d'en tirer une synthèse tout en défendant une dernière fois les efforts de Klapisch (et quelques autres à travers lui). Mais aussi résolu à clore le débat, qui risque de dégénérer (et Dieu sait si ça va vite sur les forums dans ce genre de situation). Personne n'a tort ou raison, mais un peu de mesure et surtout l'honnêteté de parler d'un film en l'ayant vu me semble en tout cas la moindre des choses.
Moi :
- Mais ça, je crois que c'est cyclique.
Le film noir, le polar, par exemple, en France, a connu des sommets avec Melville, puis des cinéastes (parfois injustement qualifiés de "yes men", de "faiseurs") comme Deray, Verneuil, en ont signé d'autres (avec Belmondo, Delon, Ventura, Gabin sur ses vieux jours, Michel Constantin). Des séries B qui sont souvent rediffusées, mais qui gagnent en charme avec les ans parfois (je me rappelle avoir revu "Mélodie en sous-sol" par exemple, d'abord sans conviction, puis de plus en plus épaté par la photo, la tension, jusqu'à la scène finale superbe).
Quand Olivier Marchal a réalisé "36 (Quai des Orfèvres)", même si le résultat n'est pas sans défaut, il a revivifié le genre avec son expérience de flic. Le problème, c'est que le succès du film a entraîné tous les producteurs (dont les chaînes de télé) à reproduire sa formule (avec des flics de plus en plus déglingués, des histoires de plus en plus glauques), et cela a généré des séries similaires (d'ailleurs sous la houlette de Marchal, très opportuniste et complaisant, comme "Braquo").
Faut juste attendre qu'un réal' puisse proposer un nouveau polar qui diffère de ce qu'a provoqué Marchal.
La comédie, c'est pareil. Au milieu de tout un tas de nanars, photocopiés jusque dans la manie de leur donner un titre en un, deux ou trois mots (de "Camping" à "Barbecue" en passant par "Alibi.com" et j'en passe), tu tombes quand même sur des productions inspirées, rares certes, mais avec un souci évident d'écrire quelque chose de qualité ("Populaire", "L'Arnacoeur").
Et puis les autres genres possibles dépendent d'éléments très variables : les films d'aventures, de cape et d'épée, nécessitent de gros budgets, et les financiers sont frileux face aux concurrents-mastodontes comme une saga genre "Pirates des Caraïbes". La SF, le fantastique n'ont jamais eu d'âge d'or chez nous. Et la comédie musicale, malgré la révérence de Damien Chazelle à Demy, s'est justement limitée à ce cinéaste.
Les francs-tireurs, comme Blier, à tort ou à raison, n'ont plus de place aujourd'hui : l'époque a dépassé leurs transgressions (parfois répétitives, faussement audacieuses). Et les cinéastes au service des stars pour des films de genre sont aussi discrets parce que des stars dont le nom garantit un succès automatique n'existent plus (heureusement ou pas).
Par impatience ou par réel goût (pour un format plus long, propre à développer leurs histoires), des cinéastes (par ailleurs en mal de succès en salles) se retournent aussi vers la télé pour honorer certains genres (voir l'excellent "Le Bureau des Légendes" d'Eric Rochant).
C'est aussi en tenant compte de ce contexte que je trouve sévère de taxer les films de Klapisch de "tiédasses" parce qu'il est un des rares (avec Rémi Bezançon) à oeuvrer dans ce qu'on appelle la "comédie dramatique" (la "dramedy", comme disent les ricains) sans sombrer dans le banal. Ses films sont toujours bien écrits, bien filmés, bien joués, il s'inscrit dans une tradition de cinéastes honnêtes, solides, aux formules personnelles (comme Truffaut, Tavernier, Leconte par ex).
Tout ça pour dire que, si je comprends la frustration de ne pas vivre des expériences assez fortes régulièrement en salles, et de déplorer le formatage de la production, il ne faut pas non plus tout déprécier et savourer ce qui est tout bêtement bien fait. Même si ce n'est pas parfait, ébouriffant, il y a de quoi discuter (notre échange avec Arrosmith en témoigne).
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