lundi 14 mai 2012

Critique 325 : WORLD'S FINEST, de Dave Gibbons et Steve Rude

World's Finest est une mini-série en trois épisodes écrite par Dave Gibbons et dessinée par Steve Rude, publiée en 1990 par DC Comics.
Ci-dessus : les couvertures des trois épisodes,
peintes par Steve Rude.
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Oliver Monks a été recueilli, après la mort de ses parents, par Byron Wylie, directeur de l'orphelinat Midway (car il se situe à mi-chemin de Gotham et Metropolis). L'enfant a fait ainsi partie d'une bande de jeunes voleurs aux ordres de son protecteur avant que les activités criminelles de ce dernier ne soient découvertes et ne l'envoient en prison pendant trente ans.

Aujourd'hui, Monks dirige, avec le Père Fulbright, à son tour l'orphelinat qui est au centre des convoîtises de Lex Luthor. L'homme d'affaires de Metropolis veut effectuer une vaste opération immobilière en mettant la main plusieurs immeubles délabrés de Gotham, et découvre que Monks a vendu l'orphelinat au Joker après qu'il ait été victime d'un chantage sur ses moeurs (il a succombé au jeu et aux femmes de Gotham). En échange de ses propriétés, le Joker obtient de Luthor qu'il puisse passer un mois de "vacances" à Metropolis et la somme de cinq millions de dollars. Le marché est conclu.
L'arrivée de Luthor à Gotham et du Joker à Metropolis met vite Batman et Superman en difficulté : le premier est accusé de menacer la sécurité de la population après être intervenu sur le sauvetage d'un immeuble menacé par une tour de démolition de Luthor, le second est ridiculisé publiquement par le Joker après avoir empêché un cambriolage. Les deux héros décident alors d'échanger leur terrain d'action pour savoir ce que projettent leurs ennemis et les contrarier.




Sous couvert d'un reportage sur les bas-fonds de Gotham, Clark Kent découvre ainsi que Monks est en affaires avec Luthor, tandis que Bruce Wayne visite Metropolis en compagnie de Lois Lane et Jimmy Olsen surprend des tentatives d'attentats par les agents du Joker. Perry White, le rédacteur en chef, met aussi en évidence le fait que l'argent des vols organisés par Wylie n'a jamais été retrouvé et que son neveu ressemblait à Monks.
En vérité, Wylie n'est pas mort et se cache à l'orphelinat Midway, soupçonnant Monks de chercher à le doubler.
Superman et Batman se retrouvent pour faire le point sur leurs investigations : Monks avait signé l'avis de décés de Wylie et le magot de celui-ci avait servi à payer les études de Monks.
Lors des fêtes de Noël, l'entreprise de Luthor se révèle lors d'une réception à l'orphelinat : il veut en faire son quartier général tout en construisant deux nouveaux établissements pour les enfants.
Wylie resurgit alors et met le feu au bâtiment. Monks et lui périssent dans les flammes tandis que le Joker, qui avait endossé le déguisement du Père Noël de Fulbright, s'enfuit et Luthor rentre, furieux, à Metropolis.
S'estimant trahi par Luthor qui ne veut plus le voir, le Joker entame alors des hostilités contre son ancien associé qui riposte. Gotham est la cible de plusieurs explosions dans ses quartiers pauvres, Metropolis subit une panne d'électricité générale. Batman parvient enfin à appréhender les Tweedle (Dee et Dum), complices du Joker, puis devine que le criminel vise la centrale nucléaire de Luthor à Metropolis. Superman réussit heureusement à expédier le réacteur dans l'espace avant son explosion.

Perry White rédige un article à la gloire des exploits des deux héros tandis que le nouvel orphelinat Midway ouvre.


