mardi 26 mai 2015

Critique 626 : LUCKY LUKE, TOMES 20 & 21 - BILLY THE KID & LES COLLINES NOIRES, de René Goscinny et Morris


LUCKY LUKE : BILLY THE KID est le 20ème tome de la série, écrit par René Goscinny et dessiné par Morris, publié en 1962 par Dupuis.
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Depuis sa naissance en 1859, William H. Boney alias Billy the kid a la passion des armes et s'en sert pour faire le mal en attaquant les diligences. Etabli à Fort Weakling, il inspire la terreur aux habitants alors que ce n'est qu'un gamin.
Mais les choses vont changer quand Lucky Luke passe par là, même si l'adversaire se montre coriace et la population peu encline à témoigner contre lui.
Le cowboy, constatant la couardise des locaux, décide de ruser en se faisant passer à son tour pour un desperado, avec la complicité du seul homme qui le soutient, l'éditeur du "Clairon de Fort Weakling", Josh Belly.
Désemparé en voyant que les habitants ont désormais peur d'un autre que lui, Billy the kid n'a d'autre choix que de défier en duel Lucky Luke... 
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LUCKY LUKE : LES COLLINES NOIRES est le 21ème tome de la série, écrit par René Goscinny et dessiné par Morris, publié en 1963 par Dupuis.
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Une nouvelle fois, le gouvernement fait appel à Lucky Luke pour l'aider : il s'agit cette fois d'escorter un groupe de scientifiques dans les collines noires où vivent les Cheyennes afin de préparer l'arrivée de colons au Wyoming. Mais ce projet déplaît au sénateur Stormwind qui engage le mercenaire Bull Bullets pour obliger l'expédition à renoncer.
Lucky Luke accompagne donc le biologiste Simeon Gurgle, le géologue Ira Doubledap, le géomètre Darryl Bundlofjoy et l'anthropologue Gustav Frankenbaum, au cours d'un trajet qui part de Des Moines dans l'Iowa jusqu'aux collines noires du Sud Dakota en passant par Omaha dans le Nebraska.

Avec des deux nouveaux tomes, à cheval entre 1962 et 1963, la série rebondit spectaculairement et réserve deux de ses meilleurs histoires, après les déceptions que furent les épisodes 18 et 19. Il n'est pas exagéré d'affirmer qu'on a là d'authentiques classiques, et j'ai toujours le même plaisir à les relire.

Commençons par Billy the kid : un pur exercice "Goscinny-ien" où le scénariste s'empare avec génie d'une figure célèbre de l'Ouest américain pour la détourner d'une manière irrésistible. Ne comptez pas sur ce récit pour vous informer sur l'authentique existence de ce sinistre bandit que fut William Boney, d'ailleurs l'ambition biographique n'est pas au programme.

Le scénario est découpé en deux actes distincts : d'abord, on assiste à la confrontation entre Lucky Luke et Billy, puis à l'affrontement entre Billy et Lucky Luke. Si les deux parties semblent se refléter, la construction est en vérité plus subtile et diablement drôle. En effet, face à ce gamin insolent, très bon tireur et terrorisant la population d'une bourgade (peuplée, il est vrai, d'une somme de lâches facilement impressionnables), le cowboy est littéralement désarmé et perd son légendaire calme. Ce n'est plus le héros providentiel qui va rassurer un village face à un malfrat, mais quelqu'un qui fait face à un vilain qui ne le craint pas.

Puis la situation bascule ingénieusement à la faveur d'un plan retors mais efficace quand Lucky Luke choisit de jouer lui-même le méchant, plus redoutable que celui auquel il est confronté. Cette attitude surprend et désarçonne à son tour Billy, mais dissimule une bonne leçon de morale, traduite sans lourdeur mais avec malice par Goscinny.

Cet album est aussi important pour la polémique qu'il provoquera : en effet, à deux reprises, on y voit Billy têter le canon de son pistolet (page 1, case 5, et page 15, case 11). Cette image vaudra des ennuis à Morris avec la censure : elle ne manque effectivement pas d'audace, même dans le cadre d'une bande dessinée comique, mais elle révèle surtout la rigidité de l'époque (où on interdisait également aux artistes de représenter dans un même plan un coup de feu et l'individu atteint par la balle).

Les collines noires est un autre joyau de la couronne de la collection Lucky Luke chez Dupuis. Une nouvelle fois, Goscinny s'y montre très bien inspiré en évoquant la colonisation des territoires indiens par le gouvernement américain. L'auteur a souvent abordé, sous divers angles, cet aspect historique en n'éludant pas les points les plus polémiques de la conquête de l'Ouest, avec le parcage des indiens, la manière dont on les a spoliés. Mais il l'a toujours fait avec suffisamment de distance pour ne pas plomber le ton léger de la série. Il est juste intéressant de remarquer que le même scénariste qui, dans Astérix, traitait de la résistance d'un village de gaulois contre l'occupant romain, a, dans Lucky Luke, souvent raconté comment les colons ont chassé les natives.

Le récit est construit sur une succession de péripéties rendues cocasses par le caractère décalé des quatre scientifiques envoyés dans les collines noires avec Lucky Luke comme escorte. Inconscients du danger, ces savants sont naturellement curieux et ouverts, en plus d'être courageux sans s'en rendre compte (voir le duel à l'épée qui oppose Frankenbaum à Nebraska Kid). Une fois en présence des Cheyennes, bien que ceux-ci les capturent et se préparent à les tuer, ils ne réagissent pas négativement mais avec bienveillance. On rit de bon coeur comme Lucky Luke mais on apprécie aussi cette manière de faire.

Morris livre aussi d'excellentes productions visuelles avec ces deux albums : son style s'affirme de plus en plus et on peut remarquer que le look de Lucky Luke s'affine de plus en plus - bientôt il aura sa forme définitive (en particulier avec sa bouche, mais aussi sa silhouette encore plus élancée, aux vêtements plus moulés). Jolly Jumper aussi mute sensiblement pour acquérir une expressivité qui dépasse sa nature chevaline, depuis qu'il est doué de parole (même s'il parle en vérité tout seul puisque Lucky Luke ne l'entend pas) il a sa propre sensibilité et Morris le transforme par petites touches.

Billy the kid est un épisode particulièrement épatant : le découpage y est très dense, avec 10 à 12 cases en moyenne par planches. Cela se traduit par l'emploi d'une continuité séquentielle sur une grille classique (comme le gaufrier) : en utilisant des cases de même format, au rythme de trois par bande sur une page qui en compte quatre, sans changer d'axe, de valeur, Morris reproduit un effet de plan-séquence. On suit les déplacements d'un ou plusieurs personnages de manière très fluide et dynamique, avec une économie d'effets sensationnelle.

Dans Les collines noires, le génie de Morris pour les trognes éclate : outre les quatre savants, il soigne aussi les seconds rôles que sont Bull Bullets et Nebraska Kid ou les Cheyennes. Son art de la composition, où chaque élément est merveilleusement disposé dans chaque plan, fait le reste pour assurer une lecture très agréable, dont on ne remarque même pas les rouages.

Voilà donc deux épisodes immanquables, témoignant de la vitalité et de l'inspiration du duo formé par Goscinny et Morris au début des années 60.   

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