Ce troisième tome ne paraîtra qu'en Mars prochain, mais je regroupe en une critique les cinq épisodes qui le composent (bien qu'il semble acquis que le recueil en comptera six puis que l'épisode 16 porte le même titre que cet arc). Chip Zdarsky renoue ici avec l'excellence de son début de run et livre une histoire dense où les routes de ses personnages se croisent, se répondent en un crescendo palpitant. L'autre bonne nouvelle pour Daredevil, c'est le retour au dessin de Marco Checchetto, aidé sur la fin par Francesco Mobili.
Elektra surgit devant Matt et lui déclare qu'elle va devenir son nouveau coach, comme le furent pour eux deux Stick. Cependant, Cole North monte un traquenard pour capturer Spider-Man, mais le tisseur n'a aucune difficulté à le déjouer et il enlève le policier. Sur le toit d'un immeuble, il le force à s'interroger sur le rôle qu'il veut tenir en servant docilement un système qu'il sait corrompu et contre les justiciers. Wilson Fisk tente d'éloigner le Hibou mais celui-ci menace de dévoiler ses liens avec le gouverneur Kettle. Matt reçoit un appel à l'aide de Mindy Libris mais son attention est détournée par un copycat de Daredevil piégé par des flics.
Matt vient au secours de l'imitateur de Daredevil avec le concours de Foggy Nelson. Mais l'intervention dégénère et Matt est en difficulté. Fisk est invité par la puissante famille Stromwyn, mais un des convives, Tyler Weltford, se moque de son passé crapuleux. Elektra sauve Matt, Foggy et le copycat de Daredevil. Matt accepte son aide et de devenir son élève. Fisk tue à mains nues Weltford dans une salle de bains des Stromwyn.
Avec l'aide de son fidèle assistant Wesley, Fisk réussit à maquiller son crime en accident incriminant un des serviteurs des Stromwyn. Matt commence son entraînement avec Elektra et se reprend doucement. Mais l'ampleur de la lutte qu'il mène l'oblige à avoir un allié dans la place. Cole North est mis en congé forcé après son échec lors de l'arrestation de Spider-Man. C'est à ce moment que Matt, masqué, l'aborde.
North et Murdock ont une discussion franche sur leurs situations respectives et le policier comprend qu'il vise le même objectif que le justicier contre la corruption générale. Le Hibou rencontre Izzy Libris et lui fait comprendre, brutalement, qu'il est désormais le nouveau caïd de la pègre. Fisk reçoit une nouvelle invitation des Stromwyn. Matt rompte avec Mindy, au même moment où sa belle-mère, Izzy Libris, noue une alliance avec Hammerhead contre le Hibou. Matt obtient qu'Elektra le seconde pour aller l'interroger le gouverneur Kettle.
Désobéissant aux ordres, Cole North entraîne son nouvel équipier dans une série d'arrestations dans le quartier de Hell's Kitchen, où pourtant le commissaire Taylor ne veut plus de présence policière, sur ordre des Stromwyn. Ceux-ci tiennent aussi le gouverneur Kettle comme le découvrent Matt et Elektra. Et ils font sévèrement rosser Fisk par leurs hommes de main pour le punir d'avoir tué Weltford chez eux. Elektra redeviennent amants après leur descente chez Kettle où ils ont réussi à semer ses gardes.
Ces cinq épisodes épatent et prouvent que l'arc précédent n'est plus qu'un mauvais souvenir. La série récupère son artiste attitré et cela suffit à la hisser à nouveau au niveau de son excellent début. Par ailleurs le scénario démontre une impressionnante densité et un rythme soutenu auxquels il est difficile de résister.
Mais surtout on est surpris de constater que Chip Zdarsky écrit Daredevil... Sans Daredevil. Matt Murdock le répète à plusieurs reprises (à Elektra, à Foggy, à Cole North), son alter ego est mort, il a fait trop d'erreurs sous cette double identité. La mort, accidentelle de Leo Cassaro, continue de le hanter mais il veut aussi tenter autre chose, de plus ambitieux.
Ce parti-pris est payant même s'il est aussi délicat car on peut s'interroger sur sa longévité. Combien de temps Zdarsky peut poursuivre sur cette voie ? Une série comme Daredevil autorise ce genre d'audaces, ce n'est pas un titre qui vend énormément (même s'il dispose d'une fanbase solide, qui lui assure une parution ininterrompue) et donc les auteurs peuvent expérimenter. D'ailleurs, les fans de DD y sont disposés en général. Toutefois, il paraît inenvisageable que Matt Murdock n'enfile pas à nouveau son costume de diable rouge et n'assume plus son surnom à moyen terme.
Esthétiquement, une fois sa période de remise en forme aux côtés d'Elektra terminée (à partir du #14), Matt arbore un look qui renvoie directement à ses tout débuts, tels qu'on les a lus dans la mini-série Man without fear (de Miller et Romita Jr) et la série Netflix. Il est entièrement vêtu de noir, avec un masque qui cache ses yeux complètement, et il porte un léger équipement (une canne, une ceinture de grenades défensives).
