samedi 30 mai 2015

Critique 629 : LUCKY LUKE, TOMES 22 & 23 - LES DALTON DANS LE BLIZZARD & LES DALTON COURENT TOUJOURS, de René Goscinny et Morris


LUCKY LUKE : LES DALTON DANS LE BLIZZARD est le 22ème tome de la série, écrit par René Goscinny et dessiné par Morris, publié en 1963 par Dupuis.
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Les Dalton s'évadent encore une fois de prison mais, cette fois, Joe a une idée pour que Lucky Luke ne puisse plus les arrêter : il convainc ses trois frères de passer avec lui au Canada, hors de la juridiction américaine donc.
Lucky Luke, pour pister les fugitifs, s'en remet à Ran-tan-plan qui, refusant de suivre l'odeur des haillons de Joe, lui indique quelle direction emprunter.
Le Canada se révèle un territoire hostile et atypique pour le cowboy comme pour les bandits avec ses immensités neigeuses, son climat frigorifique, ses loups, ses ours, ses bûcherons et ses orpailleurs qui dépensent leurs pépites dès qu'ils en trouvent au bar.
Pour coincer les Dalton, Lucky Luke pourra aussi compter sur le caporal Winston Pendergast, un officier de la police montée aussi courtois que pugnace. 
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LUCKY LUKE : LES DALTON COURENT TOUJOURS est le 23ème tome de la série, écrit par René Goscinny et dessiné par Morris, publié en 1964 par Dupuis.
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A la faveur de l'élection du nouveau président, tous les détenus sont amnistiés, y compris les Dalton (qui s'apprêtaient d'ailleurs à s'évader).
Les quatre frères s'établissent à Awful Gulch pour y dévaliser la banque, de nuit, sous couvert d'e^tre devenus les honorables gérants d'un saloon. Mais Lucky Luke déjoue leur plan, les arrête et les reconduit au pénitencier.
Les Apaches sont sur le pied de guerre et attaquent la prison où les gardiens, pour en assurer la défense, confient des armes aux détenus. Les Dalton en profitent pour se (re)faire la belle avant d'être capturés par les indiens. 
Suite à un quiproquo, Averell sauve pourtant la vie de ses frères en passant pour un sorcier auprès du chef Tichose, ce qui ne va pas arranger Lucky Luke pour appréhender à nouveau les malfrats.

Pour la première fois dans l'histoire de la série, Goscinny et Morris vont enchaîner deux aventures avec les Dalton. On sait que Charles Dupuis n'aimait pas trop ce genre d'idées, craignant que cela ne lasse les lecteurs (il refusera d'ailleurs, pour cette raison, à Franquin et Greg d'aligner un troisième tome consécutif avec Zorglub dans la série Spirou et Fantasio). Et, quelquefois, les auteurs seraient bien avisés d'écouter leur éditeur...

En effet, ce ne sont pas de très bons opus, même s'ils restent plaisants à lire, simplement la répétition de l'adversaire ne produit pas un bon résultat, donnant le sentiment que la série bégaie et que seul le décor change.

Les Dalton dans le blizzard est un peu meilleur, sans faire d'étincelles. Déplacer l'action au Canada est prometteuse, mais curieusement Goscinny n'en tire pas grand-chose : on aurait aimé qu'il s'amuse (et nous amuse) avec le langage, les us et coutumes mais tout ça ne décolle jamais vraiment. Le gag le plus récurrent ? La consommation du sirop d'érable et de soupe de pois. On a vu mieux, surtout de la part d'un scénariste qui a su si bien ironiser sur les spécificités locales dans Astérix (même quand il ne le faisait pas toujours très subtilement).

Il est plus efficace (à défaut d'être plus inspiré) quand il emploie Ran-tan-plan, dont la bêtise phénoménale est toujours réjouissante ou avec le personnage du caporal Pendergast, dont la politesse produit des dialogues savoureux (lorsqu'il répéte aux Dalton : "je désire vous interroger au sujet d'une affaire vous concernant").

Les Dalton courent toujours est un récit encore plus curieux : le lecteur attentif notera qu'il est construit en deux actes et que Goscinny semble avoir davantage collé deux histoires l'une à l'autre qu'écrit un scénario complet. 
En effet, en examinant la numérotation des demi-planches de Morris, on s'aperçoit qu'il s'arrête à la planche 12 puis repart de zéro pour les 21 planches suivantes, ce qui correspond exactement au moment où Lucky Luke ramène les Dalton en prison après leur passage à Awful Gulch puis à la partie où les Apaches partent en guerre.

L'amnistie des Dalton (et de tous leurs semblables) ne fournit pas un argument bien passionnant, tandis que l'entrée en scène des indiens donne un plus de nerf à l'histoire, mais le quiproquo faisant d'Averell un sorcier aux yeux des peaux-rouges n'a rien de folichon et s'étire péniblement.

Là encore, ce sont des détails et des dialogues qui méritent qu'on s'y arrête : par exemple, page 25, un clin d'oeil est adressé au Marsupilami de Franquin lorsqu'un indien crie "Houba houba hop hop !", et page 26, Goscinny glisse une réplique assez audacieuse qui fait référence à la mort de John Fitzgerad Kennedy (survenue en 63) quand un autre Apache condamne les Dalton en faisant mine de les égorger et que ses compagnons reprennent en choeur : "Kénédi ! Kénédi ! Kénédi !" - il est incroyable que la censure ait laissé passer ça à l'époque, ça reste très culotté.

Visuellement, la prestation de Morris est au diapason : il ne force pas son talent quand il s'agit de représenter Awful Gulch ni les indiens, ce genre de décors et de seconds rôles il les maîtrise comme personne.

En revanche, quand l'action se situe au Canada, il surprend positivement et prouve une nouvelle fois que, sous une apparence classique, voire convenue, son découpage est une mécanique d'orfèvre. Une scène comme celle où les Dalton doivent prouver leurs capacités de bûcheron devient une suite de plans très efficace culminant avec un plan général qui montre leurs employeurs canadiens ahuris par ces quatre gugusses. 

Hélas ! On peut déplorer que, contrairement à sa belle et amusante couverture, Morris n'ait pas su mieux traiter la neige et son potentiel à la fois comique et dramatique dans cet album. N'était-il pas à l'aise avec ces éléments ? Ou simplement aussi peu inspiré que Goscinny ? En tout cas, on reste sur notre faim.

Un petit coup de moins bien donc dans la série, mais quelque part, c'est rassurant : même les meilleurs peuvent faiblir. 

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