dimanche 8 janvier 2012

Critique 302 : AMERICUS, de MK Reed et Jonathan Hill

Americus est un roman graphique écrit par MK Reed et dessiné par Jonathan Hill, publié par First Second en 2011.
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Neil Barton est un adolescent qui s'apprête à entrer au lycée. Il partage avec son meilleur ami, Danny Burns, une passion pour la série de romans fantastiques, Les Chroniques d'Apathea Ravenchilde. Mais la sitaution prend une tournure délirante lorsque la mère de Danny, une bigote ultra-conservatrice, découvre les lectures de son fils et se met en tête d'en interdire la présence à la bibliothèque municipale d'Americus. Danny est envoyé dans une école militaire pour être "rééduqué" tandis que Neil, tout en découvrant la vie au lycée, va devoir se battre pour que les aventures de son héroïne favorite restent disponibles... 
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Le résumé ci-dessus donnera l'impression que ce roman graphique propose une histoire simple, mais en vérité ce récit complet en neuf chapitres est un peu plus complexe qu'il n'en a l'air.
D'un côté, nous suivons Neil, un adolescent de 16 ans qui entre au lycée et tente de savoir qui il est et ce qu'il veut devenir. Il ne voit pas seulement son meilleur ami, Danny, partir dans une école militaire, mais il commence à apprendre à avoir des relations avec les filles, à être indépendant, et à cibler ses goûts musicaux.
De l'autre, nous assistons à la bataille de Neil, de la bibliothécaire et quelques autres pour éviter que les romans avec Apathea Ravenchilde ne soient pas bannis par les activistes chrétiens d'Americus.
MK Reed se sert de ce second aspect pour décrire les membres d'une communauté attachée à la liberté d'accès à la culture contre des intégristes religieux et évoquer, à travers elle, ce qu'une série romanesque signifie pour ses lecteurs.
L'auteur réussit à conjuguer ces deux pistes narratives pour livrer une histoire solide, à la fois dense et racontée de manière vivante.






MK Reed, dont c'est le premier scénario pour un éditeur indépendant, a un vrai don pour caractériser ses personnages, les rendre authentiques. La passion de Neil pour la lecture et son engagement pour sauver les romans qu'il aime, luttant pour cela contre sa timidité, toucheront n'importe quel amateur ayant trouvé dans les livres un moyen de mieux supporter sa vie et d'affirmer ses idées, ses convictions.
La description des activistes chrétiens fait froid dans le dos car elle renvoie à une réalité américaine qui trouve un écho politique avec le mouvement ultra-conservateur et puritain du "Tea Party". C'est actuellement devenu un puissant lobby qui influe sur le parti républicain, engageant les orientations d'une partie de l'Amérique du Nord.
Reed excelle dans la relation du combat que se livrent les défenseurs de la bibliothèque : ils doivent s'unir et collaborer avec la communauté pour expliquer la valeur des ouvrages, justifier le libre accès à toute forme de littérature - cela contre des individus qui, le plus souvent, n'ont jamais lu les livres qu'ils condamnent. La bataille de Neil et ses partisans fait évidemment écho à celle que mène Apathea dans ses aventures.
La référence à Harry Potter est sybilline et il est évident que les auteurs se sont inspirés du héros de J.K. Rowling pour créer leur propre sorcière.
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Le graphisme de Jonathan Hill, qui n'appartient pas au registre réaliste, convient bien à l'histoire et rappelle le style de Bryan Lee O'Malley dans la série Scott Pilgrim.
Le trait est simple mais s'attache à rendre facilement indentifiable chaque protagoniste, soulignant leur expressivité. Il n'est jamais aisé de bien représenter les adolescents et Hill y parvient fort bien, sans sombrer dans la caricature.
Le découpage est lui-même très sobre, avec trois bandes et cinq à six cases par page, ce qui rend la lecture facile et fluide.
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Même si le héros de cette histoire est un ado américain et que le récit est ancré dans un contexte bien précis, cette bande dessinée porte un message universel, capable de parler à n'importe qui : il s'agit du rapport que chacun entretient avec les livres et la lecture comme un accès à la culture, un moyen de s'évader, et de s'ouvrir au monde (réel et imaginaire). C'est également un bel hommage à ces sanctuaires si précieux que sont les bibliothèques et à l'attachement qu'il faut garder pour la matérialisation des objets culturels à une époque où la numérisation et l'obscurantisme les mettent en péril.

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