Couverture de Mitch Gerads
Couverture de Evan Shaner
Avec ce sixième épisode de Strange Adventures, nous sommes à mi-parcours de la mini-série écrite par Tom King. Le titre va d'ailleurs s'interrompre provisoirement : le mois prochain paraîtra une version director's cut du n°1 et en Décembre sortira le n°7. Le scénariste et ses deux dessinateurs, Mitch Gerads et Evan Shaner, concluent donc le premier acte en abordant de front certaines questions mais aussi en nous laissant plein d'autres interrogations : c'est habile pour nous donner envie d'y revenir. Même si tout n'est pas parfait...
Rann. Adam Strange s'est isolé à la veille d'un assaut contre les Pykkt après avoir scellé une alliance avec les Rocks et les Hellotaat. Alanna le rejoint et le rassure sur l'issue de la guerre. Sur Terre, Alanna invite Michael Holt/Mr. Terrific à marcher ensemble pour une discussion franche et intime.
Ils entrent dans un bar et parlent de leurs deuils respectifs. Holt évoque sa femme enceinte morte dans un accident de la route alors qu'il ne souhaitait pas forcément être père. Alanna parle de la capture de Adam par les Pykkt et de son évasion, après laquelle il n'a plus jamais été le même homme.
Sur Rann, le conflit a été terrible. Les deux camps ont subi des pertes importantes et des succès par intermittance. Sur Terre, Alanna poursuit sa confession : revenu auprès d'elle et de leur fille, Adam est parti se promener avec Aleea. Pris dans une embuscade ennemie, Adam n'a pu sauver sa fille.
Sur Rann, à bout de forces, Alanna et Adam rejoignent une position critique signalée par Sardath. Ils sont abattus en vol. Les Pykkt enlèvent Adam sans connaissance mais laissent Alanna derrière...
Il se passe quelque chose d'étrange avec Strange Adventures. Depuis quasiment le début de cette mini-série, je termine chaque épisode frustré, insatisfait. Et pourtant, quand j'en rédige la critique, j'en retiens surtout des aspects positifs, je suis plutôt content de ce que je lis. Pas comblé, mais reconnaissant la qualité de l'ouvrage.
Qu'est-ce qui peut expliquer cela ? Je me le suis demandé encore une fois avant d'écrire ces lignes. Peut-être au fond ne suis-je pas un méchant critique, et c'est vrai que je n'ai aucun goût pour livrer des articles pour démolir des comics, même quand ils me déçoivent. Parfois, je me laisse aller, de dépit. Mais généralement, c'est surtout le signe que je vais lâcher l'affaire car je n'ai jamais compris ces lecteurs qui s'acharnent sur une série en continuant à la suivre.
Mais je n'ai pas envie d'abandonner Strange Adventures. Je suis arrivé à la moitié de l'aventure, j'ai désormais envie de connaître la suite et la fin. Et puis c'est une belle BD, bien écrite, superbement dessiné. Je ne m'ennuie pas en la lisant. Il n'y a aucune raison d'en rester là.
Toutefois, j'ai conscience que tout ne fonctionne pas parfaitement dans cette entreprise, que ce n'est pas aussi bien que je l'espérai, que ça pourrait l'être. Il est en effet difficile de lire cette histoire après la réussite de Mister Miracle du même scénariste et du même dessinateur. C'était une oeuvre tellement étonnante, aboutie. La comparaison est cruelle.
Je ne pense pas qu'on puisse y échapper. Strange Adventures est dans l'ombre de Mister Miracle. Peut-être que si Mitch Gerads n'avait pas fait partie des deux séries, ce serait plus facile. C'est injuste pour l'artiste, qui ne démérite vraiment pas, mais je crois à présent que c'est une mauvaise idée de l'avoir associé à Strange Adventures car il renvoie à Mister Miracle.
Si l'on considère ce sixième épisode, c'est impeccable. Il y a des scènes fortes, c'est très beau (je me répète), les dialogues sont remarquables, l'ambiance est intense, tout ce qui est suggéré sur la captivité d'Adam Strange, le deuil, vraiment, tout ça est très bon de mon point de vue. Je déplore que les détracteurs de King ne retiennent que sa propension au bavardage, qui, à mon avis, était plus prononcé dans ses derniers arcs de Batman, ou sa préférence affichée pour des héros névrosés, traumatisés. King vaut mieux que ces dénigrements faciles parce qu'il aborde des thèmes certes peu confortables, avec des tics d'écriture, mais il le fait honnêtement, sans se cacher, en assumant une vraie ambition, et en construisant un discours probant (nourri par sa propre expérience sur le terrain militaire - mais sans militarisme).