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Cette collection de trois histoires est exceptionnelle à plus d'un titre : d'abord par son format, chaque épisode comptant une cinquantaine de pages ; ensuite pour son équipe créative avec l'ancien dessinateur de Watchmen et le co-créateur de Nexus ; et enfin par son projet de renouer avec l'essence initiale de ses deux héros.
Dans la préface de ce bel album (qui ne vole pas son étiquette de "Deluxe Edition"), Dave Gibbons revient sur sa découverte des comics, sa passion pour Superman et Batman et le sens qu'il donne à ces bandes dessinées élevées à un rang d'objets fêtiches. Il s'agissait pour lui de communiquer à ses lecteurs la même émotion qu'il avait éprouvée quand il lisait les aventures du duo de héros, donc d'écrire un récit accessible et presque définitif dans la représentation iconique, tout en étant ambitieux sur le fond, avec une intrigue qui ne devait pas être qu'une variation nostalgique de plus.
De fait, le scénario est à la fois dense et relativement complexe, avec ses escroqueries immobilières, ses revenants vengeurs, les parallèles établis entre Superman et Batman (tous deux orphelins, à la fois opposés et complèmentaires - l'un est un surhomme extraterrestre dont l'identité civile est son déguisement, l'autre un justicier sans capacités extraordinaires mais dont l'aspect est la première arme, à eux deux ils sont les muscles et le cerveau, la force et l'intelligence, le jour et la nuit) et les distinctions entre Luthor et le Joker (l'homme d'affaires méthodique et retors, le fou anarchiste, l'un corpulent et qui manoeuvre avec sa fortune, l'autre maigrelet et semant le chaos, l'un voulant imposer son nouvel ordre, l'autre désirant faire régner le désordre).
On retrouve chez Gibbons scénariste un côté rigoriste qui semble tout droit inspiré par Alan Moore (sans pour autant l'égaler ni savoir le transcender), et c'est à la fois un atout et un handicap : un atout parce que son récit est tenu, adroit, intelligent, et un handicap car, même s'il y a quelques scènes d'action notables, tout cela manque de vraies bagarres classiques, d'affrontements traditionnels. C'est davantage un jeu d'échecs où les méchants font courir les bons plutôt qu'ils ne les provoquent directement et physiquement. 
Si l'opposition entre Superman et Luthor a toujours davantage été psychologique (le second jalousant la puissance du premier et cherchant à la compenser par son intelligence machiavèlique), en revanche Batman et le Joker se sont souvent disputés de manière plus directe (le second cherchant en fait à pousser le premier dans ses retranchements et ainsi le faire basculer dans sa folie).
Mais ici, point d'empoignades, et c'est un peu frustrant, même si le déroulement de l'intrigue est suffisamment prenant pour qu'on ne s'ennuie pas, parsemée de scènes intimistes qui font mouche (les origines des héros en vignettes muettes et parallèles, le cadeau de Noël de Superman à Batman).
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Au bout du compte, on peut s'interroger sur la motivation de Gibbons en rédigeant un script qui déjoue les conventions : en effet, ce dessinateur racé avait à sa disposition un artiste dont le style n'est pas si éloigné du sien tout en étant, objectivement, supérieur d'un point de vue technique.
Steve Rude confesse, dans les notes à la fin de l'ouvrage (enrichies de croquis inédits, ponctuées par des textes de Gibbons), avoir, à l'époque, durement travaillé pour réaliser ces trois épisodes : suivant certaines indications de son scénariste mais s'inspirant également de références personnelles précises, il a souhaité revenir, dans les designs notamment, à des représentations bien spécifiques de Superman et Batman.
Rude est lui-même un graphiste qui a su synthétiser les styles de ses idoles - Jack Kirby  et Alex Toth. On retrouve dans ses compositions savantes, élégantes et dynamiques le meilleur de ses modèles. Mais il transmet aussi des adresses à Curt Swan, Bob Kane, les dessins animés de Superman des années 50, Batman year one illustré par David Mazzucchelli. Malgré ces dédicaces abondantes, il réussit pourtant à produire des planches uniques, d'une puissance évocatrice, d'un raffinement esthétique, tout à fait sidérants.
Du coup, World's Finest devient davantage le livre de Rude que celui de Gibbons par sa force visuelle impressionnante. Chaque case est un tableau, chaque page une sorte de tutoriel, comme on en voit très rarement dans le cadre exigeant des comics super-héroïques.
Il convient d'associer aux efforts du "Dude" la qualité des l'encrage de Karl Kesel, d'une admirable finesse, et la beauté enchanteresse de la colorisation de Steve Oliff.
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Un recueil un peu frustrant, en définitive certainement plus un beau livre qu'un bon livre.    
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Merci à Doop de http://www.buzzcomics.net/ pour les scans provenant de sa critique.

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