BOUNCER : INTEGRALE, TROISIEME CYCLE rassemble les tomes 6 et 7 de la série, LA VEUVE NOIRE et COEUR DOUBLE, écrits par Alexandro Jodorowsky et François Boucq, publiés en 2008 et 2009 par Les Humanoïdes Associés.
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(Couverture et extrait de BOUNCER, TOME 6 : LA VEUVE NOIRE.
Dessins de Boucq.)
(Couverture et extrait de BOUNCER, TOME 7 : COEUR DOUBLE.
Textes de Jodorowsky, dessins de Boucq.)
Le massacre d'un groupe d'indiens Nacache (la tribu dont le père du Bouncer était issu) entraîne le manchot de l'Infierno saloon de Barro-City dans une nouvelle aventure à hauts risques. Au coeur de cette intrigue, il découvre la rivalité entre les Harten, deux soeurs jumelles : d'un côté, Evelyn, la nouvelle institutrice du pueblo, et de l'autre, Carolyn, surnommée "la veuve noire", qui est à l'origine de ce bain de sang.
Le mobile de cette sombre affaire : une source d'eau qui irrigue toute la région, et pour laquelle un mercenaire fou, Axe-Head, et un ancien officier nordiste, Gallagher, avec ses hommes, sont prêts à éliminer tous ceux qui se dressent sur le chemin de Carolyn Harten.
Le Bouncer, sachant son neveu, Seth, menacé car il habite au-dessus de la source, accepte d'intervenir après que Evelyn lui ait promis de se donner à lui. Mais ses investigations lui réservent bien des surprises...
Pour le troisième cycle de la série, Alexandro Jodorowsky revient à une histoire en deux parties. Dans une interview donnée à CanalBD, François Boucq est revenu, à l'époque de sa parution, sur la conception du titre, et cela peut instruire le lecteur curieux.
En effet, à l'origine, Bouncer est né de l'envie de son dessinateur de réaliser un album de Blueberry - le fameux projet Blueberry 1900, que prévoyait d'écrire Jean Giraud, et qui n'a jamais vu le jour. Ayant déjà collaboré avec Jodorowsky (sur la mini-série Face de Lune), dont chacun sait l'amitié qui le liait à "Moebius" depuis la série de L'Incal, Boucq l'a sollicité pour rédiger un western original.
Ce qui est intéressant, et en quelque sorte le plus satisfaisant avec ces deux nouveaux épisodes, c'est que le scénariste nous épargne ses élucubrations pseudo-mystiques pour imaginer un mix détonant de mélodrame, d'enquête quasi-policière et de western. Pas, donc, de scènes de fumette où un personnage se met à comprendre le sens de la vie ou la clé de l'énigme.
Malheureusement, si Jodorowsky semble s'être raisonné, il ne faut s'y fier qu'avec modération, car pour le reste il s'agit bien de mauvaises bandes dessinées, certainement les deux plus mauvais volumes de la série (même s'il m'en reste encore à lire deux, formant une nouvelle saga).
Ce qui frappe en premier, c'est l'addition de personnages médiocres : la caractérisation est abominable, exécutée à gros traits, un vrai défilé de brutes dégénérées, de héros abrutis, de vilains vulgaires, et de femmes dépeintes indignement. On a droit ainsi à un tueur fou avec le fer d'une hache resté planté dans le crâne, un ancien chirurgien affreusement défiguré, des indiens d'abord avisés puis avinés, deux soeurs (ou presque...) qui soulèvent leurs jupons à la première occasion pour manipuler des hommes...
Jodorowsky souligne la grossièreté de son approche par un symbolisme d'une lourdeur grotesque (voir la planche extraite du tome 7 ci-dessous, avec cette gorge d'un canyon qui prend la forme d'un corps de femme pour figurer l'obsession du Bouncer : quelle subtilité !), des dialogues indigestes (une fois encore, il faut supporter le langage fleuri de Yin Li, avec des allusions sentimentalo-sexuelles d'une bêtise sans fond). Pire encore : si Bouncer n'a jamais été une grande série, au moins se déroulait-elle sur un bon rythme, or cette fois, bien qu'on soit revenu à une construction en deux parties, c'est mou et les rebondissements sont téléphonés.
Il me paraît impossible de lire ce troisième cycle sans être énervé ou ne pas ricaner devant la nullité de son écriture. On est vraiment à des lieues de Blueberry, l'inspirateur initial de Bouncer, ou alors c'est le pire ersatz qu'on puisse imaginer de ce glorieux fleuron du western en bande dessinée. A Jodorowsky, il manque tout ce qui composait le talent d'un conteur du calibre de Charlier : la capacité à mener de front une histoire solidement bâtie avec des protagonistes qui synthétisaient les clichés du genre et possédaient une identité dépassant le classicisme et échappant à une modernité floue, savoir mixer la facture la plus américaine du western avec l'irrévérence des italiens. Ici, on n'a droit qu'à une bouillie avec une galerie de monstres de foire qui pourrait être originale si elle n'était pas mise en scène avec une complaisance malsaine, une volonté puérile d'enfiler des moments choquants (mais qui sont plus ridicules qu'autre chose en vérité).
Les dessins de Boucq assurent-ils au moins ? Ils conservent en tout cas une puissance certaine, particulièrement quand l'artiste représente les décors de cet Ouest foutraque mais pourtant majestueux : on ne peut que rêver à ce qu'il aurait pu tirer de ce cadre et de ces figures iconiques avec de meilleurs récits.
Mais Boucq n'est pas innocent dans cette affaire puisqu'il a aussi précisé qu'en commençant son partenariat avec Jodorowsky, celui-ci ayant appris que ses récits complets écrits par Jerome Charyn (La femme du magicien et Bouche-du-diable), conçus dans la douleur (mais pour des résultats bien plus impressionnants), avait tout fait pour contenter les fantasmes de son dessinateur, acceptant même qu'il s'implique directement dans l'élaboration des scénarios.
On en arrive donc à une bande dessinée où le plaisir de l'artiste passe avant le souci de livrer une histoire probante. Il n'est pas question de dire que le script doit primer sur l'image, mais bien de rappeler que ce sont des éléments dépendant l'un de l'autre : un récit mal dessiné est ennuyeux, de superbes dessins sans histoire à la hauteur ne font qu'un bel artbook.
Boucq s'est sans doute amusé à créer ces personnages qui donnent des airs de cour des miracles à ce western dont il rêvait, mais a-t-il vraiment réfléchi à la qualité propre des intrigues dans lesquels ses chers "freaks" s'agitaient ? On peut en douter car s'il reste un graphiste hors pair, il n'est ici rien de plus qu'un virtuose fabriquant des planches plus aptes à épater le gogo qu'une bande dessinée en bonne et due forme.
Quel gâchis ! Mais en même temps, c'est là la confirmation que Bouncer n'est pas un grand western - tout juste passable narrativement, et tenant d'abord sur ses impressionnantes illustrations. Les deux tomes suivants relèveront-ils le niveau ? La mission s'avère délicate.
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