dimanche 6 décembre 2020

STRANGE ADVENTURES #7, de Tom King, Mitch Gerads et Evan Shaner


Après une pause le mois dernier (tout de même marquée par la parution du director's cut du premier épisode - mais sans plus-value), Strange Adventures entre dans son second acte avec ce septième épisode. Tom King imprime toujours un faux rythme à sa saga et déroute encore davantage avec un récit riche en scènes hallucinatoires. Visuellement, en revanche, c'est superbe grâce aux efforts de Mitch Gerads et Evan Shaner, qui, pour la première fois, harmonisent davantage leurs graphismes.


Alors que le rayon Zeta le renvoyait sur Rann, Adam Strange resurgit sur Anthorann, une planète voisine. Il est fait prisonnier par un savant qui le torture car il le juge responsable de la chute de son monde au cours de laquelle il a perdu les siens.


Sur Terre, des éclaireurs Pykkt font leur première apparition. Adam Strange en tue deux après avoir tenté de raisonner le premier puis lors d'un combat entre le second et Batman. A cette occasion, les deux héros s'opposent sur leurs méthodes, Batman jugeant qu'il faudrait capturer un Pyktt pour l'interroger.


Soumis à des drogues hallucinogènes, Adam Strange, sur Anthorann, passe un sale moment, croyant même rejoindre Alanna et leur fille Alea. Sur Terre, Il avoue à Alanna avoir bel et bien tué l'homme qui l'avait agressé lors de la séance de dédicaces, persuadé qu'il s'agit d'un espion métamorphe Pykkt.


Sur Anthorann, Adam observe la flotte Pykkt sur le point de fondre sur Rann. Il réussit à se défaire de ses liens et tue le savant, entouré de soldats Pykkt...

Si Tom King a deux péchés mignons, c'est son goût pour les dialogues psychologisants et les narrations parallèles. Dans le premier cas, lorsqu'il se laisse aller, le résultat peut être si assommmant qu'il noie ce qu'il raconte, on peut dire alors que le scénariste joue contre sa BD. Dans le second cas, sa maîtrise lui permet d'être rarement pris en défaut.

Si le premier épisode de Batman/Catwoman, sorti cette semaine, prouvait que King pouvait articuler une histoire avec trois lignes temporelles avec un réel brio, et sans que le rythme défaille, il faut bien reconnaître que la mécanique semble grippée dans Strange Adventures. Dans le premier acte de la série, au cours des six premiers épisodes, on a même eu l'impression de plus en plus marquée que les allers-retours entre présent et passé, Terre et Rann, étaient plus redondants qu'enrichissants. Le mystère de l'intrigue reposant sur les possibles crimes de guerre commis par Adam Strange ne passionnait plus guère.

C'est là toute la différence entre style et manièrisme. Il fallait donc que King se reprenne, sous peine d'infliger au lecteur un deuxième acte laborieux, voire décourageant. Est-ce pour cela qu'il entame ce septième épisode en ne craignant pas de totalement dérouter ? En effet, d'un côté, de nos jours, l'invasion Pykkt débute sur Terre ; et de l'autre, Adam Strange est soumis à des expériences par un savant d'Anthorann, planète voisine de Rann.

Les deux temporalités s'opposent radicalement. D'un côté, on a droit à une succession de scènes violentes et sèches, dans un climat hivernal et urbain, où des éclaireurs Pykkt se font dessouder sans ménagement par Adam, au grand dam de Batman qui souhaiterait en capturer un pour l'interroger sur les manoeuvres de l'armée ennemie. De l'autre, on est entraîné dans une suite de scènes surréalistes, douloureuses, fruits des expériences subies par Adam sur Anthrorann.

Sur un plan visuel, Evan Shaner surprend franchement en se chargeant de dessiner les hallucinations de Adam. Alors que l'artiste a un style plutôt sage, il sort de sa zone de confort pour produire des images déstabilisantes, à la fois folles, absurdes, et cruelles. Comme King ne nous informe pas tout de suite de qui inflige ce supplice au héros, on est aussi déstabilisé que lui. C'est bien joué, mais il faut accepter de ne pas savoir qui fait quoi, ce qui est vrai ou faux. Mais ça tombe bien finalement, car on en revient aux fondamentaux de l'histoire.

