jeudi 26 avril 2012

Critique 322 : MOON KNIGHT VOL.1, de Brian Michael Bendis et Alex Maleev

Moon Knight, vol. 1 rassemble les 7 premiers épisodes de la série écrite par Brian Michael Bendis et dessinée par Alex Maleev, publiée en 2011 par Marvel Comics.
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Tout commence dans le désert égyptien : Marc Spector est laissé pour mort par son pire ennemi, Bushman, et rampe, agonisant, dans le tombeau vide du dieu Khonshu - qui semble lui léguer ses pouvoirs de Moon Knight.
Mais cette scène se révèle être l'image finale de l'épisode d'une série télé produite et inspirée par Marc Spector pour quelques happy few. Le héros s'est en effet installé à Los Angeles pour ce show, mais pas seulement...
En effet, Marc Spector n'a pas renoncé à sa double vie de super-héros, il est même devenu un Vengeur (Secret, officiant lors de missions clandestines avec Steve Rogers et d'aautres équipiers). Il a la confiance de Captain America, Wolverine et Spider-Man et s'est déplacé sur la Côte Ouest avec leur assentiment, pour enquêter sur le crime organisé local. 
C'est ainsi que lors d'une patrouille sur les docks il surprend un deal impliquant Mr Hyde, qui est en possesssion d'un robot Ultron désactivé. La transaction tourne court mais le vilain est pris à parti par le justicier qui récupère la tête de l'androïde avant que Hyde n'essuie la colère de son client (encore non identifié, sinon qu'il est extrèmement puissant).
Que va faire Moon Knight de la tête d'Ultron ? Il y réfléchit avec Captain America, Wolverine et Spider-Man, mais il apparaît rapidement qu'il n'est pas vraiment en contact direct avec eux... Et il va devoir composer avec Snapdragon, la complice du client mécontent de Hyde, à la tête d'un réseau de prostituées-indics, parmi lesquels s'est infiltrée Echo.
La jeune femme et Moon Knight décident d'unir leurs efforts pour résoudre cette affaire et régler le compte de leurs ennemis communs : la mission ne semble pas gagnée d'avance, même en rusant, d'autant que la police locale est sur les dents avec ces justiciers dans les parages et donc les mercenaires lancés à leurs trousses...


Echo téléphone aux Vengeurs pour s'informer
sur Moon Knight et sa santé mentale.

Le personnage de Moon Knight a été exploité dans une multitude de séries, en tant que héros solo ou au sein d'équipes (Defenders, West Coast Avengers, Secret Avengers). Avant que Brian Michael Bendis n'hérite du titre, ses derniers scénaristes ont fait de ce héros borderline, schizophrène et franc-tireur, un justicier de plus en plus violent et isolé, dont la réhabilitation (après Siege et à la faveur de l' "Heroic Age", quand il a intégré les Vengeurs Secrets) a du coup semblé forcé (comment admettre en effet qu'après avoir tué, il ait été amnistié et même recruté par Steve Rogers quand celui-ci a toujours difficilement toléré Wolverine ?).
Cette réserve mise à part (et sur laquelle Marvel ne reviendra plus), cette enième relance du héros par l'équipe créative de Daredevil (autre héros urbain récemment "gracié") possédait un attrait indéniable. Brian Bendis a effectivement choisi une direction inattendue, iconoclaste (comme d'habitude) et retrouve donc pour l'occasion le dessinateur avec lequel il produit certainement ses meilleurs oeuvres, Alex Maleev (le récent Scarlet a une fois encore prouvé l'efficacité de leur partenariat).
L'identité est devenu le thème central de leur série (qui ne durera que 12 épisodes, faute de ventes suffisantes - frustrant vu le résultat, mais au moins Marvel a-t-il permis que l'histoire aille à son terme) : il s'agit pour l'auteur d'explorer aussi bien la psyché de Moon Knight que celle de Marc Spector, et le projet devient alors une réflexion passionnante sur le super-héros comme le prolongement d'une folie assumée et (qui se veut) bienveillante. L'idée est donc d'examiner ce qu'un individu qui se costume pour jouer les justiciers est vraiment et comment il est perçu par son entourage - un partenaire logistique, une alliée sur le terrain, ses adversaires directs. Tous les personnages semblent ici jouer un rôle, à l'image des héros de séries télé comme celle que produit Spector (d'ailleurs Bendis a-t-il pensé à Phil Spector, le producteur excentrique condamné pour meurtre, quasi-homonyme de Marc Spector, super-héros extravagant qui a été amnistié de ses crimes ?), mais les rôles qu'ils jouent sont constamment en opposition avec ce qu'on pense d'eux ou les placent dans des situations qui les dépassent.



Marc Spector désire à la fois fréquenter Echo
sentimentalement et professionnellement...
Mais ses référents (imaginaires) divergent sur la nécessité
de cette association.

