samedi 29 septembre 2012

Critique 351 : BATGIRL - YEAR ONE, de Chuck Dixon, Scott Beatty et Marcos Martin


Batgirl : Year One est une mini-série en neuf épisodes, co-écrite par Scott Beatty et Chuck Dixon et dessinée par Marcos Martin, publiée en 2003 par DC Comics.
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(Ci-dessous : les couvertures originales
des neuf épisodes de la série,
dessinées par Marcos Martin.)

Alors qu'elle voulait se présenter à l'académie de police, Barbara Gordon subit les railleries de son père, le capitaine James Gordon, du Gotham Central Police Departement. Elle décide alors de se lancer dans une carrière de justicière en s'inspirant de Baatman, le protecteur masqué de la ville - sans toutefois lui demander ni son accord pour utiliser son logo ni son aide.
Elle fait sa première apparition publique lors d'un bal masqué donné par la police pertubé par Killer Moth, qui veut enlever son père. Après avoir infligé une correction à ce malfrat, elle ne peut cependant pas empêcher sa fuite. Pas plus que Batman et Robin qui interviennent alors.





Après avoir semé le justicier, elle persiste à garder son costume et son objectif. Mais Batman et Robin la surveillent et l'enlèvent pour tenter de la convaincre de ne plus interférer dans leurs affaires. Batman comprend vite qu'il ne fera pas entendre raison à la jeune femme et charge Robin de la chaperonner en lui faisant croire qu'il agit sans l'assentiment de son mentor.



Les choses vont se corser quand, entretemps allié au pyromane Firefly, Killer Moth, pour impressionner la pègre à qui il veut proposer sa protection, tente une nouvelle fois de kidnapper Jim Gordon. Batgirl, qui avait sollicité l'aide de Black Canary pour l'entraîner (en entrant par effraction dans le Q.G. de la J.S.A.), fait un temps équipe avec elle pour libérer son père. Mais leur duo n'est pas très complèmentaire.
Robin lui offre son aide (toujours en lui racontant qu'il agit dans le dos de Batman) et ensemble, ils font équipe tout en flirtant.