King fait preuve d'une malice certaine, dans laquelle Shaner le suit fidèlement. Par exemple, à un moment, Adam atterrit dans un décor très étrange avec des créatures dont les têtes sont remplacées par des mains géantes. On devine dans une large case que ces mains expriment une phrase en langue des signes et c'est bien le cas : traduit, cette phrase dit "Passez une bonne journée". Ironique quand on sait le calvaire que supporte alors Adam.

En parallèle donc, sur Terre, en même temps que le temps devient hivernal, la guerre est aux portes de notre monde. Adam a un échange, bref mais éloquent, avec Batman après avoir tué un éclaireur Pykkt que la dark knight avait pourtant vaincu. Batman s'insurge en rappelant qu'il ne tue pas ses ennemis. Adam lui répond que c'est la différence entre eux : lui vient d'un monde où exécuter son adversaire garantissait sa survie.

Mais la grande scène de cette partie terrienne, c'est évidemment celle des aveux. Alors que Adam partage un bref répit avec Alanna, il consent à lui révéler qu'il a bien assassiné l'homme qui l'avait violemment interpelé lors d'une séance de dédicaces (dans le #1). Pour se justifier, Adam explique qu'il était persuadé qu'il s'agissait d'un espion métamorphe à la solde des Pykkt car il savait des choses à son sujet que seul l'ennemi de Rann pouvait connaître. Même s'il sait avoir tué un innocent, Adam reste convaincu que sa victime annonçait l'invasion Pykkt actuelle. 

King lâche donc cettte bombe à mi-parcours de sa série. Mais aussi, surtout juste après le sixième épisode où Alanna avait raconté à Mr. Terrific que Adam avait été capturé par les Pykkt puis qu'il leur avait échappé, mais visiblement traumatisé. Et qu'ensuite leur fille avait été assassinée dans une embuscade ennemie, dans des conditions telles que le corps d'Alea n'avait pu être ramené.

Tout se lie alors sous nos yeux : la captivité d'Adam, c'est celle dessinée par Shaner, avec l'injection de drogues, une torture lente et longue, qui a littéralement brisé le héros de Rann. Au point de le rendre fou et criminel lors de son retour sur Terre, en croyant qu'un lecteur agressif était un espion ennemi ? Il semble bien. Mais King ne dit pas (encore) tout car le véritable sort d'Alea reste sujet à caution. Et l'imagination du lecteur fait le reste. Et si Adam avait aussi tué sa fille - pour empêcher que les Pykkt ne la capture peut-être... Ce serait horrible, mais j'ai le sentiment que le scénariste garde dans manche une autre carte spectaculaire et choquante.

Dans ses pages, depuis le début de la série, Mitch Gerads a clairement donné au couple Strange les traits de deux acteurs : Adam ressemble à Armie Hammer et Alanna à Olivia Munn. Ce n'est pas le premier à procéder de la sorte (on se souviendra que J.G. Jones avait aussi casté les personnages de Wanted et Bryan Hitch avait aussi donné des visages de comédiens célèbres à des Ultimates). Le souci, c'est qu'on avait d'un côté la distribution de Gerads et les mêmes personnages dessinés par Shaner, qui, eux, ne ressemblaient pas du tout à Armie Hammer et Olivia Munn.

Pour la première fois pourtant, il m'a semblé que Shaner faisait un pas dans la direction de Gerads et donnait à son tour à Adam et Alanna les traits des acteurs choisis apr son collègue. Cela unifie le récit, on a davantage le sentiment de voir les mêmes protagonistes et donc de suivre la même histoire sur deux temporalités différentes. Mais cela signifie aussi que Gerads a gagné cette partie en entraînant Shaner. Il faudra observer si cela se confirme dans les prochains épisodes. Et surtout si cela n'a pas un effet pervers car dessiner des personnages en les faisant ressembler à des acteurs peut parasiter la lecture : à force on peut finir par davantage voir les acteurs que les héros de fiction.

Ce septième chapitre relance donc la série au bon moment. Mais il faut confirmer. Surtout quand on compare la qualité de Strange Adventures avec le brio de Rorschach et Batman/Catwoman. En vérité, King est face à son plus redoutable concurrent : lui-même.  






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