Pour appuyer ce jeu des apparences, Bendis a pris soin de poser et de renouveler le "supporting cast" du héros. La première addition (et la plus notable) réside dans la présence d'Echo, une de ses héroïnes favorites, typiques des personnages de second rang qu'il affectionne (et dont on avait perdu la trace depuis la fin de Secret Invasion et la période du "Dark Reign" : elle avait donc simplement changé d'adresse après la défaite des Skrulls et l'arrivée aux responsabilités de Norman Osborn).
Son emploi est doublement important : pour l'intrigue d'abord, elle va aider Moon Knight dans son enquête alors qu'elle était infiltrée dans la bande de prostituées de Snapdragon ; pour la définition du héros ensuite puisque s'instaure entre elle et lui une sorte de romance à la "je t'aime, moi non plus", mais aussi parce que, étant sourde, elle offre un contrepoint astucieux à Spector qui, lui, entend des voix (et le lui cache).
Le duo fonctionne en tout cas très bien (et esthétiquement aussi puisqu'au costume blanc de Moon Knight répond celui, noir, d'Echo), Maya Lopez étant également considérée comme un Vengeur de seconde zone et étant avide de reconnaissance. 


Marc Spector avoue : il entend des voix.
Mais cela doit-il rassurer Buck, son acolyte ?

L'autre second rôle greffé à la série est un ancien agent du SHIELD, Buck, d'abord engagé par Spector comme consultant pour sa série télé avant de devenir un technicien chargé d'examiner la tête d'Ultron et de l'aider à pièger celui qui voulait l'acquérir.
Ce personnage normal permet aussi de souligner le contraste entre le héros costumé et psychologiquement instable et l'histoire criminelle presque classique qui est développé. Buck sert de point d'entrée pour le lecteur, c'est le seul protagoniste auquel on peut s'identifier, on est médusé puis complice comme lui, et grâce à lui, ces épisodes dépassent le cadre convenu du récit strictement super-héroïque. D'une manière analogue mais néanmoins distincte, il remplit la même fonction que Foggy Nelson dans Daredevil : c'est à la fois un témoin et le complice du héros, donc c'est vous, c'est moi, c'est le double du lecteur.
Le récit se déroule sur un rythme rapide, avec de l'action à chaque épisode et des scènes richement dialoguées, dans le plus pur style Bendis. Ceux qui goûtent moins à ce qu'écrit le scénariste sur des séries d'équipe seront certainement plus conquis ici, où le casting est plus réduit et les situations plus concentrées. Sa caractérisationde Marc Spector est différente de tout ce qu'on a vu auparavant (n'hésitant pas à le tourner parfois en ridicule, à montrer que son impulsivité le met - et met les autres - en danger), ce qui le rend à nouveau accessible pour ceux qui ne sont pas familiers du personnage.
Enfin, quand son identité est révèlée, le choix du vilain promet un second acte particulièrement accrocheur tant sa puissance instaure un déséquilibre avec les ressources de Moon Knight et ses partenaires : c'est un adversaire du  niveau de Thor, un malfrat historique qui est crédible comme potentiel caïd de Los Angeles et menace mortelle pour le héros. L'issue de leur affrontement est pour le coup sérieusement imprévisible.
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Maleev rend un hommage sensible
mais personnel à Sienkewicz,
l'artiste emblématique de Moon Knight.

Tout ça nous amène à parler de la contribution d'Alex Maleev, qui semble ici adresser une lettre d'amour à Bill Sienkiewicz en adoptant un style qui évoque celui que ce dernier avait lorsqu'il dessinait Moon Knight à ses débuts.
Encore une fois, le bulgare a subtilement modifié sa technique pour cette série, après les expérimentations photographiques de Scarlet : le résultat est aussi réaliste mais différent dans la mesure où il paraît avoir voulu démontrer ce qui rend absurdes les hommes (et femmes) déguisés en justiciers masqués. Le script de Bendis s'amuse d'ailleurs à plusieurs reprises à démasquer Moon Knight, et Echo ne porte pas vraiment une combinaison ni de masque, pas plus que leur ennemi et sa complice. La loufoquerie de Marc Spector suffit à le distinguer, lui ajouter les apparats du super-héros classique n'est là que pour l'effet graphique, volontairement exagéré (une cape démesurèment grande, l'adoption de costumes/accessoires d'autres héros - Spider-Man, les griffes de Wolverine...). C'est finement joué pour représenter le décalage constant dans lequel se trouve Moon Knight.   
De fait, jamais Maleev ne donne la chance à Marc Spector de paraître cool, de prendre la pose, sa gestuelle est empruntée, son expressivité limitée, il n'a vraiment rien du brave héros majestueux, ce "Chevalier de la Lune", rien de poétique comme le suggère son nom, il est à la limite du bouffon. Mais c'est ce qui permet de le rendre attachant, de frissonner pour lui, et de sourire quand, malgré ses handicaps, il se montre assez rusé pour surprendre son adversaire.
Néanmoins, les personnages de Maleev possèdent un charme certain, en particulier ses femmes (Echo a un look latino crédible, Snapdragon une élégance froide).
Maleev est habilement assisté par Matthew Wilson à la colorisation (et Matthew Holligsworth pour le 7ème épisode), dont la palette est riche de nuances et traduit l'ambiance bien particulière de Los Angeles, complètant à merveille le trait nerveux et en même temps affirmé du dessinateur.
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En résumé, si vous avez apprécié le run de Bendis et Maleev sur Daredevil, leur passage sur Moon Knight a toutes les chances de vous séduire tout en ayant l'adresse de ne pas en répéter les gimmicks, avec un héros plus barré. Bendis réussit à donner envie de connaître la suite (et fin) de l'aventure, tandis que Maleev donne à l'ensemble une allure unique.

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