jeudi 15 janvier 2015

Critique 555 : JOHAN ET PIRLOUIT, TOME 6 - LA SOURCE DES DIEUX, de Peyo


JOHAN ET PIRLOUIT : LA SOURCE DES DIEUX est le sixième tome (et la dixième histoire) de la série, écrit et dessiné par Peyo, publié en 1957 par Dupuis.
Cet épisode commence comme la suite directe du tome 5 (Le Serment des Vikings) mais reste compréhensible sans avoir lu ce dernier (un résumé de la situation des héros ouvre l'album - voir la page ci-dessous).
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Après avoir aidé Odd, fils de Gudhrun, à reprendre le trône de Snoeland, Johan et Pirlouit sont ramenés chez eux à bord d'un drakkar. Mais un violent orage s'abat sur eux et voilà les deux amis à l'eau, dérivant sur la mer jusqu'au lendemain matin.
Ils gagnent la terre à la nage et perdent connaissance, épuisés. Lorsqu'ils reviennent à eux, ils rencontrent les habitants qui les ont recueillis, de pauvres gens en vérité, exploités par le seigneur de Gracauchon. Ils racontent être victimes d'une vieille malédiction lancée par une sorcière qui les a rendus faibles et mous, d'où leur surnom de "mollassons".
Pour conjurer le sort, un seul remède existerait : l'eau provenant de la source des dieux. Johan entraîne Pirlouit à la recherche de ce breuvage miraculeux mais l'aventure compte plusieurs périls, parmi lesquels un traître au sein des mollassons qui va prévenir le seigneur Gracauchon de leurs investigations, un méchant géant, et la grotte où se trouve l'eau elle-même dont l'accès est périlleux...

En Octobre dernier, je déplorai de ne pouvoir terminer les critiques des aventures de Johan et Pirlouit par Peyo car la bibliothèque municipale où je les empruntais ne disposait plus des trois tomes qui manquaient à mon projet. Mais la situation a évolué depuis puisque j'ai pu accéder à ce sixième volume. J'espère sous peu aussi lire les deux premiers épisodes (des histoires mettant en scène seulement Johan : Le Châtiment de Basenhau et Le Maître de Roucybeuf).

La Source des Dieux commence peu après les événements du Serment des Vikings où les deux héros avaient permis à un seigneur nordique de récupérer son trône. Quelques mois ont passé quand démarre cette nouvelle histoire, compréhensible sans avoir lu la précédente, et Johan et Pirlouit sont en mer pour regagner leur pays.

A partir de là, sans perdre de temps, Peyo enchaîne les péripéties dans un récit mené à un train d'enfer : un naufrage, un peuple opprimé par un tyran, la quête d'une source magique, de multiples embûches pour y parvenir, la trahison de leurs hôtes, l'affrontement contre un géant, la rencontre avec le gardien de l'eau miraculeuse, la guérison des opprimés et leur révolte dans une bataille épique contre leur oppresseur... C'est un défilé ininterrompu de séquences énergiques, drôles, palpitantes, fantastiques.

On voit que Peyo s'amuse mais a aussi atteint une maîtrise dans son art de la narration que viendront confirmer tous les tomes suivants, à commencer par La Flèche Noire. On n'a ni le temps de réfléchir ni de s'ennuyer car l'auteur ne nous donne aucun répit : il utilise de nombreux éléments décoratifs typiques pour mieux distraire le lecteur, et s'appuyant sur le duo désormais bien rôdé que forme ses héros il mène son histoire en la ponctuant de traits d'humour. La combinaison du caractère toujours volontaire de Johan et celui immuablement râleur mais complice de Pirlouit fonctionne à plein régime, et même si Peyo ne creuse pas beaucoup (voire pas du tout) les rôles des mollassons (quand bien même le recouvrement de leurs moyens physiques et moraux fait penser à l'effet de la potion magique sur d'illustres gaulois), du géant, de l'infâme Gracauchon ou du gardien de la source, on ne s'en émeut guère tant on est happé par le souffle de l'aventure, avec sa succession d'obstacles (les affluents qui retardent les héros, leur duel avec le géant - un vrai morceau de bravoure, admirablement mis en scène et directement inspiré des films comiques muets - , leur progression difficile dans la grotte). Il y a là, bien avant l'heure, tout ce qui fera le ressort des Indiana Jones mais dans un environnement médiéval.

Visuellement, Peyo est, à cette époque, au sommet de son art et cet état de grâce ne le quittera plus jusqu'à la fin de son run sur la série. 
Il s'astreint encore à un découpage strict, avec des gaufriers d'une douzaine de cases en moyenne, ce qui confère à l'album une densité remarquable mais aussi une vigueur incroyable grâce au sens inné de la composition (qui cadre le plus souvent ses personnages de plein pied pour que l'action soit toujours bien exposée).  

La beauté des décors naturels, même s'ils demeurent pour la plus grande part du récit peu spectaculaires (avant d'atteindre la grotte, il faut patienter trente pages sur les 44 de l'album), est souligné par un trait toujours superbement simple et précis, ce qui permet à Peyo de tirer le maximum d'effets des lieux. La forêt devient ainsi le théâtre d'une ballade décourageante mais préfigurant aussi les sinuosités de la grotte : tout, dans cette aventure, raconte un trajet improbable, dangereux, pour Johan et Pirlouit, aventure placée sous le signe de l'eau puisque du naufrage initial à la découverte de la source c'est peu de dire qu'ils se mouillent vraiment pour survivre aux périls qu'ils rencontrent et aider ceux qui les ont sauvés.

Et, bien entendu, on a encore droit à une fameuse bataille avec une figuration très fournie - une sorte de gimmick dans la série mais que Peyo dessinait formidablement bien.

Je me répète, mais quelle superbe série, quelle magnifique création : lire Johan et Pirlouit est un régal sans cesse renouvelé. 

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