Killer Moth et Firefly (qui pousse son partenaire à des actions plus spectaculaires et meurtrières) s'en prennent alors au commissariat central de Gotham. Batgirl entreprend en retour de les stopper, seule, une bonne fois pour toute - et ainsi de prouver sa valeur aux yeux de la police, de Batman et Robin et du public... Tout en s'employant à dissimuler à son père sa double vie.
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17 ans après le mythique et magistral Batman : Year One, Chuck Dixon et Scott Beatty ont voulu donner à leur tour une version définitive aux origines de Batgirl, après avoir fait de même avec Robin : Year One. D'autres opus comme Nightwing : Year One (toujours écrit par Dixon) ou plus tard Teen Titans : Year One (par Amy Wolfram et Karl Kerschl) et Green Arrow : Year One (par Andy Diggle et Jock) reprendront le procédé.
Là où Frank Miller bouclait son affaire en quatre épisodes, il en faut neuf pour cette histoire. Mais on ne s'en plaindra pas car la réussite est au rendez-vous. Les deux scénaristes articulent leur récit initiatique autour d'un motif qui, lui, renvoie à Killing Joke d'Alan Moore : celui de l'oracle, l'alias qu'adoptera Barbara Gordon après que le Joker ait fait d'elle une infirme paraplègique, devenant l'informatrice privilégiée des héros DC et une membre des Birds Of Prey (série longtemps écrite par Dixon). Ainsi, sur l'insouciance avec laquelle l'héroïne se lance dans la carrière de justicière plane la tragédie future - même si, avec le reboot "New 52" de DC, le personnage a récupéré sa condition physique.
Cette référence au destin dramatique est parfois, il faut l'avouer, un peu lourde, trop souvent citée à travers ces neuf épisodes, et donne l'impression que tout est déjà joué, de manière cruelle, que Batgirl ne pouvait de toute manière pas éviter le sort qui l'attend. Et du coup cela produit un effet malheureux à la fois sur le ton enjoué sur récit et sur l'importance de cette période dans la vie de Barbara Gordon, comme si avoir été Batgirl était de toute façon moins important que devenir Oracle (il est vrai que, dans ce second rôle, le personnage gagnera une profondeur - et des fans - mais, enfin, quand on veut raconter les origines d'une héroïne, c'est un peu embêtant d'énoncer dès le départ que ça ne va pas durer et qu'elle n'est pas aussi intéressante alors que plus tard). 
Cette réserve mise à part, cette mini-série reste quand même très agrèable et aboutie. D'abord, le portrait de Barbara dans sa jeunesse, son inexpérience, mais aussi sa détermination, sonne remarquablement juste, et il est impossible de ne pas être conquis par cette incarnation de Batgirl. Elle possède un sens de la répartie irrésistible (qu'elle surnomme intérieurement "Pixie Boots"), tient tête à la fois à son père (tout en consacrant une large partie de son temps, en costume, à le protéger) et à Batman (plus rigide que jamais, ce qui souligne sa contradiction puisque le même n'a pas hésité à entraîner le jeune Robin dans sa croisade), affronte deux super-vilains (dont l'un est certes un abruti fini mais l'autre est un psychopathe authentique).
Dixon et Beatty insistent, avec malice, sur le flirt entre Robin (clairement attiré) et Batgirl (pas insensible mais sur ses gardes), et cela donne des scènes exquises, comme quand le Boy Wonder lui fait croire qu'il l'aide sans la permission de Batman, ou quand il lui vole un baiser, ou quand, à la fin, il enfile le costume de la jeune femme pour que Jim Gordon croit que sa fille n'est pas la nouvelle disciple de Batman.
Les auteurs consacrent aussi du temps à montrer comment le personnage évolue de manière pratique, en confectionnant son costume, en s'entraînant, en faisant des recherches, ce qui , sans lui ôter la fantaisie propre au folklore super-héroïque, lui confère un réalisme bienvenue.
L'emploi de guest-stars dans le récit - Wildcat, Dr Fate, Black Canary, Green Arrow - ne vole jamais la vedette à Batgirl et la situe dans le DCverse de façon subtile, parfois ironique, parfois émouvante (parfois les deux à la fois dans un seul dialogue, comme au début du 2ème épisode quand Wildcat et Dr Fate s'interrogent sur ce que peut devenir une débutante comme elle).
Quand, enfin, Batman accepte Batgirl, cela aboutit encore à une scène sobre et forte.
Le tout est mené sur un rythme soutenu, même si tout cela aura sans doute pu être narré en moins de chapitres. Mais ce n'est jamais ennuyeux, souvent palpitant et drôle (un comique plus spirituel que gaguesque), avec une belle progression dans la caractérisation et l'intensité dramatique, et des dialogues efficaces.
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Batgirl : Year One a aussi permis à Marcos Martin, son dessinateur, de se faire remarquer. Il était alors encré par Alvaro Lopez, mais celui-ci a respecté son trait si fin et souple, et déjà le talent de l'espagnol illumine cette production.
Martin ne produisait pas encore des planches au découpage sophistiqué comme il a pu le faire sur Amazing Spider-Man, mais son sens de la composition, sa maîtrise du cadre, sont exemplaires. Suivant un des préceptes de Toth selon lequel la qualité d'un dessin ne se juge pas à son nombre de lignes, les personnages et décors de Martin sont toujours superbement expressifs et suggestifs, au service des scènes, des ambiances, de la lisibilité.
Une séquence comme le combat du dernier épisode est un modèle du genre, très dynamique, tracé d'une main élégante, avec une variété dans les angles de prise de vue et une justesse dans les cadres qui sont épatantes.
De la même manière, quand il doit illustrer des scènes plus ordinaires, Martin réussit à rendre cela aussi vivant, avec des enchaînements d'images d'une fluidité diabolique, toujours à la bonne distance, chaque planche conçue pour que le lecteur voit d'abord ce qui y est important.

Un sketchbook, à la fin du livre, permet aussi d'apprécier les designs de Marcos Martin et un work-in-progress de ses planches, avec l'apport d'Alvaro Lopez à l'encrage.

La colorisation de Javier Rodriguez, partenaire de longue date de Martin (et d'autres artistes désormais, comme Javier Pulido, Paolo Rivera, Chris Samnee), en à-plats tour à tour vifs et pastellisés, ajoute au plaisir des yeux.
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C'est donc une oeuvre à la fois conséquente et solide, divertissante, et traversée par une émotion délicate que Batgirl : Year One. Elle fait honneur au chef-d'oeuvre de Miller et Mazzucchelli, et donne envie de lire son pendant consacré à Robin.

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