Le récit se divise toujours en trois : une partie consacrée à Matt, une autre à Fisk, une dernière à North. Zdarsky dresse d'abord un parallèle troublant entre Matt et Fisk : quand le Caïd est en pleine ascension, Matt est au trente-sixième dessous, puis leurs trajectoires s'inversent à partir du moment où le Caïd perd ses nerfs et tue un invité des Stromwyn tandis que Matt récupère ses moyens physiques et mentaux grâce à Elektra. Tout cela atteint un pic dramatique lors du quinzième épisode où Fisk est tabassé par des sbires des Stromwyn équipés d'exosquelettes puis défenestré (et là, malgré toute l'antipathie qu'on peut avoir pour le Caïd, on a mal pour lui). Au même moment, Matt réussit à semer les gardes du gouverneur Kettle au prix d'une manoeuvre incroyable qui enivre tellement Elektra qu'elle se donne à lui ensuite (exultant en disant : "You're back !").
Cole North prend un relief de plus en plus passionnant. Au début, ce flic ombrageux et obtus était monolithique. Désormais, après le fabuleux épisode 10 (qui bouclait le deuxième arc), c'est un colosse fragilisé, qui obéit encore aux ordres mais est de plus en plus ébranlé dans ses convictions. Sa conversation impromptue avec Spider-Man le perturbe, mais c'est surtout un formidable dialogue à bâtons rompus avec Matt qui achève de le déstabiliser. Il sait que la police est corrompue, il apprend qu'une guerre des gangs est sur le point d'éclater avec l'assentiment de sa hiérarchie, qui reçoit les ordres du gouverneur Kettle, lui-même au service de la puissante famille Stromwyn.
En reliant ainsi tous les personnages, Zdarsky tisse une toile solide et tendue, aboutit à une ambiance intense, qui électrifie son histoire. En même temps, il titille la curiosité du lecteur et de Matt sur des points fugacement évoqués (pourquoi Elektra aide vraiment Matt ? Quelles réactions va avoir Fisk vis-à-vis des Stromwyn et du Hibou ? Quid de l'alliance Libris-Hammerhead ? Mindy va-t-elle quitter son mari ?).
Tout cela est merveilleusement mis en images par Marco Checchetto. Il dessine totalement les trois premiers épisodes avec la même exigence qu'il avait pour le premier arc. Le degré des détails est impressionnant pour la représentation des décors et des personnages auxquels il donne vie et chair. L'apparition d'Elektra est grisante et le plaisir que l'artiste italien a à la croquer est manifeste : il a modifié subtilement son look, libérant sa chevelure, et conservant à son costume son éclat écarlate tout en le dotant d'éléments plus réalistes (des semelles et même des talons compensés, des bandages aux bras et aux jambes, un bandeau au front). Elle est terriblement belle, et toujours aussi efficace, dangereuse. Il est évident qu'elle supplante aisément Mindy Libris.
L'animation de Fisk et de Murdock est également irréprochable. Le Caïd déborde de charisme et Checchetto le dote d'une expressivité impeccable lors du repas chez les Stromwyn, durant lequel il essuie les moqueries de Weltford, contenant avec peine sa contrariété jusqu'à ce qu'il explose dans une scène d'une rare violence (d'autant plus percutante qu'elle est découpée avec habileté et colorisée magistralement par Nolan Woodard). Mais c'est un ogre qui en cédant à ses vieilles pulsions se condamne : en cela Zdarsky et Checchetto ont tout à fait bien capté le personnage, véritable cocotte-minute, prête à sauter à tout moment puis s'en remettant comme un gamin perdu à son fidèle Wesley. Quand Francesco Mobili vient en renfort pour les #14-15, il s'occupe des scènes avec le Caïd, laissant celles avec Murdock au seul Checchetto : comme il a un style semblable, cela passe bien, quoique Mobili donne alors à Fisk une troublante ressemblance physique avec Brian Michael Bendis (avant en tout cas que le scénariste n'ait maigri).
Checchetto a la main sur Matt et Cole North. Il donne d'abord au premier les gestes d'un homme nerveux, toujours convalescent, que son apparence trahit (avec des cheveux longs, ébouriffés, une barbe de trois jours). Puis, aux côtés d'Elektra, il retrouve sa superbe, une forme d'assurance, mais moins arrogante qu'avertie. Par petites touches progressives, cette transformation accouche d'un nouveau Daredevil, économe dans ses mouvements, plus à l'affût. Le contraste est saisissant avec North dont la stature athlétique ne suffit plus à masquer la fébrilité, les failles, l'exaspération - je me demande si Zdarsky ne va pas finir par en faire un vigilante, une sorte de lawman radical, comme une version légaliste du Punisher.
Faut-il encore préciser que le découpage est bluffant : il permet de passer d'un personnage à l'autre, d'un décor à l'autre, sans jamais que le lecteur ne soit perdu. Lors de l'épisode 15, Checchetto et Mobili prouvent même leur impeccable complémentarité en se partageant une même planche sans que l'effet ne perturbe la lecture.
Tout cela fait de cet acte III une réussite exemplaire. Si la série continue à ce régime, elle va atteindre des sommets. Il faudra surtout pour cela que Zdarsky continue à développer son intrigue avec la même rigueur et que les dessinateurs restent en place (personnellement, conserver le duo Checchetto-Mobili me semble idéal, si cela permet à Checchetto de ne pas s'absenter plus d'un épisode). Mais c'est très encourageant.
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