jeudi 10 décembre 2020

MARAUDERS #16, de Gerry Duggan et Stefano Caselli


Laissée en suspens depuis deux mois, l'intrigue de Marauders reprend donc ses droits avec ce seizième épisode. La couverture (superbe) de Russell Dauterman annonce parfaitement la couleur du script écrit par Gerry Duggan et dessiné par Stefano Caselli : c'est l'heure de la vengeance pour Kitty Pryde et Emma Frost (mais pas que...). Et le résultat est jubilatoire.


Bishop présente à Tornade une preuve irréfutable de l'implication de Sebastian Shaw dans le meurtre de Kitty Pryde. Il avait en effet trouvé sur le corps de celle-ci un échantillon d'une vigne de Krakoa, qui pousse sur la Baie d'Hellfire. Tornade décide que la place de Shaw au Conseil ne le protégera pas.
 

Emma Frost et Kitty Pryde se rendent chez Shaw et le surprennent alors qu'il dégustait un de ses précieux alcools cultivés sur l'île. Emma tire sur Sebastian et le prive de ses pouvoirs tandis qu'après l'avoir frappé une première fois, Kitty s'en prend à ses spiritueux.


Soit Shaw avoue sa tentative de meurtre et sa complicité avec les Verendi à Madripoor, et l'affaire sera règlée tout de suite, ou plus tard devant le Conseil de Krakoa. Il accepte la première option. Tornade arrive avec Lockheed qui réclame sa vengeance... Et l'obtient de manière brutale.


Kitty tend un verre à Shaw mais celui-ci contient un poison. Si Shaw en meurt, il sera ressucité, mais les trois femmes s'emploieront à retarder son retour à la vie. Le lendemain, Shaw, en chaise roulante, revient à la table du Conseil et refuse de dénoncer Emma, Kitty et Ororo.

Depuis sa résurrection, opérée dans des conditions laborieuses, Kitty (oui, je sais, maintenant c'est "Kate" mais pour moi, ce sera toujours Kitty) s'était promise de faire payer Sebastian Shaw. Elle avait le soutien total d'Emma Frost, qui préférait carrèment se débarrasser de leur ennemi mais s'était ravisée quand Kitty lui avait soumis un autre plan. Celui-ci toutefois restait secret.

Voilà où nous en étions avant que ne démarre X of Swords qui mit entre parenthèses ce règlement de comptes attendu (de même que l'interrogatoire de Colossus dans X-Force). Les protagonistes de cette intrigue étaient restés en retrait durant le crossover, ne faisant ni partie des champions de Krakoa pour le tournoi dans l'Outremonde, ni de la bataille finale qui décida du gagnant.

Cette attente a fait que Gerry Duggan n'avait pas intérêt à se rater pour exécuter le plan ourdi par les deux X-Wowen. Le résultat ne déçoit pas : il se joue en petit comité, dans un lieu unique, et Shaw en prend vraiment pour son grade. Mieux encore : ce qui se passe va sûrement impacter durablement la série, et par extension la franchise "X" dont on commence à voir les premières fissures (de ce point de vue, X of Swords aura servi de révélateur).

On comprend vite que Kitty et Emma ont surtout à coeur de faire payer Shaw mais aussi de le faire avouer sur plusieurs sujets, et sans que cela s'ébruite - entendez : sans que le Conseil de Krakoa n'y fourre son nez. Dans un premier temps, il y a évidemment une rétribution physique et déjà sur ce plan, Shaw prend cher. Il finit méchamment rossé, éborgné et humilié. Le souci, cependant, c'est qu'avec ce bonhomme, rien ne garantit qu'il en restera là (le dernier plan de la dernière page suggère même le contraire).

Duggan en profite aussi pour expliquer des éléments antérieurs concernant les Verendi (les gamins opposés au business de la Hellfire trading company), notamment en ce qui concerne la manière dont ils avaient accès à tant d'informations sur le commerce krakoan, avant même d'employer Yellowjacket. C'est habile et cela souligne encore davantage, si besoin était, la duplicité de Shaw. Là encore, les conséquences à long terme sur les membres du Conseil de l'île risquent d'être lourdes car avec des individus comme Sinistre, Mystique, voire Exodus et donc Shaw, qui, tous, poursuivent leur propre agenda (et subséquemment les départs de Jean Grey, d'Apocalypse, et les attitudes du trio Kitty-Emma-Tornade), cela va vite devenir compliqué pour Charles Xavier de conserver un climat de confiance (Magneto, on le verra dans ma prochaine critique de S.W.O.R.D. #1 est aussi occupé ailleurs).

Et c'est peut-être l'enseignement majeur à tirer de cet épisode : la société de Krakoa s'est bâti sur une base qui aujourd'hui se fissure franchement. La représentation au sein du Conseil et ce que vient de subir Shaw en sont les manifestations les plus nettes. Quand Diablo va vouloir bâtir son église, que Mystique s'impatientera qu'on ne ressucite pas Destinée, que Sinistre fera quelque chose de ses échantillons ADN arakki, et que, peut-être, Shaw voudra sa revanche, le brave Professeur X aura du mal à contenir la crise. On peut s'interroger sur Xavier et sa foi dans sa nation X. Ne voit-il vraiment rien venir ? J'ai du mal à le croire. Comme j'ai peine à croire que Moira McTaggert ne surveille pas les événements depuis sa "No Place" . Le "Reign of X" serait-il le temps d'un profond bouleversement dans la communauté mutante après celui développé depuis House of X-Powers of X ?

L'épisode est par ailleurs formidablement dessiné par Stefano Caselli qui, depuis son arrivée sur le titre, lui a donné un indéniable cachet, un tonus, une expressivité, de la chair, qui lui manquait avec Matteo Lolli. 

L'action ici nécessitait un artiste qui anime les personnages avec rigueur, et Caselli est vraiment parfait pour l'exercice. Il donne donc beaucoup de vie à chacun mais surtout ses personnages ont une densité graphique qui donne du volume à chaque scène. Les gestes précis d'Emma et Kitty, la défaite de Shaw sont exemplairement traduits par leurs gestes, leurs mimiques. Caselli réussit à tout faire passer grâce à son trait précis, même les répliques les plus casse-gueule comme quand Kitty s'exclame, après avoir recraché de l'alcool dans la cheminé allumée de Shaw, "I'm Lockheed !".

La justesse de Caselli est digne des grands expressionnistes comme Kevin Maguire, dans un registre moins ouvertement comique, ou Stuart Immonen, avec plus de rondeur. La veulerie de Shaw par exemple est rendue à merveille, quand il constate sa déculottée. Le découpage ne joue pas les malins et le dessinateur préfère un angle de vue bien senti à une image tape-à-l'oeil (comme cette contre-plongée sur Kitty, Tornade et Emma qui observent Shaw à terre, empoisonné).

(Comme pour Hickman) je n'ai pas toujours été un inconditionnel de Caselli à qui je reprochais d'en faire un peu trop à ses débuts. Son dessin manquait d'élégance, de retenue. Aujourd'hui, il est arrivé à un bon dosage, à une vraie maturité. Sans doute qu'une série comme Marauders ne suffit pas à lui donner un statut à la hauteur de son talent, mais il l'illustre si bien, il lui donne une telle plus-value visuelle qu'il serait dommage qu'il en parte (d'autant qu'en prime il est régulier, il tient ses délais).

Il n'y a rien à jeter dans cet épisode. C'est brillant, enlevé, mordant, méchant même. C'est top.

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