Pourtant, ce même épisode a les défauts de ses qualités et cela semble être plus prononcé. Par exemple, tous les flashbacks sur Rann ne servent pas à grand-chose, lucidement. Ils apparaissent même redondants avec ce qui se dit sur Terre, dans le dialogue entre Alanna Strange et Michael Holt, qui souvent précédent les événements et donc spoilent curieusement le récit, le court-circuite. L'exemple le plus fameux : quand Alanna évoque la captivité d'Adam, alors qu'on ne le voit être capturé qu'à la dernière page de l'épisode.
C'est dommage par que, donc, par ailleurs il y a ce dialogue entre Alanna et Mr. Terrific et là, c'est particulièrement réussi. Michael Holt parle du décès de sa femme enceinte et de ses doutes sur sa situation de futur père à cette époque : un aveu étonnant, troublant. Alanna évoque la mort d'Aleea, sa fille, dont le corps a été détruit par les Pykkt. Terrible et poignant. Alanna assume aussi la cruauté dont elle a fait preuve durant la guerre, mais relativement par rapport à celle des Pykkt donc. Ce n'est donc pas tant une garce calculatrice comme elle a pu apparaître dans les récents épisodes qu'une femme qui a souffert abominablement et a agi comme beaucoup dans un contexte de guerre où la raison est supplantée par les sentiments et l'instinct.
Evidemment, vous l'aurez compris tout seul, puisque le coeur de l'épisode et sa plus grande réussite résident dans les scènes entre Alanna et Holt, le grand gagnant se trouve être, sur le plan visuel, Mitch Gerads. C'est ironique de l'admettre après avoir écrit que sans lui Strange Adventures n'aurait pas souffert de la comparaison avec Mister Miracle. Gerads est un artiste passionnant, je n'aime pas particulièrement son style, sa technique, ses effets numériques, parfois j'aimerai qu'il dessine autrement, plus naturellement, à l'ancienne (ou disons, avec l'illusion de l'ancien). Mais c'est un narrateur accompli, dont la complicité avec King ne souffre pas de discussion. Et sa compréhension du script lui permet de tirer le meilleur des scènes qui lui reviennent.
Je préfère le travail de Evan Shaner car son trait, élégant, simple, classique, convient mieux à ce que j'ai toujours préféré. C'est aussi plus conventionnel, même si lui aussi dessine sur tablette et utilise donc des outils similaires à ceux de Gerads. Pourtant, sa production sur la série connaît une dévaluation nette, parce qu'il écope de scènes moins intéressantes, voire redondantes avec le texte. C'est particulièrement frappant dans cet épisode où Shaner doit composer avec des batailles, un motif visuel si propre aux comics de super-héros.
Le regard des lecteurs de comics est si habitué à l'action spectaculaire qu'il doit être constamment stimulé par l'interprétation qu'en fait l'artiste. Or ici, Shaner n'est ni inspiré ni bien servi. Il doit composer avec des pages où la guerre de Rann est résumée à des vignettes centrées sur Adam et Alanna qu'on observe de plus en plus éprouvés, fatigués, meurtris. La narration passe par la voix de Sardath, qu'on ne voit jamais à l'image, mais qui permet de synthétiser l'évolution du conflit, avec ses succès et ses échecs dans les deux camps. Malheureusement, ce procédé empêche aux deux personnages présents à l'image de s'exprimer et donc de vivre, d'exister autrement que comme des pantins.
En suivant le script, Shaner n'offre donc aucun plan d'ensemble qui permettrait au lecteur de mesurer l'ampleur de ces combats, leurs dégats matériels, leurs pertes humaines. Tout cela manque terriblement d'ampleur, d'envergure. Tout donne l'impression de se passer hors champ et donc, bien qu'on lise que ça été horrible, on ne voit rien qui le confirme. Soit c'est un parti-pris destiné à semer le doute sur la véracité du récit qu'en fait Alanna. Soit c'est une mise en scène maladroite.
Même la fameuse capture d'Adam est traitée de façon très décevante, avec des plans timorés, où on les voit prendre une rafale chacun et s'écraser. Mais à terre, sans connaissance, ils ne paraissent pas avoir fait une chute si importante ni afficher des blessures très graves. Il faut espérer que le récit de la captivité soit réellement traitée par la suite afin qu'on souffre, en quelque sorte, avec Adam. Sinon à quoi bon ?
Episode déséquilibré à l'extrême, ce n°6 de Strange Adventures révèle surtout l'inégalité de la série dans sa première moitié. Avec son faux rythme, cela n'arrange rien. De fait, la coupure qui va s'opérer fera certainement du bien car on replongera dans cette histoire avec l'espoir que Tom King aura redressé son cap et mieux distribué ses scènes à ses artistes. L'intrigue a du potentiel, elle a encore de nombreuses pistes à explorer, à exploiter. Je reste optimiste. Prudent. Mais optimiste.
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